«Si nous n'étions pas entrés illégalement aux Etats-Unis par accident, notre entreprise n'existerait pas»

Daniella Gorbunova
Publié jeudi 22 mai 2025
Lien copié

#Secrets d'entrepreneurs Sébastien Roevens, CEO de Welo, nous raconte comment une bouteille d’eau cubaine et une entrée illégale aux Etats-Unis lui ont permis de créer sa boîte.

 

Il a la tête de l’emploi. Lorsque Sébastien Roevens, CEO de Welo, arrive à la FER Genève, on n’a aucun doute quant au fait que l’homme est un féru de voyages et de mobilité douce. Chemise en lin, bracelets de perles naturelles, grand sourire lumineux - il incarne un peu ce qu’il vend: «des solutions de mobilité éco-responsables et des expériences uniques aux particuliers comme aux entreprises», via des e-bikes, des vélos et des tuk tuk.

Plus précisément, Welo propose, avec ces trois modes de transport, des possibilités aussi variées qu’un service de navette, des sorties d’entreprise ou privées, dont un escape game dans les vignes genevoises. Mais aussi de la publicité street marketing (des panneaux sur les vélos) - sa principale source de revenus - ou des livraisons écologiques. Sébastien Roevens, qui a co-créé son affaire avec son ami d’enfance Aubin Delavigne il y a plus de dix ans, nous livre sans langue de bois les recettes de son succès. Voici les quatre ingrédients magiques qui ont fait Welo.

#1 Trouver son chemin autour du globe

Le plus difficile, quand on se lance dans l’entreprenariat ou dans quoi que ce soit d’autre, c’est de trouver la bonne idée. Puis d’y croire assez fort. À moins que, par chance, ce ne soit l’idée qui nous tombe dessus. Comme ce fut le cas pour Sébastien Roevens et Aubin Delavigne.

Le premier raconte: «Welo, c’est avant tout deux amis d’enfance, qui ont décidé de partir faire le tour du monde après leur maturité gymnasiale. On avait l’idée un peu folle de voyager sans avion et sans prendre d’hôtel, ce qu’on a fini par faire à l’âge de 21 ans. L’écologie a toujours été une préoccupation centrale pour Aubin comme pour moi. C’est dans notre éducation, nous avons tous deux fréquenté l’école Rudolf Steiner (école privée fondée sur l’anthroposophie, un courant de pensée spirituel proche de la nature - ndlr).»

Les deux amis partent donc vers l’ouest en bateau, de La Rochelle, en France, jusqu’à Cuba. «Nous y sommes restés pendant un mois et demi», enchaîne l’entrepreneur. «C’est à la Havane que nous avons découvert pour la première fois les vélos-taxi. Là-bas, c’est l’un des modes de transport les moins chers - ça nous a tout de suite interpellé. Genève est plate, ce serait parfait! Ensuite, lorsque nous sommes arrivés à Key West, en Floride, une histoire rocambolesque nous a mené à brièvement travailler comme chauffeurs de vélos-taxi nous-mêmes. C’est grâce à cette expérience qu’on a fini par se lancer quelque temps après notre retour en Suisse.»

#2 Avoir une (folle) histoire à raconter

Qu’est-ce qu’une entreprise moderne sans un bon storytelling? Sébastien Roevens et Aubin Delavigne n’ont même pas eu besoin de se creuser la tête: leur vraie histoire se suffit à elle-même tellement elle est cocasse. Sébastien se remémore avec amusement et une pointe d'embarras dans la voix. «Je vous ai parlé des vélos à La Havane. En réalité, bien que l’idée ait un peu émergé à ce moment-là, si nous n’étions pas entrés illégalement aux Etats-Unis depuis Cuba pendant ce grand voyage, un peu par accident, notre entreprise n’existerait pas aujourd’hui. C’était il y a plus de dix ans, il y a prescription maintenant, non? Enfin j’imagine que je peux vous raconter ça désormais (rires). Bon, ce n’était pas vraiment volontaire, même clairement inconscient», concède le jeune patron. Rembobinons. «Pour partir de Cuba vers la Floride, aux Etats-Unis, comme nous ne voulions pas prendre l’avion, nous étions un peu embêtés. Nous avons donc cherché un bateau, et ce n'était pas si simple. Finalement, nous sommes tombés sur un Américain qui visitait régulièrement Cuba de manière illégale. Il était sur le retour. Il nous a proposé de nous prendre avec lui jusqu’à Key West, sur la pointe de la Floride. Sa ruse: quand on se ferait contrôler, il dira qu’il a eu un problème, une avarie sur son bateau, et qu’il avait absolument besoin de nous pour rentrer à bon port. Et là, on pourrait mettre nos affaires administratives en ordre.»

Jusque-là, risqué, mais pas encore illégal. «Ce que nous n’avions pas compris, c’est qu’il y avait un scénario dans lequel on ne se ferait pas contrôler par les douaniers et c’est bien cela qui s’est produit. On s’est donc retrouvés sur sol américain de manière techniquement illégale, puisque sans visa. Alors qu'on déambulait dans les rues de Key West en nous demandant comment on allait bien pouvoir régler la situation, un homme nous interpelle à cause de ma bouteille d’eau cubaine sous la main. Il nous explique qu’il est journaliste et que sa femme est cubaine. On discute. Il veut nous aider. Il nous a embauchés pour conduire... les vélos-taxis de sa petite entreprise.» Au final, une autre personne a mis en contact les deux jeunes Suisses avec des douaniers à qui ils ont pu expliquer la situation et s’en tirer à (assez) bon prix.

#3 Commencer quelque part

Avoir une bonne idée, c’est bien. Avoir une bonne idée avec un bon business plan, c’est mieux. De retour en Suisse, comment Welo a-t-elle réussi à s’insérer dans le terreau genevois? «En 2011, alors qu’on était en troisième année d’université, nous avons finalement décidé de nous lancer. Au début, l’entreprise s’appelait Taxibike, le but était uniquement de faire du vélo-taxi. On en a acheté trois, au début.» Dix ans plus tard, Taxibike est devenu Welo, marque genevoise solide, avec un pendant à Zurich, qui plus est.

#4 Dépasser ses limites

Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Ni pour l’extension en terres alémaniques, ni pour le business plan initialement imaginé. «Au début, on s’est vite trouvé face à un mur», confie Sébastien. «On était trois dans l’entreprise. On devait être constamment disponibles pour de potentielles courses, souvent des petites courses au centre-ville, à 10 francs, desquelles on ne vivait évidemment pas. Le modèle économique n’était pas bon. Heureusement, lorsqu’on avait choisi nos véhicules, on avait pris ceux avec une surface publicitaire, en pensant au potentiel revenu additionnel. Finalement, ce sont ces revenus publicitaires qui nous ont permis de commencer à générer un peu plus d’argent et de commencer à croître.» Deux ans plus tard, l’entreprise est passée de trois à dix véhicules. «Lorsque je parle de publicité, je parle aussi bien du branding des vélos que de trajets offerts par une entreprise à ses employés ou à une autre entreprise, par exemple lors d’événements. Ce modèle d’affaires, davantage B2B, a alors commencé à devenir vraiment intéressant. Alors que nous pensions travailler principalement en B2C.» Aujourd’hui, faire affaire avec d’autres entreprises permet à Welo de générer environ un quart de ses revenus.

Autre défi relevé avec succès? L’implantation à Zurich. L’entrepreneur précise: «Dans cette réorientation B2B, on a constaté que les décisions marketing et publicité des grandes boîtes suisses se prennent plutôt à Zurich. Je suis donc parti y vivre pendant deux ans, avec mes vélos-taxi, la fleur au fusil. Ça n’a pas été facile, parce que je ne parle pas allemand. Et puis le marché est un peu différent, là-bas. Même si ça m’a tout de même permis de mieux entrer en contact avec les responsables marketing. En fin de compte, on a complètement laissé tombé le B2C là-bas — qu’on a quand même un peu gardé à Genève. On y a tout de même toujours six vélos, pour la partie publicitaire et les déplacements professionnels lors de grands salons. Et plus récemment, nous avons acquis des tuk tuk pour des balades dans les vignobles genevois! On gère également un escape game dans les vignes, à Bourdigny.»

insérer code pub ici