Le travail en équipe, piège pour l'égalité salariale

Pierre Cormon
Publié mercredi 03 décembre 2025
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#Rémunérations Les hommes sont proportionnellement plus nombreux à toucher des indemnités de pénibilité, ce qui peut avoir un impact sur les analyses d'égalité salariale.

Aimeriez-vous travailler de 5h du matin à 1 h une semaine, de 15h à 23h une autre en vous relayant au même poste avec d'autres collaborateurs?
Pour beaucoup de personnes, la réponse est non. Ce type de fonctionnement, qui fait partie de ce que l'on appelle travail en équipe, peine à attirer. Les employeurs versent généralement des indemnités aux personnes acceptant de le pratiquer. Or, elles peuvent avoir une conséquences inattendue: mettre l'entreprise en infraction avec l'égalité salariale. Une motion en discussion aux Chambres fédérales vise à corriger le tir.
Le travail en équipe est fréquent dans certains secteurs: l'industrie des machines, la sécurité, la santé, les transports publics, l'hôtellerie-restauration, etc. Toutes les branches dans lesquelles des travailleurs ou des équipes se relaient au même poste, que ce soit au volant d'un bus, aux commandes d'une machine ou aux urgences d'un hôpital. Il concerne environ 16% des salariés et, pour un quart de ceux-ci, comprend du travail de nuit.

Horaires inhabituels

Dans tous les cas, ou presque, il implique de travailler en dehors des horaires de bureau traditionnels. «Il oblige également à commencer et à terminer le travail à une heure précise, sans flexibilité», ajoute Marcel Marioni, expert en droit du travail auprès de Swissmem, l'organisation faîtière de l'industrie des machines.
Comme les volontaires ne se bousculent pas, les entreprises tentent de les attirer avec des indemnités de travail en équipe (ou indemnités de pénibilité.) «Elles ne sont pas prescrites par la loi; c'est l'employeur qui décide de leur montant», précise Marcel Marioni. Si le poste implique de travailler la nuit ou le dimanche, elles s'ajoutent aux majorations de salaire prévues par la loi pour ce type d'horaires.

Les hommes en force

Les hommes sont proportionnellement beaucoup plus nombreux à accepter de travailler en équipe. Un reflet, sans doute, d'une réalité de laquelle les employeurs ne sont pas responsables: les femmes assument davantage de tâches familiales, qui s'accordent souvent mal avec les horaires du travail en équipe.
Or, les indemnités de pénibilité sont considérées comme faisant partie du salaire, dans le cadre des analyses de l'égalité salariale (obligatoires pour les entreprises de plus de cent employés). Comme les hommes en touchent plus souvent, cela peut faire passer leur employeur au-dessus de la limite des 5% d'écart entre les sexes, au-delà duquel on considère qu'il ne respecte pas l'égalité. Et ce, même si les salaires et le montant des indemnités sont exactement les mêmes pour les hommes et les femmes.

Conséquences

Dépasser la limite a de multiples conséquences. L'employeur doit refaire l'analyse, ce qui exige du temps et de l'argent. Il doit informer ses collaborateurs, qui peuvent voir leur confiance dans l'entreprise érodée. Les conventions collectives de certains secteurs peuvent prévoir des peines. Enfin, l'entreprise risque de ne pouvoir plus participer à des appels d'offres publics.
Le risque n'est pas théorique: «plusieurs de nos membres sont passés du mauvais côté de la limite à cause des indemnités pour travail en équipe, alors qu'ils rémunèrent hommes et femmes exactement de la même manière», regrette Marcel Marioni.

Motion

Une motion a été déposée pour sortir ces indemnités de l'analyse de l'égalité salarial, par le conseiller national Peter Schilliger (PLR/LU). Elle a été acceptée par le Conseil national, contre l'avis du Conseil fédéral. C'est maintenant au Conseil des Etats de se prononcer.

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