Droit d’accès de l’employé à ses données personnelles face à l’intérêt prépondérant de tiers
Marina Popadic
Publié vendredi 31 octobre 2025
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#Droit
L'accès d'un employé à ses données personnelles est-il absolu?
Le droit d’accès aux données personnelles est un élément clé du droit de la protection des données. Il recouvre, d’une part, le droit d’être informé sur demande et, d’autre part, le droit de consulter ses données1. En principe, le droit d’accès est inconditionnel et ne demande pas de justification. Il n’est néanmoins pas absolu, car il arrive qu’une demande d’accès soit en conflit avec d’autres intérêts.
I. Définitions
L’accès aux données personnelles peut être refusé, restreint ou différé, notamment dans le cas où les intérêts prépondérants de tiers l’exigent2. Dans ce cas, un motif doit être indiqué à la personne étant à l’origine de la demande d’accès3.
Un intérêt prépondérant de tiers existe lorsque l’anonymat de l’informateur est prépondérant parce que celui-ci s’est vu promettre l’anonymat ou la confidentialité, qu’il pouvait se fier de bonne foi à cette garantie (vu la nature délicate de l’information, p. ex. accusation d’infractions pénales ou éléments de la vie familiale communiqués à un médecin, informations données par un lanceur d’alerte) et que la levée de l’anonymat entraînerait un risque physique, psychique ou matériel pour lui ou ses proches4.
Ainsi, l’accès ne doit être restreint que si cela est vraiment indispensable et au regard des différents types de limitations (refus, restriction, ajournement) et modalités (p. ex. renseignement par oral uniquement, après anonymisation, assorti d’une obligation de confidentialité)5.
Deux décisions judiciaires récentes illustrent cette restriction spécifique au droit d’accès.
II. Casuistique
Dans l’arrêt 1C-375/2024 du 1er mai 2025, le Tribunal fédéral s’est prononcé en faveur de la limitation du droit d’accès par une employée à ses données personnelles dans le cadre d’une évaluation par les pairs. Une professeure associée à l’EPFL non promue demandait à consulter son dossier d’évaluation en lien avec sa demande de promotion. Le Tribunal fédéral a jugé que, dans ce contexte, le droit d’accéder à ses données personnelles devait être limité par l’intérêt public et privé des pairs consultés au maintien de la confidentialité de leur identité et du contenu de leurs avis.
La professeure non promue soutenait que seuls les noms des rapporteurs étaient traditionnellement anonymisés et non leurs appréciations. Un caviardage limité aux noms des experts n’aurait pas permis, toutefois, de garantir leur identité confidentielle, dès lors que les experts indiquaient la nature de leurs relations professionnelles passées ou présentes avec la professeure, ainsi que leur domaine de compétence. Dans ces conditions, un caviardage limité aux noms des experts n’aurait effectivement pas été apte à garder leur identité secrète.
Sans garantie d’anonymat, il existe un risque que les experts refusent de se prononcer. Il est, par ailleurs, aussi nécessaire de garantir l’anonymat afin de maintenir un environnement de travail serein. Aussi, les experts interrogés pouvaient compter sur le fait que leurs noms allaient être tenus secret et leur intérêt à la confidentialité devait être pris en considération dans la pesée des intérêts. En l’occurrence, l’intérêt au maintien de la confidentialité a prévalu et le refus opposé à la demande d’accès de la professeure non promue à ses données personnelles était bien conforme au principe de proportionnalité6.
Un second arrêt très récent a été rendu par la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice de Genève7. Un professeur a longtemps travaillé au sein d’une institution universitaire autonome et y a dirigé un département durant huit ans. L’employeuse a fait réaliser une enquête interne au sujet du climat de travail dudit département afin d’identifier d’éventuels dysfonctionnements et d’examiner l’ambiance générale. Bien que l’enquête interne ne visât pas spécifiquement le professeur, ce dernier a réclamé la communication du rapport d'enquête divisé en six parties. Il convient de préciser que, dans le cadre de cette enquête, plusieurs professeurs et collaborateurs du département ont été entendus par l’enquêteur, lequel a assuré qu’il préserverait l’anonymat et la confidentialité tant de leur identité que de leurs déclarations. A cette fin, l’enquêteur a remis à l’employeuse un rapport d’enquête dans lequel il a caviardé les noms des personnes entendues et leurs déclarations. En l’occurrence, le professeur a demandé l’intégralité du rapport d’enquête. L’employeuse s’est, quant à elle, opposée à une remise même partielle dudit rapport. La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice genevoise a condamné l’employeuse à remettre au professeur uniquement une copie partielle de certaines parties du rapport d’enquête.
En particulier, le professeur s’est vu remettre la partie I du rapport d’enquête consacrée à la mission confiée à l’enquêteur, afin de connaître le but et l’enjeu dans lesquels les données ont été recueillies à son sujet. Les parties II et III ne contenaient aucune donnée personnelle concernant le professeur, de sorte que ce dernier n’a pas pu prétendre à leur accès. L’accès aux parties IV et V du rapport d’enquête a été refusé. En effet, ces parties contenaient des données personnelles et, à leur lecture, il apparaissait que, malgré le caviardage de l’identité des personnes entendues, leur identification aurait pu se faire sur la base de leurs déclarations, d’indices ou de recoupements. La remise des parties IV et V n’a donc pas pu être accordée au professeur, sauf à porter une atteinte illicite aux droits de la personnalité des personnes ayant témoigné sous le sceau de la confidentialité.
Quant à la partie VI, laquelle consistait en un résumé général de l’enquête et de son résultat, seuls les paragraphes contenant des données personnelles concernant le professeur lui-même ont été remises à ce dernier.
III. Conclusion
Sans minimiser le droit d’accès aux données personnelles, le Tribunal fédéral a reconnu que le maintien de la confidentialité des rapports d’évaluation devait l’emporter sur ledit droit d’accès. Notre Haute Cour a ainsi reconnu le principe de protection de l’anonymat des experts. Au niveau cantonal, les juges genevois ont refusé l’accès à certaines parties d’un rapport d’enquête interne malgré un caviardage, afin de préserver l’anonymat et la confidentialité de l’identité et des déclarations des personnes ayant été auditionnées.
Ces deux décisions illustrent comment le droit d’accès aux données personnelles peut être restreint lorsque la divulgation compromet la confidentialité légitimement attendue par des tiers. Nos autorités exigent une pesée rigoureuse des intérêts en cause et une application proportionnée des limitations prévues par la loi sur la protections des données.
1 Cf. art. 25 et suivants de la Loi fédérale sur la protection des données du 25 septembre 2020 (LPD), RS 235.1.
6 La décision a été rendue sous l’empire de l’ancienne version de la LPD (aLPD). L’art. 9 aLPD permettait de refuser ou restreindre l’accès lorsque des intérêts prépondérants d’un tiers ou de l’intérêt public l’exigeaient. Cela étant, le résultat n’aurait pas été différent sous le nouveau droit en application de l’art. 26 al. 1 let. b LPD.
7 Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice ACJC/1187/2025 du 1er septembre 2025.
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