«La baisse du point Tarmed entraînera des licenciements»

Le prix des charges augmente, les rémunérations diminuent. C’est la quadrature du cercle pour les médecins généralistes, comme Didier Châtelain.
Le prix des charges augmente, les rémunérations diminuent. C’est la quadrature du cercle pour les médecins généralistes, comme Didier Châtelain.
Steven Kakon
Publié jeudi 17 octobre 2024
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#TARMED Lors de son introduction en 2004, la valeur du point Tarmed, qui sert à facturer les prestations ambulatoires à charge de l’assurance obligatoire des soins, était de 98 centimes. Elle a été baissée à 96 centimes dès 2008, puis a fait l’objet de demandes de baisse à 94, puis 91 centimes.

 

En décembre 2023, une quarantaine d’assurances ont fait recours contre la décision du Département genevois de la santé et des mobilités de fixer la valeur du point Tarmed à 96 centimes. Le Tribunal administratif fédéral l’a admis et a réduit provisoirement le point à 94 centimes, soit une diminution de revenus pour les médecins de 2%. Il se prononcera sur le fond entre fin 2024 et début 2025.

Cet été encore, trois assureurs - Helsana, Sanitas et KPT - ont demandé une nouvelle baisse, avec une valeur de 91 centimes, accordée. Les médecins doivent donc facturer leurs prestations 6% moins cher pour les assurés de ces compagnies. Interview avec le docteur Didier Châtelain, président de l'Association des médecins de famille à Genève.

Qu’est-ce qui vous a poussé à protester au parc des Chaumettes, devant les HUG, avec des dizaines d’autres médecins le 16 septembre dernier?

C’est le coup de poignard dans le dos que nous avons tous reçu cette année, qui nous empêche de prodiguer des soins de qualité et qui va nous entraîner à ne plus pouvoir délivrer certaines prestations. Notre masse de travail a augmenté, or, il est difficile de nous demander de continuer à fournir des soins de qualité quand en parallèle on baisse notre rémunération. Ces dernières années, nous avons travaillé gratuitement de très nombreuses heures par semaine et par mois. En effet, nous ne pouvons pas facturer à l’assurance plus de dix minutes par mois pour les patients de moins de 65 ans et plus vingt minutes par mois pour les patients de plus de 65 ans ou les cas complexes. Tout le travail qui n’est pas effectué en présence du patient au cabinet médical ne peut être facturé.

Quelles sont ces tâches réalisées gratuitement?

Il s’agit du temps passé à répondre aux infirmiers qui ont un souci au domicile du patient, aux autres prestataires de soin et à la famille. Ce temps n’est pas facturable, donc pas facturé, alors que cela représente au minimum une à deux heures par jour de notre temps de travail.

Les médecins de premier recours - essentiellement les médecins de famille, les pédiatres, les gériatres, les psychiatres - subissent cette réforme de plein fouet. En tant que médecin de famille, vous êtes donc en première ligne?

Oui, nous sommes les plus touchés, et plus gravement, car nous n’avons pas de gestes techniques qui amènent une rémunération supplémentaire. Nous n’avons pas non plus la possibilité de facturation hors LAMal (assurance obligatoire des soins - ndlr), contrairement à d’autres spécialités. Nous avons de réelles difficultés. Je tiens à rappeler qu’un médecin de famille est un spécialiste de médecine interne générale, ce qui implique au minimum cinq ans d’études après le diplôme de médecine, et la réussite de l’examen fédéral.

Pourquoi les médecins de premiers recours gagnent-ils moins alors que le point Tarmed est le même pour tous?

Le médecin de premier recours n’a que très peu de gestes techniques qui, eux, sont valorisés en termes de nombre de points. Nous ne facturons que le temps d’écoute et d’examen clinique, à la différence d’autres spécialistes qui peuvent effectuer des gestes techniques rémunérateurs. Je ne parle même pas des spécialités qui travaillent avec les assurances privées, c’est-à-dire hors TarMed et qui peuvent gagner beaucoup d’argent.

De combien le revenu moyen de vos consultations a-t-il baissé ces dernières années?

En vingt ans, mon tarif horaire n’a cessé de diminuer. Il a baissé d’environ 23%.

De combien ont augmenté vos charges?

Il est difficile de donner un chiffre, car il faudrait prendre en compte l’augmentation de l’énergie, des fournitures, etc. Globalement, je constate une diminution du pouvoir d’achat de plus de 40% en considérant le salaire de mon assistante, le loyer et les prix généraux qui augmentent chaque année.

Les médecins de familles genevois se mobilisaient déjà en 2008 et 2009 lors de la première baisse du point Tarmed depuis son introduction en 2004. Cette nouvelle baisse met-elle en péril la profession?

Elle met surtout en péril notre capacité à pouvoir promulguer des soins de manière adéquate. Le risque, c’est qu’on ne puisse plus rémunérer notre personnel médical, ce qui entraîne déjà et va encore entraîner des licenciements partiels, voire complets. Si je licencie mon assistante médicale, il n’y aura plus de réponse téléphonique les après-midis et de prestations médicales effectuées dans ces horaires, donc de soins prodigués par téléphone, de réponses urgentes. La deuxième conséquence à cela, c’est que des patients vont devoir se rendre dans les services d’urgence, dont l’engorgement va nettement s’aggraver.

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