Quatre secteurs qui reviennent de loin

Pierre Cormon
Publié le vendredi 31 mars 2023
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#Pandémie Après avoir frôlé la catastrophe, des secteurs sinistrés ont retrouvé la croissance.

«Six secteurs au bord du gouffre», titrait Entreprise romande en novembre 2020. Après huit mois de pandémie de covid-19, certaines branches étaient plus particulièrement touchées par les mesures sanitaires. Les entreprises qui les composaient se battaient pour leur survie et beaucoup d’entre elles n’auraient pas remporté ce combat sans les aides publiques. Aujourd’hui, plusieurs de ces branches se portent bien, voire très bien, et créent de l’emploi. «C’est la preuve qu’on a bien fait de les aider», estime Sébastien Tondeur, président de l’Association Evénements Congrès Genève et CEO de MCI Group. Elles n’en font pas moins face à de nouveaux défis: inflation, rareté de la main-d’œuvre, tensions énergétiques. Gros plan sur quatre d’entre elles.


Agences de voyage - Vers le retour à une nouvelle normale

Si le secteur des voyages n’a pas encore retrouvé son chiffre d’affaires de 2019 – dernière année avant la pandémie – il est en bonne voie de le faire. «Nous sommes en pleine croissance, mais il faut dire que nous sommes partis de très bas», remarque Olivier Emch, président du Groupement des agences de voyage de Genève et directeur général de l’agence Executive Travel.

Les agences de voyage ont en effet été triplement touchées par la pandémie. Elles ont perdu la presque totalité de leur chiffre d’affaires pratiquement du jour au lendemain. Elles ont dû défaire les voyages qu’elles avaient organisé, une tâche chronophage et non rémunérée. Elles ont dû rapatrier des voyageurs bloqués aux quatre coins du monde, pour une rémunération qui était loin de couvrir leurs frais.

Aides publiques

Si peu d’agences ont fait faillite, c’est parce qu’elles sortaient de très bonnes années, pendant lesquelles elles ont constitué des réserves, et que les aides publiques leur ont permis de tenir le coup, malgré la quasi- disparition des recettes pendant de longs mois. Elles n’ont cependant pas échappé à une restructuration – le personnel a été réduit d’environ 15%.

La phase aiguë de la crise a pris fin en 2022. Le tourisme a repris très fort pendant l’été. «L’année s’est soldée par une baisse d’environ 30% par rapport à 2019, ce qui était déjà extraordinaire au vu de ce que nous avons traversé», raconte Olivier Emch, également membre du comité de la Fédération suisse du voyage (FSV). «En 2023, nous comptons sur une baisse de 10%, toujours par rapport à 2019. Je pense que nous retrouverons les niveaux d’avant pandémie en 2024.»

Boom du tourisme

Le marché a cependant évolué. Le tourisme individuel poursuit sa progression, malgré l’augmentation du prix des billets d’avion – plus de 10% par rapport à 2019, selon la FSV, avec des pics à 30% attendus pour juillet et août sur certaines lignes. Des destinations inaccessibles pendant la pandémie, comme le Japon et la Thaïlande, font l’objet d’une forte demande. Les agences de voyage, qui ont montré leur utilité pendant la pandémie, en bénéficient largement. Les voyageurs d’affaires, en revanche, sont moins nombreux. Leur part est passée de 22% en 2019 à 13% en 2022 à l’Aéroport international de Genève (AIG). Un quart des entreprises interrogées dans le cadre d’une étude de l’AIG ont indiqué que leur volume de voyage avait chuté d’au moins 50%.

Politiques restrictives

De grandes sociétés ont adopté des politiques plus restrictives. «Elles ne veulent pas se trouver dans la situation où elles auraient poussé leurs collaborateurs à voyager vers des destinations à risque et que l’un d’eux tombe malade à cette occasion», remarque Olivier Emch. Elles sont aussi plus attentives au prix des billets et à leurs émissions de CO2. «C’est une politique que nous soutenons», précise-t-il. «Nous avons suffisamment de travail pour ne pas vouloir organiser de voyages inutiles. Nous poussons nos clients à privilégier les vols directs, mêmes s’ils sont un peu plus chers, afin de limiter leurs émissions de CO2, et nous leur établissons des bilans carbone. Pour certaines entreprises, la visioconférence était indispensable pendant la période de pandémie. Elle reste une option, mais ne remplace pas le contact humain.»

Recrutement

La reprise est bienvenue pour le secteur, mais cause cependant un souci. Les collaborateurs ayant été licenciés pendant la crise se sont reconvertis et il est difficile de trouver du personnel qualifié.

Pour pallier la pénurie, une formation a été lancée par l’Ecole supérieure du tourisme et du outdoor, à Zurich (IST). «Cela fait vingt ans que nous proposons un cours de reconversion dans la branche du voyage», explique Peter Limacher, responsable de la formation à l’IST. «Nous l’avons remanié en collaboration avec la FSV.» D’une durée de six ou sept mois à temps partiel, il donne droit au titre de Travel Advisor, reconnu par la FSV. La première volée, d’une quinzaine de personnes, a commencé le cours le 20 mars dernier et trois autres volées sont prévues cette année. «Nous aimerions adopter cette formation en Suisse romande», remarque Olivier Emch. 


Événementiel - Tous les voyants au vert

Avis aux amateurs: le secteur de l’événementiel embauche. Après avoir été l’un des plus touchés par la pandémie de covid-19, il a connu une reprise sensible.

Le premier trimestre 2022 a encore été marqué par les mesures sanitaires, alors qu’en fin d’année, la crainte d’une pénurie d’électricité a entraîné l’annulation de certains événements, note l’organisation faîtière Expo Event. «Il s’agit d’un effet que nous n’avons pas ressenti à Genève», nuance Sébastien Tondeur, président de l’Association Evénements Congrès Genève et CEO de MCI Group, un poids lourd du secteur. «Nous avons au contraire bénéficié d’un effet de rattrapage: des événements qui avaient été repoussés à cause de la pandémie ont enfin pu être tenus.»

Au bout du compte, le chiffre d’affaires 2022 du secteur a été d’environ 70% de celui d’avant pandémie, selon l’enquête sectorielle d’Expo Event et de Tectum, l’Association suisse des constructeurs de chapiteaux et de structures temporaires.

Comme en 2019

L’effet de rattrapage s’est estompé avec le temps, mais la reprise s’est poursuivie. «Je pense qu’une grande partie des acteurs de la branche fera un plus gros chiffre d’affaires en 2023 qu’en 2019, qui était déjà une année record», avance Sébastien Tondeur. La pandémie avait vu une croissance marquée des événements virtuels ou hybrides. Elle n’a pas duré. «En moyenne, les entreprises ont réalisé entre 80% et 100% de leur chiffre d’affaires avec des événements physiques en 2022», constate Expo Event. «C’est notamment le cas dans le B2B», observe Sébastien Tondeur. «Vous ne pouvez pas vendre un système complexe, comme une machine agricole ou une plateforme informatique, par visioconférence.»

Les plus petits événements, de moins de dix ou quinze personnes, comme les réunions de conseils d’administration, se font en revanche plus fréquemment en virtuel. «Quelques événements cherchent encore la formule qui leur convient le mieux», complète Sébastien Tondeur.

Confiance

Le secteur voit l’avenir avec confiance. La pandémie a mis l’importance des interactions physiques en évidence. «De grandes entreprises ayant adopté des politiques de télétravail organisent davantage d’événements internes, afin de maintenir le sentiment d’appartenance de leurs collaborateurs», observe Sébastien Tondeur. Les événements internationaux ont repris. Cela a par exemple été le cas du First Global Challenge, une compétition tenue à Palexpo qui a permis à des lycéens de cent quatre-vingts pays de proposer des solutions robotiques visant à capturer et à stocker le carbone.

«Je pense que la croissance du secteur va se poursuivre», conclut Sébastien Tondeur. «La part de l’événementiel croît dans le budget des entreprises et les dépenses supplémentaires sont consacrées à améliorer la qualité pour offrir un meilleur contenu et une meilleure expérience utilisateur.»

Main-d’œuvre

Ces perspectives engendrent une demande de personnel qualifié. Quatre-vingts pour cent des entreprises interrogées par Expo Event et Tectum ont indiqué avoir de la peine à recruter. «Le marché du travail est en grande partie asséché», constate Expo Event. Une évolution qui a entraîné une hausse des salaires.

Autre défi: la hausse des prix des matériaux et de l’énergie exerce une pression sur les marges, qu’il sera difficile d’absorber. Expo Event s’attend à une hausse des prix de 15% à 20%.


Transport de personnes - Ça roule pour les autocaristes

Après avoir lutté pour leur survie, les autocaristes ont retrouvé le sourire. La pandémie a entraîné l’arrêt presque total de leurs activités. «Nous n’aurions pas tenu sans les aides publiques», estime André Vesin, président de l’Association genevoise des propriétaires d’autocars. Toutes les entreprises n’y sont pas parvenues. Deux d’entre elles ont disparu, sur la dizaine que comptait le canton.

Les affaires ont cependant repris très fort au printemps 2022. «Je n’avais jamais connu cela», remarque André Vesin. Les Anglo-Saxons ont inventé une expression pour désigner le phénomène: le revenge travel. Frustrés d’avoir dû rester enfermés pendant longtemps, ceux qui pouvaient se le permettre se sont mis à voyager de plus belle dès les restrictions levées. «C’était particulièrement net parmi les personnes du troisième âge», note André Vesin. «Les clubs de sport nous ont aussi beaucoup aidés.» Quant aux navettes entre l’aéroport et les stations de ski, elles ont également repris de manière marquée. Les entreprises étant un peu moins nombreuses sur le marché, le volume de travail pour chacune d’entre elles est soutenu. Les recettes permettent de rembourser peu à peu les prêts covid, même si cette charge ralentit les investissements.

Immédiateté

Les pratiques ont cependant évolué. Les commandes sont passées de plus en plus tard, y compris parmi les clients professionnels. «Il arrive qu’un organisateur nous appelle le vendredi pour un transport le lundi», note André Vesin.

A l’autre bout de la chaîne, les devis sont aussi plus difficiles à établir. «Avec l’inflation, les restaurateurs avec lesquels nous travaillons ont de la peine à s’engager sur les prix», regrette André Vesin. «Nous avons dû ajouter une clause dans nos contrats pour tenir compte d’éventuelles augmentations.» La hausse des prix de l’énergie touche également le secteur. «Entre janvier 2021 et juillet 2022, le prix auquel nous payons notre diesel a augmenté de 53%», note André Vesin. Les augmentations de coût n’ont été qu’en partie répercutées - le prix des voyages organisés a augmenté trois fois moins vite que l’inflation, selon l’Office fédéral de la statistique.

Places de parc

Autre souci: la volonté des autorités de limiter l’accès des autocars au centre-ville. Les lignes internationales du type Flixbus devraient être accueillies dans une nouvelle gare routière à construire à l’emplacement de l’actuel parking P47, au bout de la piste de l’aéroport, côté Grand- Saconnex. Seul un nombre limité de places de parc à autocar devrait être conservé à la Place Dorcière pour les touristes de passage, ce qui inquiète les autocaristes. «Elles seront très vite remplies», craint André Vesin. «Or, les chauffeurs ont besoin de pouvoir se parquer pour se reposer. Si ce n’est plus possible, des organisateurs éviteront Genève.» Des discussions sont en cours avec les autorités.


Restaurateurs - Nouvelle ère, nouveaux soucis

L’hôtellerie-restauration, après avoir été particulièrement touchée par les mesures sanitaires, a connu une reprise en 2022, avec un chiffre d’affaires supérieur de 32,3% en moyenne par rapport à 2021. «On a senti que les gens avaient à nouveau envie de sortir», témoigne Anthony Castrilli, président du Groupement professionnel des restaurateurs et hôteliers, à Genève. «La plupart de mes confrères a été très contente.» Plus de deux mille nouvelles entreprises de restauration ont été créées dans le pays, un chiffre qualifié de réjouissant par l’association faîtière Gastrosuisse. La vente à l’emporter s’est développée, avec des effets contrastés. «Quand j’ai encore de la place, je préfère que les clients mangent au restaurant, où les marges sont meilleures», remarque Anthony Castrilli, propriétaire des restaurants Cinecitta et Taqueria de los Cuñados. «Quand la salle est pleine, mais que nous avons encore de la capacité en cuisine, les ventes à l’emporter sont bienvenues.»

Pénurie

La pénurie de main-d’œuvre n’a pas disparu. «Les professionnels du service et des cuisines sont particulièrement difficiles à trouver», note Iris Wettstein, porte-parole de Gastrosuisse. Elle ne touche cependant pas tout le monde de la même manière. «Peu de Suisses se présentent», raconte Anthony Castrilli. «En revanche, je reçois des offres d’Italie et de France, et certains candidats sont très motivés.» Les prêts covid continuent à peser sur les comptes. Un petit quart des entreprises de l’hôtellerie-restauration a terminé de les rembourser, contre 40% toutes branches confondues. «Cela indique que le secteur a plus de difficultés à le faire que d’autres», juge Iris Wettstein.

Le remboursement des indemnisations vacances et des jours fériés liés aux réductions de l’horaire de travail (chômage partiel) a aussi causé des soucis. «J’ai renoncé à le demander, découragé par toutes les tracasseries administratives», confie Anthony Castrilli. «C’est un manque à gagner qui équivaut à plusieurs mois de salaire d’un employé.»

Facture énergétique

La hausse des prix de l’énergie représente un casse-tête. Les établissements passés au marché libre et devant renouveler leur contrat affrontent des hausses de prix considérables. Quelque deux mille d’entre eux (7% du total) ont dû le faire depuis début 2022 ou devront le faire cette année. Cela a été le cas de l’un des établissements d’Anthony Castrilli. Le tarif a triplé. «Or, à l’époque, on nous avait signalé que les tarifs pourraient subir des variations, mais en aucun cas de cette ampleur!», s’exclame-t-il. «Je fais maintenant très attention à ma consommation: si une recette exige une cuisson lente au four, j’hésite à la proposer.» Les marges du secteur étant faibles, les hausses de charges sont particulièrement douloureuses. Un bon tiers des entreprises estime qu’il accusera des pertes du fait de la hausse des prix de l’énergie, indique Gastrosuisse.

Inflation

Le prix des ingrédients a également beaucoup augmenté – l’alimentation a connu une inflation de 5,6% de janvier 2022 à janvier 2023, selon l’indice suisse des prix à la consommation. Certains produits très employés sont particulièrement touchés, comme les pâtes, l’huile, le sucre et les produits laitiers, dont la hausse se situe aux alentours de 10%. Les prix de la restauration, en revanche, ont augmenté moins vite que l’inflation (2,9% contre 3,3% sur la même période). Cela exerce une pression sur les marges. «Cela nous oblige parfois à changer de fournisseur ou à adapter des recettes», explique Anthony Castrilli.

«Pour le reste, tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous laisse travailler, sans venir sans cesse nous mettre des bâtons dans les roues avec de nouvelles obligations et de nouveaux règlements.» 

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