Libéral, neo-libéral, illibéral, comment s’y retrouver?

Marie-Hélène Miauton Publié lundi 20 janvier 2025

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Trop de notions se font concurrence aujourd’hui concernant le libéralisme, notion déjà complexe et qui devient du coup encore plus opaque. Selon Albert Camus, «mal nommer les choses ajoute du malheur au monde». Il convient donc, en toutes matières, de clarifier le sens des mots d’où, j’espère, l’intérêt de cette chronique.

La pensée libérale repose sur le principe de la responsabilité morale et du libre arbitre. Les libéraux mettent au centre un humain libre, rationnel et perfectible, dont les droits fondamentaux ne peuvent être contraints, en particulier la liberté d’expression. Selon les spécialistes, le libéralisme politique désigne un régime fondé sur la pluralité des partis, sur la possibilité des citoyens d’élire leurs dirigeants et sur la conception d’un État capable de dégager des consensus. Le libéralisme économique, lui, postule un marché basé sur la propriété privée des moyens de production, sur le libre-échange et la liberté d’entreprendre, avec une intervention de l’État aussi limitée que possible. Pour les libéraux, le libre jeu des intérêts individuels conduit à l’ordre et non au chaos. Ils s’opposent ainsi aux socialistes, qui pensent que seule une organisation concertée, voire planifiée, et un État prépondérant peuvent sauvegarder l’intérêt général contre les intérêts particuliers. Jusqu’ici, tout est clair.

Mais qu’est-ce que le neo-libéralisme? Cette notion peut susciter la controverse, car les personnages emblématiques qui l’incarnent ne se définissent pas comme tels et s’affirment plutôt comme étant des libéraux classiques. On peut citer ici Margareth Thatcher ou Ronald Reagan. Ce terme flou est devenu fortement péjoratif à partir de la fin du XXème siècle, où il commence à désigner la mondialisation de l’économie, la dérégulation, la spéculation financière et un capitalisme sauvage. Aujourd’hui, le néo-libéralisme serait donc un libéralisme dévoyé, outrancier, dégagé de ses valeurs de responsabilité morale et sociale.

Depuis peu, le vocabulaire s’est enrichi d’un nouveau concept: l’illibéralisme. Selon Larousse, il s’agit d’un principe opposé au libéralisme et à ses principaux fondements, tels que la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’État de droit et les libertés individuelles. Les démocraties illibérales seraient donc des dictatures qui respecteraient certaines règles démocratiques, comme les élections, tout en s’affranchissant des contraintes institutionnelles. En vrac, on nomme de la sorte la Hongrie de Viktor Orban, les Etats-Unis de Donald Trump et l’Argentine de Javier Milei. Apparemment, ce qualificatif d’illibéral s’emploie souvent lorsqu’un populiste accède au pouvoir, ses détracteurs l’accusant d’être autoritaire et non pluraliste. En Pologne pourtant, le président Jaroslaw Kaczynski du parti Droit et justice (PiS), a été démis après huit ans par Donald Tusk, ce qui prouve qu’un certain pluralisme se maintenait. Quant à Javier Milei en Argentine, il a entrepris une véritable réforme libérale. À la hache, soit, ce qu’exigeait la situation catastrophique du pays. Malgré de nombreux indicateurs encourageants, il est beaucoup trop tôt pour en tirer des conclusions définitives, de même de ce qui résultera de la présidence de Donald Trump. En réalité, si le libéralisme semble revenir en force dans de nombreux pays, c’est parce qu’il a fortement reculé depuis plusieurs décennies.

On peut juger pertinente ou non cette évolution selon que l’on prône un État léger ou un État nounou, mais il est indéniable que les prérogatives étatiques se sont considérablement accrues dans les démocraties occidentales. Le poids législatif s’y est alourdi, les libertés individuelles ont diminué et la liberté d’expression a été encadrée. La Suisse, qui incarne encore aujourd’hui le régime le plus libéral qui soit, doit elle aussi redresser la barre en luttant contre l’inflation réglementaire qui entrave la liberté d’entreprendre, contre l’augmentation des impôts qui nourrit un État obèse et contre un multilatéralisme envahissant qui la prive peu à peu de ses moyens d’action et de son originalité