Salarié ou indépendant: critères de distinction au regard des assurances sociales

Karine Eychenne-Serizay
Publié vendredi 20 juin 2025
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#Assurances sociales En droit des assurances sociales, le revenu acquis d’une activité lucrative constitue soit un revenu d’une activité salariée, appelé salaire déterminant, soit le revenu d’une activité indépendante.

La qualification donnée à la rémunération est ainsi essentielle, car la protection sociale obligatoire des indépendants et des salariés n’est pas la même. En effet, un indépendant ne pourra par exemple pas prétendre au bénéfice de l’assurance-chômage ni à une couverture obligatoire de l’assurance-accident ou de la prévoyance professionnelle1. Cette distinction revêt également une importance notable pour le calcul et la perception des cotisations sociales qui ne sont pas les mêmes suivant qu’il s’agisse d’un revenu d’indépendant ou d’un salaire.

Compétence

La tâche de qualifier une rémunération incombe aux caisses de compensation AVS (dans certains cas à la SUVA également)2. La qualification donnée lie en principe les autres assurances sociales (telles que l’assurance-chômage notamment), garantissant ainsi une mise en œuvre uniforme dans toutes les branches d’assurances sociales3.

Comment s’opère cette distinction?

La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA)4, qui s’applique notamment en droit de l’AVS, opère une distinction entre le salarié qui fournit un travail dépendant et perçoit à ce titre un salaire déterminant, et celui dont le revenu ne provient pas de l’exercice d’une activité en tant que salarié, et qui exerce donc une activité indépendante5. La loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS)6 n’apporte pas de précisions concrètes sur les critères permettant de distinguer les deux types de revenus, mais prévoit le principe de la perception de cotisations tant sur le revenu provenant d’une activité dépendante, quelle que soit la forme de la rémunération, qu’indépendante7. Il faut donc se fonder sur la jurisprudence et les Directives édictées par l’Office fédéral des assurances sociales8 pour opérer la distinction concrète entre les deux types de rémunération. La qualification en droit des assurance sociales ne sera d’ailleurs pas nécessairement similaire à celle retenue en droit du travail ou par les autorités fiscales9. Il convient de noter également qu’il est possible d’avoir plusieurs activités et donc de percevoir des revenus salariés pour une activité et des revenus indépendants pour une autre activité.

Critères de distinction

La jurisprudence a énoncé les critères permettant de retenir l'existence d'une activité indépendante ou salariée. Il n’existe pas de présomption juridique en faveur de l’une ou l’autre des activités10. Les circonstances économiques sont déterminantes. Les directives de l’OFAS précisent qu’est considéré comme exerçant une activité salariée celui qui ne supporte pas de risque économique analogue à celui qui est encouru par l’entrepreneur et dépend de son employeur du point de vue économique ou dans l’organisation du travail11. Le rapport social de dépendance économique, respectivement dans l’organisation du travail du salarié se manifeste notamment par l’existence:

  • d’un droit de donner des instructions au salarié;
  • d’un rapport de subordination;
  • de l’obligation de remplir la tâche personnellement;
  • d’une prohibition de faire concurrence;
  •  d’un devoir de présence12.

Selon la jurisprudence constante, le risque économique d'entrepreneur peut être défini comme étant celui que court la personne qui doit compter, en raison d'évaluations ou de comportements professionnels inadéquats, avec des pertes de la substance économique de l'entreprise. Constituent notamment des indices révélant l'existence d'un tel risque le fait que la personne concernée opère des investissements importants, subit les pertes, supporte le risque d'encaissement, assume les frais généraux, agit en son propre nom et pour son propre compte, se procure elle-même les mandats, occupe du personnel et utilise ses propres locaux commerciaux13. En fonction de la nature de l’activité déployée, il conviendra d’accorder plus d’importance au critère d’indépendance économique et organisationnelle et moins au critère du risque économique d’entrepreneur.

Ne constituent en revanche pas des critères décisifs, la manière dont les parties définissent leur relation contractuelle ni les rapports de droit civil qui peuvent fournir certains indices, sans que cela ne soit déterminant.

 

Nouvelles formes de travail

Le développement, ces dernières années, de nouvelles formes de travail liées notamment à la numérisation a remis en lumière la question de la distinction entre activité salariée et indépendanteibid. C’est notamment le cas pour les travailleurs de plateforme14. Le Tribunal fédéral a ainsi récemment jugé, s’agissant de chauffeurs VTC et livreurs, que les «critères de délimitation développés par la jurisprudence en référence aux formes de travail traditionnelles sont applicables aux modèles d’affaires numérisés comme le travail sur plateforme»15.

C’est également le cas pour le portage salarial. Cette forme de travail, développée en France, ne se trouve pas en tant que telle dans le droit suisse et il n’existe pas de définition légale de cette notion. Il s’agit généralement d’une relation tripartite entre une personne exerçant une activité indépendante, une clientèle et une entreprise de portage. Ce modèle d’affaires, qui consiste le plus souvent à annoncer comme salariées auprès des assurances sociales des personnes qui sont en réalité indépendantes, n’est pas conforme à la réglementation suisse, dans la mesure où l’entreprise de portage interposée, qui se charge uniquement de la facturation et de l’encaissement auprès de la clientèle, déclare des rémunérations auprès des assurances sociales en tant qu’employeur fictif. Les personnes qui travaillent selon ce modèle risquent ainsi de ne pas pouvoir être considérées comme salariées, mais au contraire comme indépendantes au regard du droit de l’AVS. Cela peut par exemple conduire à un refus de prestations de l'assurance chômage16.

Conclusion

Lorsque l’on contracte avec une personne qui se présente comme «indépendante», il convient de s’assurer, si cela n’est pas déjà établi, que l’activité pour laquelle l’on entend lui confier un travail a bien été qualifiée d’indépendante par la caisse de compensation. En règle générale, l’attestation d’affiliation auprès d’une caisse de compensation délivrée à la personne indépendante permet de confirmer son statut tel que reconnu par cette caisse. L’affiliation en tant qu’indépendant auprès d’une caisse n’exclut toutefois pas que, dans un cas particulier (par exemple une nouvelle collaboration), les conditions d’une indépendance ne soient plus réunies. En cas de doute, il convient ainsi de se rapprocher de sa propre caisse de compensation afin de vérifier que l’activité confiée remplit bien les critères d’une activité indépendante au regard des assurances sociales. Dans tous les cas, il n’est pas suffisant de vérifier ou d’exiger que la personne soit inscrite au Registre du commerce, une telle inscription n’étant pas déterminante pour reconnaître le statut d’indépendant.

 


1Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG (DSD), chiffre marginal 1041 

2CHSS du 29 juin 2023, La protection sociale des indépendants est-elle suffisante?

3Rapport du Conseil fédéral du 14 novembre 2001 sur un traitement uniforme et cohérent des activités lucratives dépendantes et indépendantes en droit fiscal et en droit des assurances sociales, FF 2002, p. 1076 ss

4RS 830.1

5Art. 10 et 12 LPGA

6RS 831.10

7Art. 5 et 9 LAVS

8Voir notamment Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG (DSD)

9DSD, chiffre marginal 1038 et les références citées

10DSD, chiffre marginal 1021

11DSD, chiffre marginal 1018 et les références citées

12DSD, chiffre marginal 1020

13TF, 9C-460/2015 du 18 novembre 2015, consid. 3.4 et les références citées

14Rapport du Conseil fédéral du 27 octobre 2021, Numérisation - Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales («Flexi Test»)

15MAGOGA-SABATIER SABRINE, Qualification en droit des assurances sociales des activités des chauffeurs et livreurs Uber. Analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C-70/2022, Newsletter rcassurances.ch mai 2023; TF 9C-70/2022, 9C-71/2022, 9C-75/2022 et 9C-76/2022 du 16 février 2023

16Factsheet Portage salarial, Office fédéral des assurance sociales, juin 2022; CHSS du 29 juin 2023, La protection sociale des indépendants est-elle suffisante?

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