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Vers des prix à la tête du client?

Thierry Malleret Publié dimanche 29 décembre 2024

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Depuis quelques années, le principe des prix dynamiques existe dans certaines industries, comme l’hôtellerie et les transports. La capacité d’ajuster des prix à la demande permet aux entreprises concernées de maximiser leurs revenus en variant les prix afin de mieux gérer les situations de surplus en augmentant les prix, ou de pénurie en les baissant. Les prix dynamiques offrent aussi l’avantage de pouvoir réagir rapidement aux changements de conditions du marché et de mieux segmenter son offre. On comprend ainsi pourquoi les prix dynamiques ont leur place dans les secteurs économiques dont la capacité d’offre est limitée. Augmenter le prix en un clic Au fur et à mesure que l’innovation technologique progresse, de nouveaux produits et de nouvelles solutions apparaissent dans le domaine de la fixation des prix. Les étiquettes de prix numériques (aussi appelées étiquettes de prix électroniques ou prix électroniques) font désormais partie de l’arsenal de toute grande surface ou enseigne de bricolage un peu partout dans le monde. Elles se répandent aussi dans le commerce de détail tant leurs avantages sont évidents: elles permettent une mise à jour des prix en temps réel et de façon centralisée, évitent les erreurs d’étiquetage, diminuent les coûts de main-d’œuvre et sont plus écologiques (réduisant les gaspillages de papier et les coûts d’impression). Les jours des étiquettes de prix en papier sont donc comptés. Certains développements aux Etats-Unis laissent cependant poindre le risque d’une dérive. Kroger and Walmart – les deux géants américains de la distribution – viennent d’être accusés d’augmenter leurs prix au travers de la mise en place d’étiquettes de prix électroniques. Qu’en est-il réellement? Depuis plusieurs années, les grandes enseignes de distribution pratiquent des politiques de prix qui intègrent tellement d’éléments qu’ils finissent par générer de la confusion et parfois de la frustration auprès des consommateurs. Entre les cartes de fidélité à multiples niveaux, les variations de prix selon les régions ou au sein d’une ville, les différences de prix entre vente en ligne ou en magasin et la complexité des campagnes de promotion, il devient presque impossible de s’y retrouver. Bombardé par le choix, le consommateur est paralysé. Selon certaines personnalités américaines, les étiquettes de prix électroniques exacerbent ce problème en modifiant les préférences des consommateurs et en les privant de leur capacité d’exercer leur propre jugement. Ils reprochent notamment à Kroger de vouloir augmenter ses prix «en un seul clic grâce au profilage ethnique, d’âge ou de sexe». A l’échelle des consommateurs À plus long terme, ces étiquettes électroniques font craindre l’émergence d’une tarification dynamique appliquée «à la tête du client» (métaphoriquement et littéralement). Les technologies de reconnaissance faciale couplées à l’intelligence artificielle seraient utilisées pour rendre les prix dynamiques à l’échelle de chaque consommateur. Elles permettraient ainsi de manipuler le choix individuel en augmentant ou en baissant le prix d’un bien de consommation selon le revenu de la personne, ses préférences de consommation à un moment donné, sa situation familiale, et ainsi de suite. Ce ne sont plus simplement les prix d’un billet de train ou d’une chambre d’hôtel qui varieraient selon la demande, mais aussi ceux des produits alimentaires et de première nécessité. Protection des données Nous n’en sommes pas encore là. Mais alors que l’inflation des produits alimentaires augmente (durablement en raison du changement climatique), un nombre croissant de responsables politiques américains expriment leur crainte d’une possible manipulation du choix des consommateurs, les rendant victimes d’un sentiment d’injustice. En Europe, les étiquettes électroniques sont régulées par différentes directives imposant la transparence des prix en affichant le prix final, toutes taxes comprises, et le prix au kilo ou au litre afin que le consommateur puisse juger le prix réel de ce qu’il achète. Enfin, les règles en vigueur sur la protection des données interdit la collecte directe de données personnelles des consommateurs et donc leur profilage. Des dérives commes celles observées aux Etats-Unis lorsque deux consommateurs à la même caisse paient un prix différent pour le même produit sont donc inenvisageables. Pour le moment.

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