Elina Duni, vivre de sa musique, un défi permanent
Pierre Cormon
Publié vendredi 07 juillet 2023
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#Portrait Un bref portrait de l'artiste albano-suisse Elina Duni.
Musicalement, Elina Duni a un beau parcours. Ses albums sont publiés par le plus prestigieux label de jazz européen, ECM. Elle a été adoubée par la presse spécialisée et donne des dizaines de concerts par an. Elle est invitée en Europe occidentale, aux Etats-Unis, dans les Balkans, dans le monde arabe, au prochain festival de Montreux.
N’en concluez pas que la musicienne de jazz albano-suisse roule sur l’or. «Je vis essentiellement de ma musique, mais modestement: je n’ai pas de famille, pas de voiture et pas de chien», sourit-elle.
Révélateur
La pandémie de covid-19 a brusquement mis en lumière le statut des artistes en Suisse. «Contrats courts, rémunérations faibles voire inexistantes, travail informel, heures supplémentaires: la précarité est bien souvent la norme pour les acteurs culturels», souligne un rapport de la Ville de Genève. Dans le domaine des musiques actuelles, la plupart des musiciens ne boucle leur budget que grâce à d’autres sources de revenu, comme un poste d’enseignant.
Elina Duni fait donc partie des exceptions. Le résultat d’un parcours commencé très tôt. Née dans une famille d’artistes connue en Albanie, elle a commencé à se produire sur scène à l’âge de 5 ans. Arrivée à Genève à l’âge de 10 ans, elle y a passé sa maturité avant de partir étudier la musique à la Haute école bernoise des arts.
Croisement
C’est là qu’elle a créé le Elina Duni Quartet, en 2004, avec un projet singulier: reprendre des chansons albanaises en version jazz, ainsi que quelques classiques de la chanson française. Le premier album est sorti en 2008, l’année de son diplôme, chez le label allemand Meta Records.
Les gains tirés de sa musique ne lui permettaient cependant pas encore de vivre. Elle a dû postuler à des aides, une activité chronophage. Elle a notamment été soutenue par Pro Helvetia, l’Université de Berne et le canton de Berne. «C’est à partir du deuxième album, en 2010, que j’ai pu vivre de ma musique», raconte-t-elle.
Adoubée
Sa démarche musicale a été adoubée par la presse suisse et internationale et lui a valu de signer avec le prestigieux label ECM Records. «La musique peut sembler sans effort, mais elle recèle des couches de complexité qui en font une révélation à chaque fois», estimait le site All About Jazz en 2012. «Duni articule chaque syllabe avec une délicatesse pénétrante qui vous fait presque imaginer l’air autour d’elle en train de frémir», ajoutait The Guardian en 2015.
Le quartet n’existe plus, mais la carrière d’Elina Duni se poursuit, en solo ou avec son partenaire Rob Luft. Elle a donné plus de cinquante concerts en 2022, une septantaine en 2019, une soixantaine l’année d’avant.
Les revenus de cette activité sont loin d’être uniformes. Les cachets varient selon les pays. Ils sont généralement bas au Royaume-Uni, où les organisateurs ne touchent pas de subventions, plus élevés en France, mais où les prélèvements obligatoires en représentent la moitié.
Les cachets ne sont pas les mêmes selon l’organisateur – un petit club n’a pas les mêmes moyens qu’un grand festival. Les frais varient également. Elina Duni se produit parfois en solo ou en duo, avec Rob Luft, d’autres fois en trio, quartet et quintet. Les deux partenaires doivent alors payer les musiciens, à un tarif qu’ils essaient de maintenir constant, malgré la variabilité des cachets.
Depuis le début de sa carrière, les conditions se sont péjorées. «Il y a une dizaine d’années, le transport était toujours pris en charge par l’organisateur», raconte Elina Duni. «Maintenant, la tendance est à accorder un cachet global. C’est alors au musicien d’organiser le transport et parfois même l’hébergement.
On essaie de diminuer les frais en organisant des tournées, mais au bout du compte, nous y perdons.» Le covid a aussi porté un coup à la musique live. «De nombreuses salles ont fermé», note-t-elle.
Les revenus baissent
Les droits d’auteur constituent une autre source de revenus. Là aussi, la variabilité est la règle. Un album vendu peut lui rapporter de 0,92 à 3,36 euros, selon les cas. Les téléchargements sont rémunérés à la chanson – 0,18 centime. Quant au streaming, il rapporte 0,00698 centime par écoute – il faut donc qu’une chanson en accumule vingt-cinq pour qu’elle rapporte autant qu’un téléchargement. «Globalement, ces revenus sont en baisse», remarque-t-elle.
Bref, les revenus d’artiste diminuent. Restent les revenus accessoires. Elina Duni enseigne cette année à la Haute école des arts de Zurich, ce qui lui permet de compenser la baisse des cachets et des droits d’auteur. Elle officie également comme experte pour une fondation accordant des aides à des musiciens. Ne lui demandez pas laquelle: elle ne peut pas le dire, pour éviter les demandes de faveurs.
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