Opinions

Phantasmes et réalité

Pierre Cormon Journaliste Publié vendredi 18 mars 2022

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Les Suisses ne s’intéressent pas beaucoup au Liechtenstein. Ils devraient le faire.

Alors qu’ils cherchent depuis des années quelle forme donner à leurs relations avec l’Union européenne (UE), la principauté a résolu ce problème depuis longtemps, en adhérant à l’Espace économique européen (EEE) (lire : Le petit pays qui vit serein dans l’Espace économique européen). Elle échappe ainsi aux tourments politico- identitaires qui affectent la Suisse. «Juges étrangers», directive sur la citoyenneté européenne, interdiction des aides d’Etat, etc. Le Liechtenstein connaît bien les questions qui ont conduit la Suisse à enterrer l’accord cadre avec l’UE. Elles se posent à lui depuis la création de l’EEE, en 1994. Or, ces soi-disant menaces se sont révélées des tigres de papier.

En cas de litige

relatif au droit européen, le Liechtenstein peut solliciter l’interprétation de la Cour européenne de justice (les «juges étrangers»), comme c’était le cas dans l’accord cadre. En vingt-cinq ans, il n’a jamais eu besoin de faire appel à ce mécanisme. La directive sur la citoyenneté a fait craindre une explosion de tourisme social en Suisse. Cela n’a été le cas dans aucun pays de l’EEE. En plus de quinze ans, rien n’a changé sur le terrain. L’interdiction des aides publiques aurait pu forcer les cantons à retirer les garanties qu’ils octroient aux banques cantonales. C’est ce qu’a fait le Liechtenstein avec sa Landesbank. Elle n’en a pas souffert; elle a gardé ses activités, ses clients, et l’EEE lui a ouvert de nouveaux marchés.

Les mesures

d’accompagnement posent une question plus complexe. Bien que le Liechtenstein n’en possède pas un ensemble comparable à celui de la Suisse, il n’a pas souffert de sous-enchère salariale. En Suisse, en revanche, certains secteurs sensibles en ont connu. On a donc craint que l’accord cadre n’affaiblisse la protection des travailleurs, en raccourcissant le délai d’annonce des entreprises de l’UE venant travailler en Suisse. Pourtant, la mise en œuvre des contrôles comprend de nombreuses marges d’amélioration qui auraient pu largement compenser l’effet de ce raccourcissement. Alors que les Liechtensteinois étaient très divisés sur l’opportunité d’entrer dans l’EEE, ils sont maintenant convaincus d’avoir opéré le bon choix, à une très large majorité.

Au vu de leur expérience,

il est difficile d’échapper à l’impression que nous nous sommes laissés effrayer, non par des menaces sérieuses, mais par nos propres phantasmes. Nous nous sommes ainsi mis dans une situation bien pire que celle que nous voulions éviter.