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Immigration: les slogans et la réalité

Pierre Cormon Publié jeudi 30 janvier 2025

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Pour qui se fie avant tout aux discours, il semble que l’on soit entré dans une ère de freins à l’immigration. Les expulsions spectaculaires menées aux Etats-Unis en sont la dernière illustration. Pour qui se fie avant tout aux faits, le tableau est très différent. Les politiques visant à limiter l’immigration ne produisent pratiquement jamais les résultats escomptés, a montré un spécialiste dans un passionnant ouvrage1. Le Brexit a été motivé en grande partie par ce thème; cela n’a pas empêché l’immigration nette de tripler depuis. Donald Trump affirmait vouloir expulser tous les sans- papiers lors de son premier mandat. Il en a déporté environ deux fois moins qu’Obama durant le sien. Cette déconnexion entre discours et résultats est générale, a montré une étude sur les politiques de migration de quarante-cinq pays entre 1900 et 2014. Quand des employeurs ont des postes de travail à pourvoir et que des personnes sont prêtes à les occuper, ils trouvent généralement un moyen de se rencontrer, quelle que soit la politique officiellement en vigueur.
Dans le pire des cas, c’est par le travail au noir, comme aux Etats-Unis. La première administration Trump ne s’y est jamais sérieusement attaquée, sachant que le pays ne peut s’en passer. Parfois, c’est par des assouplissements légaux – pas grand monde n’est prêt à accepter que la politique d’immigration prive l’hôpital où il est soigné d’infirmières ou de cardiologues.
Les besoins sont tels que l’on ferme les yeux sur le travail clandestin, que l’on attribue discrètement des visas de courte durée à des personnes qui finissent par rester, que l’on ouvre des quotas pour certains métiers. Pour donner le change, on promeut des mesures spectacle. On procède à des expulsions tonitruantes, qui ne touchent qu’une proportion minime d’immigrés. On renforce les contrôles aux frontières, alors que dans leur immense majorité, les migrants entrent légalement dans leur pays de destination. Les restrictions peuvent même accroître l’immigration. De nombreux Nord-Africains venaient sporadiquement travailler en Espagne, puis repartaient. Ils ont commencé à s’y installer à partir de 1991, quand ont été introduits des visas pour les séjours temporaires.
Bref, il ne faut pas se fier aux slogans. Aucune politique d’immigration ne résiste longtemps à une pénurie d’infirmières, de chauffeurs de bus ou de spécialistes en sécurité informatique. Il faudra s’en souvenir au moment de voter sur l’initiative Pas de Suisse à dix millions!

1 Hein de Haas, How Migration Really Works, 2024

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