Droits de douane: céder un peu pour sauver l'essentiel

Jan Atteslander, responsable du département Economie  extérieure d’economiesuisse: «Les investissements helvétiques à l'étranger bénéficient beaucoup à la Suisse».
Jan Atteslander, responsable du département Economie extérieure d’economiesuisse: «Les investissements helvétiques à l'étranger bénéficient beaucoup à la Suisse».
Pierre Cormon
Publié lundi 08 décembre 2025
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#Commerce international Les concessions accordées par la Suisse aux Etats-Unis en échange de la baisse des droits de douane sont limitées, estime l'expert d'economiesuisse.

La Suisse a-t-elle fait une bonne affaire, en obtenant la baisse des droits de douanes étasuniens à 15% sur ses produits en échange de plusieurs concessions? Depuis la signature de la déclaration d'intention entre les deux pays, le 14 novembre, le débat est animé. L'avis de Jan Atteslander, responsable du département Economie extérieure d'economiesuisse, l'une des trois organisations faîtières de l'économie helvétique.

On entend que la Suisse a moins à perdre avec 39% de surtaxes douanières qu'avec les deux cents milliards de dollars qu'elle s'est engagée à investir aux Etats-Unis d'ici à 2030.
Les personnes qui formulent cette critique devraient plutôt regarder les faits. Les entreprises suisses ont toujours beaucoup investi à l'étranger, en Europe, en Asie, aux Etats-Unis. Elles constituent le douzième investisseur transfrontalier mondial, le sixième aux Etats-Unis et, dans ce pays, le premier en termes de recherche et développement. Elles ont créé plus de deux millions d'emplois à l'étranger, un développement structurel qui a commencé il y a environ cent cinquante ans. Cela leur permet de bénéficier de capacités supplémentaires dont elles ne pourraient pas disposer en se contentant d'investir en Suisse. Nous profitons énormément de ces investissements et il continuera d'en être ainsi. La solution de remplacement est de perdre l'accès au marché étasunien, ce qui ne profitera à personne.

Que se passera-t-il si les investissements suisses n'atteignent pas deux cents milliards de dollars en 2030?
Il est trop tôt pour le dire. Ce sont des éléments qui devront être discutés dans le cadre des négociations entre les deux pays. Ce qu'on peut dire à ce stade, c'est que de grandes entreprises suisses, notamment à Genève et à Bâle, sont très intéressées à accroître leurs investissements aux Etats-Unis. Certains projets sont déjà en cours de réalisation. L'évolution des investissements dépendra aussi de l'évolution économique des Etats-Unis: plus elle sera positive, plus les entreprises seront incitées à les accroître. Une autre salve de critiques vise les contingents exempts de droits de douane que la Suisse introduira pour le bœuf et la volaille étasuniens. Or, ce pays autorise le bœuf aux hormones et le poulet lavé au chlore. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Ces quotas représentent 0,7% de la consommation de viande en Suisse, qui est tendanciellement en diminution. C'est donc une part infime du marché. Il n'est d'ailleurs pas garanti que ces quotas supplémentaires seront alloués à du bœuf élevé aux hormones ou du poulet lavé au chlore. La Suisse est un marché intéressant pour les produits de haut de gamme, qui ne font pas forcément appel à ces méthodes. Enfin, il faut respecter le choix des consommateurs. Ces produits seront étiquetés et chacun sera libre de les acheter ou non. Des milliers de touristes suisses visitent chaque année les Etats-Unis et y consomment de la viande de bœuf ou du poulet américains. C'est leur choix, et il faut le respecter.

La Suisse devrait avoir un plan B, estimait récemment l'historien Joseph De Weck. Qu’en pensez-vous?
Nous sommes déjà dans le plan B, avec des droits de douane à 39%, des milliers d'emplois perdus dans l'industrie et le risque de devoir abattre des milliers de vaches si les exportations de Gruyère vers les Etats-Unis ne reprennent pas. Cela dit, il est clair qu'il faut continuer à diversifier nos exportations, notamment avec des accords de libre-échange. Nous pouvons aussi améliorer nos conditions cadre, notamment en réduisant la bureaucratie. Aucun marché n'est cependant en mesure de remplacer les Etats-Unis, qui constituent notre deuxième partenaire commercial après l'Union européenne. Nous devons définir les priorités. A court terme, il s'agit de faire baisser les droits de douane à 15%, ce qui devrait être fait tout prochainement (l'interview a été réalisée le 3 décembre - ndlr). Faudra-t-il concéder quelque chose en échange? Oui. Ces concessions seront-elles disproportionnées? Non. A moyen terme, nous devons négocier le meilleur accord possible avec les Etats-Unis. Je suis optimiste. Ils n'ont pas une hostilité particulière envers la Suisse et nos relations mutuelles leur sont aussi très profitables. Nos machines de très haut niveau technologique, par exemple, aident leurs entreprises à être plus performantes et nos investissements y créent beaucoup d'emplois à haute valeur ajoutée. A long terme, enfin, nous devons résister à la tentation de subventionner nos entreprises exportatrices, comme le font d'autres pays. On observe au niveau international un mouvement de fond contre ce qu'on appelle les pratiques commerciales déloyales, et ces subventions en font partie. Des mesures pourraient être prises pour les sanctionner. La Suisse, si elle reste fidèle à sa ligne, n'y sera pas exposée.

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