Il faudra calculer le bilan carbone des bâtiments construits et rénovés
Pierre Cormon
Publié vendredi 18 février 2022
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#CO2 Une nouvelle loi devrait avoir des répercussions sensibles sur la manière de concevoir et de construire des bâtiments dans le canton.
Tous les métiers liés à la construction, à Genève, vont vivre un grand changement. Une loi visant à minimiser l’empreinte carbone des bâtiments a en effet été votée par le Grand Conseil, en fin d’année dernière. Concrètement, pour toute construction ou rénovation de grande ampleur, il faudra calculer l’empreinte carbone de chaque matériau de construction (c’est-à-dire la quantité de gaz à effet de serre qu’a nécessité sa fabrication, son transport et sa mise en œuvre). Dans un deuxième temps, le canton pourra définir des seuils à ne pas dépasser pour chaque matériau (probablement ceux de la norme SIA 2040). Enfin, les concepteurs devront privilégier les options les moins émettrices de gaz à effet de serre, en commençant par le réemploi de matériaux existants, et à défaut, le recyclage1.
Lacune
Cette loi vise à combler une lacune. Si de nombreuses prescriptions visent à limiter la consommation énergétique des bâtiments, il n’existait jusqu’alors aucune prescription sur l’énergie ayant été employée pour les construire et les émissions de gaz à effet de serre engendrées. Or, cette énergie est globalement faramineuse. On estime par exemple que le ciment est à l’origine de 8% à 10% des émissions de CO2 dans le monde. Et il ne représente qu’une partie des émissions liées au béton armé: en Suisse, la plus grande partie vient des armatures, qu’on a tendance à doser plus généreusement qu’ailleurs. «En Suisse, deux tiers de l’impact climatique d’un bâtiment neuf et performant vient de son énergie grise», ajoute Thomas Jusselme, professeur associé à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.
Le projet de loi a suscité des réserves des milieux économiques, traditionnellement plus favorables aux incitations qu’aux obligations. Il n’en a pas moins été accepté par le Grand Conseil, le 10 décembre. Le Conseil d’Etat doit maintenant édicter le règlement d’application, en concertation avec les acteurs de la filière, et fixer la date d’entrée en vigueur de la loi.
«L’obligation de calculer le bilan carbone aura un effet sur l’ensemble de nos pratiques», juge Sylvia Bernardi, architecte. La mise en œuvre de la nouvelle loi pose de nombreuses questions, comme l’a montré une conférence-débat organisée par la section genevoise de la Société suisse des architectes et ingénieurs (SIA), le 27 janvier à la FER Genève. On ne sait actuellement même pas si elle s’appliquera aussi au génie civil.
Réemploi
L’option privilégiée par la loi, le réemploi de matériaux issus de la déconstruction d’ouvrages, demandera notamment un effort d’adaptation. Lorsqu’ils construisent à neuf, les architectes peuvent commander les matériaux de manière à ce qu’ils soient livrés à la date dont on en a besoin sur le chantier. C’est bien plus difficile avec le réemploi. Les matériaux de réemploi ne sont pas standardisés et la quête de l’élément adéquat peut être ardue. «Il y a un déphasage entre la disponibilité et les besoins», note Ignace Perrigaud, président de la commission développement durable de la section genevoise de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). Lorsqu’on trouve les matériaux dont on a besoin, il vaut mieux les acheter tout de suite pour éviter qu’ils soient acquis par quelqu’un d’autre. On peut donc avoir à les stocker. Or, les bureaux d’architectes et les chantiers sont rarement en mesure de le faire.
Questions juridiques
Le réemploi soulève également des questions juridiques. Un matériau neuf est garanti par le fabriquant. Ce n’est pas le cas d’un élément de réemploi. Qui doit alors porter la responsabilité en cas de défaut? La question reste ouverte.
De manière plus générale, avec les nouvelles obligations découlant de la loi, «la définition des objectifs et les études préliminaires gagneront en importance», juge Sylvia Bernardi. Or, la rémunération de l’éventuel travail supplémentaire que cela implique reste à préciser.
Nouveaux moyens
Des initiatives visent cependant à donner aux acteurs les moyens de remplir leurs obligations. Un outil permettant de calculer l’empreinte carbone a été développé par le canton, les SIG et la SSE. Le programme ECOMAT permet de préserver les ressources en gravier. Des ressourceries proposant du matériel de réemploi se créent, à l’exemple de Materium. Une plateforme d’échange nationale de ces matériaux est en voie de réalisation. Les acteurs pourront être accompagnés dans son usage – c’est le rôle que se propose de jouer le projet genevois reuzi, de l’association Soreva. «Nous en sommes à la finalisation du montage financier», explique Damien Varesano, l’un des acteurs de l’association. Tout le monde est cependant conscient qu’il reste beaucoup à faire pour que les pratiques promues par la nouvelle loi deviennent une routine.
1Le recyclage consiste à utiliser un matériau usagé comme matière première pour construire un nouveau matériau. Le réemploi consiste à réutiliser des matériaux tels quels, sans leur faire subir de transformation.
Aucun matériau n’est exclu
La nouvelle loi a renoncé à prescrire l’usage de matériaux précis. Leur nature n’est en effet pas toujours prépondérante dans leur bilan carbone. Celui du béton est généralement très lourd, et le bois est vu comme écologique. On sait cependant maintenant fabriquer des bétons bas carbone, et même des granulats permettant de capturer du CO2. Le bilan carbone du bois, en revanche, peut être péjoré par les transports dont il fait l’objet. Même le bois suisse parcourt parfois de longues distances. Les différences de coût font en effet qu’il est souvent transformé à l’étranger, avant d’y être réexporté.
Bref, ce n’est pas le matériau seul qui fait le bilan carbone, mais tout un ensemble de paramètres, dont il faudra tenir compte dans les calculs.
Le réemploi pris en compte dans le Campus Pictet de Rochemont
Les travaux du nouveau Campus Pictet de Rochemont, qui offrira notamment deux mille cinq cents places de travail aux collaborateurs du Groupe Pictet (gestion de fortune et d’actifs), ont débuté, avec la démolition d’anciens bâtiments. Ou plutôt la déconstruction, car les éléments qui s’y prêtent, comme les parquets, sont conservés et confiés à la ressourcerie Materium.
Le béton, lui, sera recyclé dans le cadre du projet ECOMAT du canton de Genève. Des produits recyclés, comme du cuivre ou des granulats de béton, seront utilisés pour bâtir le nouveau bâtiment. Il a également été conçu dès l’origine de manière à favoriser sa déconstruction et la réutilisation d’un maximum de ses matériaux, en fin de vie. Des fiches seront établies pour chaque élément et une base de données permettra de savoir précisément ce qu’on peut y puiser. Le campus constituera donc une banque de matériaux, selon l’expression de Jean-Hugues Hoarau, chef du projet au sein du Groupe Pictet. «Cette démarche demande davantage de travail au stade de la conception, mais il s’agit d’un investissement, car elle donnera une valeur plus élevée au bâtiment.»
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