L’avenir incertain de l’imposition minimale voulue par l’OCDE

Le potentiel de recettes de l’impôt complémentaire international est estimé entre 500 millions et un milliard de francs, dont un quart pour la Confédération.
Le potentiel de recettes de l’impôt complémentaire international est estimé entre 500 millions et un milliard de francs, dont un quart pour la Confédération.
Steven Kakon
Publié vendredi 14 février 2025
Lien copié

#Imposition Depuis le 1er janvier 2025, les filiales étrangères des multinationales basées en Suisse qui ne sont pas imposées à hauteur de 15% doivent payer la différence à la Suisse. Les attaques américaines contre cette réforme sèment le doute.

Taxer à hauteur de 15% au moins les bénéfices réalisés par les filiales étrangères de groupes suisses et par des holdings intermédiaires d’entreprises étrangères qui réalisent un chiffre d’affaires mondial de 750 millions d’euros ou plus, quel que soit le lieu où les entreprises déclarent leurs profits. C’est ce qu’exige le deuxième pilier de la réforme de l’imposition minimale des entreprises adoptée sous l’égide l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la Suisse est membre. L’objectif? Mettre fin à la course vers le bas en matière d’impôt sur les sociétés.

La Suisse a mis en œuvre la première partie de ce deuxième pilier dès le 1er janvier 2024, soit le Qualified Domestic Minimum Top-Up Tax, l’impôt complémentaire suisse, pour les groupes d’entreprises et les entités constitutives concernés par la réforme. Le principe: si l’imposition minimale n’est pas atteinte, le montant manquant est perçu au moyen d’un impôt complémentaire, qui prend la forme d’un impôt fédéral et dont l’exécution incombe aux cantons.

Impôt international

Le 1er janvier 2025, le deuxième volet de ce deuxième pilier est entré en vigueur: l’impôt international. En clair? Basé sur la règle d’inclusion du revenu (Income Inclusion Rule - IIR), il permet d’assurer l’imposition minimale de toutes les entités constitutives étrangères d’un groupe d’entreprises qui ne sont pas imposées au taux minimal de 15% à l’étranger. Il s’agit d’une règle de rattrapage qui donne la possibilité à la Suisse de taxer la différence, le but étant de prévenir l'érosion de la base fiscale vers d'autres pays. Quelques centaines de groupes d’entreprises suisses et quelques milliers de groupes d’entreprises étrangers sont concernés. Cependant, l’impôt «touche tout particulièrement les cantons dans lesquels la charge fiscale est faible et où de nombreuses grandes entreprises rentables sont implantées», analyse le département fédéral des finances (DFF) sur son site internet. Ainsi, en plus de diminuer la concurrence fiscale entre pays, la réforme diminue la concurrence fiscale à l’intérieur même de la Suisse. La réforme de l’OCDE comporte une sorte de troisième volet: le Under-Taxed Payments Rule (UTPR), mais le Conseil fédéral renonce à l’introduire. Cette règle fonctionne comme un filet de sécurité pour la règle d'inclusion des revenus (IIR). «Elle permet de taxer une entreprise du groupe si, par hypothèse, l’Etat où se trouve cette société n’a pas introduit ce mécanisme IIR», résume Xavier Oberson, professeur de droit fiscal à l’Université de Genève. Il s'agit du contraire direct de la règle de l'IIR qui exige que les pays où se trouvent les entités mères comptabilisent l'impôt. Le gouvernement estime que les risques liés à l’application d’un tel impôt l’emportent sur le potentiel de recettes. Quels sont les points de blocage? Nous avons posé la question au DFF.

L'entrée en vigueur de l’UTPR permettrait certes à la Suisse d'encaisser des recettes qui, sinon, seraient prélevées par d'autres États, «mais le potentiel de recettes de l’UTPR devrait être nettement inférieur à celui de l'IIR», répond son service de communication, avant de pointer que «les incertitudes juridiques augmenteraient. Sur la scène internationale, sa conformité avec le droit international et les conventions fait toujours l'objet de discussions». Pourquoi? «Ce sont des règles qui n’existent pas en droit suisse. Et on pourrait accuser la Suisse d’empiéter sur la souveraineté d’un autre Etat en taxant par exemple les bénéfices d’une société américaine», précise Xavier Oberson.

Incertitudes

Qu’en est-il du premier pilier de la réforme fiscale, qui consiste à modifier cette règle internationale de partage des bénéfices de grandes multinationales? «Il peine à trouver un consensus», constate Xavier Oberson, qui en vient à penser qu’il «ne sera probablement jamais mis en œuvre», alors qu’il s’agit là du «point le plus important de la réforme». Et de poursuivre: «Je vois mal comment la Suisse pourra adopter ce genre de règle s’il n’y a pas d’équivalent dans les grands Etats».

A peine arrivé à la Maison-Blanche, le président américain Donald Trump s’est dit opposé aux deux piliers, ce qui amène la Suisse à s’interroger sur l’avenir de ce mécanisme. «A ce que j’ai entendu dire, Berne souhaite tout de même poursuivre la mise en œuvre», indique Xavier Oberson.

Recettes attendues

Si tel est le cas, quel est le montant des recettes attendues par la Confédération? Celles provenant de l’impôt complémentaire suisse devraient se situer entre 1 et 2,5 milliards de francs dans les premiers temps, sachant que la Suisse encaissera les premières recettes en 2026. Quant au potentiel de recettes de l’impôt complémentaire international, il est estimé entre 500 millions et un milliard de francs, dont un quart pour la Confédération. Cela dit, «les conséquences financières de l’imposition minimale sont incertaines», avertit le DFF. Car, «à moyen ou à long terme, les recettes de l’Etat pourraient diminuer, étant donné que l’imposition minimale rendra la Suisse moins attrayante sur le plan fiscal». «Les changements de comportement des entreprises induits à moyen et à long termes par ce projet pourront avoir une incidence négative non seulement sur les recettes de pratiquement tous les impôts, mais aussi sur celles provenant des cotisations aux assurances sociales», conclut Xavier Oberson

insérer code pub ici