Le chocolat suisse résiste à la tempête

Contexte amer pour les chocolatiers suisses, petits et grands.
Contexte amer pour les chocolatiers suisses, petits et grands.
Flavia Giovannelli
Publié vendredi 14 novembre 2025
Lien copié

#Gourmandise Entre prix du cacao, taxes américaines et durabilité, la filière helvétique s’accroche à sa réputation d’excellence et à son savoir-faire artisanal.

Les droits de douane de 39% qui touchent les chocolats suisses exportés vers les États-Unis depuis le 1er août ont causé un choc. Si toutes les manufactures ne sont pas touchées de la même manière - la mesure pesant davantage sur les petits artisans que sur les acteurs industriels -, cette annonce a assombri un contexte déjà marqué par la flambée des prix du cacao. «Les fèves se négocient à des prix exceptionnellement élevés et volatiles depuis environ deux ans», rappelle Jean-Philippe Bertschy, spécialiste du secteur du chocolat à la banque Vontobel. Les perspectives à long terme ne sont guère favorables. Chocosuisse, la faîtière de la branche, confirme que cette évolution renchérit les coûts de production: le cacao est ainsi passé de quatre mille dollars à plus de dix mille dollars la tonne début 2024, avant de retomber autour de six mille dollars. Jusqu’à présent, de nombreux fabricants suisses ont pu compter sur des contrats d’approvisionnement à long terme ou sur des stocks tampon, mais la pression s’accentue à mesure que la cherté perdure. Résultat: les consommateurs perçoivent désormais à leur tour la hausse dans les rayons.

La question des prix fait naître des désaccords révélateurs des tensions du moment. Selon la NZZ, un bras de fer oppose Lindt & Sprüngli à Migros, le géant orange n’ayant guère apprécié de voir les tablettes Excellence noire à 70% de cacao passer de 3,15 francs à 4,80 francs. Migros a suspendu leur réassort.

«Les deux géants finiront par trouver un accord», estime toutefois Jean-Philippe Bertschy. «L’un a besoin du vaste réseau de distribution de Migros et ce dernier peut difficilement se priver d’un produit prestigieux et complémentaire à sa propre marque, Frey.»

«À plus long terme, toutefois, les questions de positionnement vont s’intensifier», ajoute Roger Wehrli, directeur de Chocosuisse. «Le chocolat suisse se distingue depuis toujours par sa qualité et par le coût élevé de ses matières premières, comme le sucre ou le lait. Ce positionnement premium est un atout, mais il peut aussi mettre la demande à l’épreuve si les prix continuent d’augmenter.»

L’ombre des taxes

Le nouvel ingrédient - amer - qui s’est glissé dans les tablettes (à savoir l’augmentation des droits de douane à 39%) touche durement les petits chocolatiers exportant vers le marché américain ou certains acteurs plus conséquents comme Läderach, qui compte une cinquantaine de points de vente outre-Atlantique.

En Suisse romande, Daniel Bloch, directeur général de Camille Bloch, s’était déjà exprimé dans les médias au printemps pour alerter sur les risques pour les exportateurs. Il a confirmé ces inquiétudes lors du Forum des 100, où il participait à un débat. «Nous pourrions devoir renoncer à certaines offres de niche, comme notre chocolat kasher, si nous perdions nos ventes américaines. Nous n’aurions simplement plus de masse critique suffisante», a-t-il indiqué à cette occasion. Un constat partagé, dans un autre registre, par les représentants de la branche, qui redoutent eux aussi des effets durables sur la compétitivité. «Cette décision crée un désavantage concurrentiel évident vis-à-vis des fournisseurs d’autres pays», souligne Roger Wehrli. «Notre association doit s’engager activement pour des conditions commerciales équitables.» La Cour suprême des États-Unis examinant actuellement la question, le sort de ces taxes reste incertain.


Innover sans trahir son essence

Si la quête de solutions de remplacement du cacao s’intensifie – portée par la flambée des prix, la vulnérabilité climatique des zones de culture et la demande de produits plus durables – les fabricants helvétiques restent attachés à la noblesse du véritable cacao. Pour eux, la magie du chocolat repose avant tout sur la richesse aromatique et la structure unique de cette fève tropicale.
La durabilité, désormais au cœur de la filière, n’est plus un simple argument marketing. Grâce à la Plateforme suisse pour un cacao durable SWISSCO, dont Chocosuisse est membre fondateur, plus de 84% du cacao importé en Suisse provient déjà de filières certifiées durables. Objectif: atteindre 100% d’ici à 2030, en garantissant la traçabilité, la lutte contre la déforestation et une rémunération équitable des producteurs.
Reste un autre défi: concilier exigence gustative et innovation. C’est du côté des start-up qu’il s’agit de trouver d’éventuels substituts au si cher cacao. Certaines d’entre elles ont travaillé sur des produits à base d’orge, de féveroles ou de graines de tournesol. D’autres explorent les substituts végétaux issus de caroube, de fève tonka ou d’avoine. Le fabricant suisse Stella Bernrain a déjà mis sur le marché une plaque de chocolat sans cacao. Ce type de produits devrait se multiplier. Chocosuisse note que le secteur observe avec intérêt les innovations autour des succédanés de cacao. Toutefois, les experts y voient plutôt des tentatives marginales, destinées par exemple à une matière première industrielle comme un enrobage fin de confiseries, de petits morceaux dans des céréales pour les petits déjeuners ou en dessert. Le chocolat qui table sur la richesse des arômes du cacao a encore de beaux jours devant lui pour séduire les gourmets. A relever que la taille des marchés globalisés suit la courbe de la démographie et attise la demande. Il semble que celle pour le traditionnel chocolat à base de cacao ne devrait pas fondre. 


Cailler, bien plus qu’une vache à lait 

Depuis quelques semaines, les amateurs de chocolat auront remarqué les nombreuses promotions Cailler. L’entreprise, considérée comme l’inventeur du chocolat au lait, célèbre cette année ses 150 ans. Malgré les vents contraires, la marque du groupe Nestlé affiche une belle progression: parts de marché en hausse et fréquentation record à la Maison Cailler (quatre cent quatre-vingt mille visiteurs en 2024).
«Cette belle lancée se poursuit avec un nouvel univers de marque, de nouveaux produits et une communication revigorée», explique Guillaume Roud, responsable communication chez Nestlé.
La durabilité est au cœur de ses priorités: 93,5% du volume total de ses ingrédients clé (cacao, café, huile de palme, sucre, etc.) sont évalués comme étant sans déforestation. Le programme Income Accelerator, lancé en 2009, soutient quelque trente mille familles de cultivateurs en Côte d’Ivoire et au Ghana, avec l’objectif d’en accompagner cent soixante mille d’ici à 2030. Il vise à améliorer les revenus, la scolarisation des enfants, les pratiques agricoles et l’inclusion financière des femmes.

Articles en lien

insérer code pub ici