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Valeur locative: une réforme à rejeter

Pierre Cormon Publié jeudi 18 septembre 2025

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La suppression d’une absurdité fiscale justifie-t-elle que la Suisse jette par la fenêtre le pan le plus efficace de sa politique énergétique?

Telle est l’une des questions que les citoyens devront trancher le 28 septembre. Rembobinons. La Suisse taxe les propriétaires habitant leur logement sur la valeur locative – le loyer auquel ce logement pourrait être loué. Ils peuvent en contrepartie déduire leurs intérêts hypothécaires et leurs frais d’entretien et de rénovation. Un peu comme si on taxait les jardiniers du dimanche sur les légumes qu’ils n’ont pas à acheter au supermarché, mais qu’on leur permettait de déduire les achats d’outils et d’engrais.

Le système est complexe et aboutit à de nombreuses distorsions. Voilà donc longtemps qu’une partie de la classe politique veut abolir cette taxe. C’est ce que propose la réforme soumise à votation.

Le problème, c’est qu’elle va beaucoup plus loin et propose d’abolir du même coup les déductions fédérales pour mesures d’économie d’énergie et de protection de l’environnement, notamment. Et ce pour tous les propriétaires, qu’ils habitent leur logement ou non. Du coup, même des milieux qui demandent l’abolition de la valeur locative depuis longtemps se sont retournés contre le projet. Ces déductions constituent en effet un incitatif puissant pour assainir les bâtiments – dans un cas typique, ils font baisser la facture d’un tiers. Elles ont largement contribué à ce que la consommation d’énergie des bâtiments ait baissé de 46% depuis 1990. Malgré ces progrès spectaculaires, il reste beaucoup à faire.

Le bâtiment et l’immobilier continuent à représenter l’un des plus gros émetteurs de CO2 du pays, notamment à travers le chauffage. Tous les logements ne sont pas encore assainis, et de loin. C’est notamment le cas à Genève, où le taux de rénovation est particulièrement faible. Il devrait quadrupler d’ici à 2050, pour respecter les objectifs du plan directeur de l’énergie. La suppression des déductions fédérales rendrait l’atteinte de ces objectifs beaucoup plus difficile. On rénoverait moins, moins bien. On consommerait davantage d’énergies fossiles, on émettrait davantage de gaz à effet de serre. La Suisse aggraverait inutilement sa contribution au réchauffement climatique, un phénomène dont plus grand monde ne conteste pas la gravité.

Même des partisans historiques de la suppression de la valeur locative estiment que ce prix à payer est trop élevé. La politique climatique doit rester une priorité. Il est donc important de refuser le projet soumis au suffrage populaire le 28 septembre.