En ce début d’année on parle beaucoup de pyramide des âges, de vieillissement de la population, de baisse de la natalité, de croissance de la population, de migration et même de «submersion»! Bref, on cause de plus en plus démographie.
Je suis frappé de voir que cette science sociale est relativement peu abordée dans nos formations en management, alors qu’elle représente une tendance lourde relativement facile à intégrer dans nos réflexions stratégiques. Les projections démographiques aident les décideurs politiques et économiques à tenir compte d’évolutions majeures dans l’élaboration de scénarios. Voilà le mot lâché: scénario! J’ai eu la chance de pouvoir compter sur deux professeurs étrangers (Nancy Meyers de Chicago et André Yves Portnoff de Paris) pour introduire au début des années 2000 le scénario planning et la prospective dans le programme EMBA de la HEG Fribourg. Leur enseignement a marqué des centaines de participants.
C’est que l’analyse de scénarios aide les décideurs à anticiper les défis, à capitaliser sur les opportunités et à planifier en toute confiance des futurs variés. On constate néanmoins une différence culturelle dans l’approche: les Américains ont tendance à travailler avec trois scénarios. L’optimiste, avec par exemple une croissance plus élevée des revenus ou des tendances de marché particulièrement favorables. Le pire, qui inclut des hypothèses conservatrices: augmentation des coûts, baisse du marché, nouvelle concurrence. Le réaliste, qui repose sur des bases solides et des tendances qui reflètent des attentes raisonnables.
L’approche française diffère. Elle imagine l’avenir. On élabore donc des scénarios en définissant des futurs possibles et en anticipant les stratégies et les changements à mener. On parle de prospective. Pour l’anecdote, le mot «prospective» a été inventé par Gaston Berger, philosophe et industriel, dont le fils deviendra célèbre sous le pseudonyme de Maurice Béjart. La prospective ne cherche pas tellement à prévoir l’avenir, elle cherche à le façonner. Concrètement l’organisation définit plusieurs futures possibles (on parle de futuribles), ce qui lui donne une belle flexibilité dans le suivi. Les Anglo-Saxons font la différence entre forecast et foresight.
Mais revenons à la démographie.
Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel. Encore moins la population mondiale. Au rythme actuel de baisse du taux de fécondité dans beaucoup de pays, la population mondiale pourrait diminuer de moitié à la fin du siècle à un peu plus de quatre milliards d’habitants. Le pic? Un peu moins de 10 milliards - 9,7 - en 2050. L’Europe aura 447 millions d’habitants et devrait tomber à 420 millions à la fin du siècle. L’Afrique, quant à elle, comptera 2,5 milliards d’habitants d’ici à 2050, avec des augmentations notables en République Démocratique du Congo et au Nigéria.
Le problème principal des projections démographiques n’est pas tant d’essayer de réduire l’incertitude qui les affecte que d’apprendre à bien gérer cette incertitude. La prospective rencontre heureusement de plus en plus d’intérêt auprès des autorités politiques. Le canton de Vaud a commencé ses efforts dès 2015, suivi par le canton de Genève en 2018. La Suisse affronte un bouleversement démographique aux conséquences de plus en plus visibles. Chaque année, le nombre de personnes prenant leur retraite est supérieur à celui des jeunes entrant sur le marché du travail. Grâce au baby-boom, la Suisse a bénéficié d’un dividende démographique ces dernières décennies. L’économie nationale avait à sa disposition un nombre croissant de travailleurs bien formés, qui ont largement contribué à la croissance. Cette évolution s’est désormais inversée. La population active indigène diminue et la pénurie de main-d’œuvre continuera de s’accentuer ces prochaines années. Une inflexion de cette dynamique est peu probable. Ce piège de la natalité est très bien décrit dans un livre qui vient de sortir, Les balançoires vides, de Maxime Sbaihi. Samuel Huntington l’écrivait déjà en 1996 dans son Choc des civilisations: la démographie dicte le destin de l’histoire. La Suisse ne va pas y échapper!
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