Verdir le système énergétique grâce à l’hydrogène? Un défi
On sait déjà faire rouler des véhicules lourds à l’hydrogène.
Photo Matti Blume/creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0
Pierre Cormon
Publié vendredi 31 janvier 2025
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#Tournant énergétique
On sait utiliser l’hydrogène comme vecteur énergétique et le produire à bas impact pour le climat. La difficulté est de la faire à large échelle et à bas prix.
Le couteau suisse de la transition énergétique: c’est ainsi que l’on désigne parfois l’hydrogène. Il peut servir à propulser des véhicules lourds, produire de la chaleur industrielle, stocker de l’énergie, la transporter, etc. La difficulté est de déployer ces solutions de manière à la fois économique, écologique et à large échelle. C’est ce qu’a montré la Journée de l’hydrogène, qui s’est tenue le 23 janvier à Morges.
Le dilemme
De nombreuses technologies utilisant de l’hydrogène sont au point. On sait aussi produire cette substance à bas coût – elle est d’ailleurs largement employée dans des secteurs comme la production d’engrais, la métallurgie ou le raffinage du pétrole. Problème: cela repose sur des processus gourmands en énergies fossiles, qui émettent beaucoup de CO2 (on l’appelle alors hydrogène gris).
On sait également produire de l’hydrogène avec un impact très faible pour le climat, notamment à l’aide de matière organique ou d’électricité renouvelable (on l’appelle alors hydrogène vert, même si c’est exactement la même substance). Problème: c’est environ quatre fois plus cher.
Un peu partout, on s’active donc à faire baisser le prix de l’hydrogène vert. On cherche à développer la production dans les régions où l’électricité renouvelable est abondante et bon marché, comme le Maghreb ou la Mer du Nord. Dans les pays où elle est plus chère, on compte sur les surplus d’électricité photovoltaïque et éolienne, qui arrivent parfois sur le réseau lorsqu’on n’en a pas besoin. Dans le Jura, l’entreprise Corbat et ses partenaires veulent produire de l’hydrogène en décomposant des déchets de bois.
Hydrogène blanc
Une autre approche serait de puiser de l’hydrogène naturel, notamment dans des régions de montagne (on l’appelle alors hydrogène blanc). «La Suisse est un pays favorable à l’exploitation de cette ressource», affirme Eric Gaucher, CEO de Geoconsult. On en a repéré en Valais, dans les Grisons et dans le canton de Vaud. Cette idée suscite l’inquiétude de certains, qui estiment qu’il est hasardeux d’intervenir dans un cycle naturel. Ces solutions ne sont pas encore déployées à large échelle et ne permettent pas de baisser suffisamment les coûts pour concurrencer l’hydrogène gris et les énergies fossiles. Tant que les coûts sont élevés, le marché se développe peu, et tant que le marché se développe peu, on perd la possibilité de faire des économies d’échelle. Un classique problème d’œuf et de poule, qui sera difficile à surmonter sans soutien financier public.
Le stockage et le transport représentent un autre défi. L’hydrogène est extrêmement volatil et volumineux. Pour le stocker en grande quantité, il faut le compresser, le refroidir à très basse température ou le transformer en une autre substance. Ce peut être en méthane. On peut alors utiliser l’infrastructure du gaz naturel pour le stocker et le transporter. Cela implique cependant des pertes d’énergie.
Stratégie hydrogène en 2024
Surmonter ces défis nécessite que l’on se mette d’accord sur une vision commune. La Confédération a proposé une stratégie hydrogène en novembre 2024. Elle laisse de nombreuses questions en suspens, regrettent des acteurs de la filière. Berne ne prévoit pas non plus de soutiens financiers, contrairement à l’Union européenne. Or, «le développement des nouvelles énergies se fait toujours avec le soutien de l’Etat, que ce soit au Danemark, au Texas, en Chine», remarque David Hart, responsable global de l’hydrogène du consultant ERM. Des cantons comme Vaud ou Genève ont donc adopté leurs propres instruments pour stimuler l’éclosion d’une filière.
Parité de coût
«L’objectif est de parvenir à la parité de coût avec les autres énergies», conclut Jean-Luc Favre, président de la Fondation Nomads. «En attendant, les entreprises peuvent s’engager à acheter des quantités minimales d’hydrogène vert aux fournisseurs.» Cela donne à ceux-ci la visibilité indispensable pour réaliser des investissements.
De nombreuses applications
Si les défis listés ci-dessus sont surmontés, l’hydrogène vert pourrait remplir un rôle important dans le système énergétique. Il devrait être réservé aux usages où le recours à l’électricité n’est pas envisageable, estime la stratégie de la Confédération. L’hydrogène vert étant le plus souvent produit à l’aide d’électricité, il est plus rationnel d’utiliser directement celle-ci que de lui faire subir une transformation.
L’industrie sera l’un de ses principaux débouchés, pour la production de chaleur au-dessus de 600oC (en dessous, l’électricité fait l’affaire). L’entreprise Novelis, qui fournit de l’aluminium pour l’industrie automobile, utilise actuellement de l’hydrogène produit avec du gaz naturel. Elle veut le remplacer par de l’hydrogène vert et de l’électricité renouvelable d’ici à 2030, explique Serge Gaudin, directeur des sites de Sierre et Nachterstedt (Allemagne).
Transport terrestre
Le transport terrestre constitue un autre débouché important, même si l’hydrogène est en concurrence avec les batteries électriques. «Il aura de toute façon sa place, car le réseau ne sera pas en mesure de fournir l’électricité nécessaire pour charger l’ensemble du parc de camions, s’il fonctionnait avec des batteries», note Nicolas Crettenand, CEO d’Hydro- Spider, une entreprise qui met à disposition des camions à hydrogène.
On peut équiper le véhicule d’une pile à combustible (qui utilise l’hydrogène pour produire de l’électricité). C’est la solution la plus répandue. On peut aussi brûler l’hydrogène dans un moteur à explosion – comme les Transports publics fribourgeois le testent avec la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Le grand avantage: on peut appliquer cette solution dans des véhicules roulant jusque-là avec un carburant fossile, au prix d’une légère adaptation.
Aviation
L’aviation s’intéresse également à cette substance car, à poids égal, elle permet de voler trois fois plus loin que le kérosène. «Les moteurs fonctionnent très bien à l’hydrogène», remarque Jean-Marc Thévenaz, CEO d’easyJet Suisse. «Le problème, c’est le stockage.» Pour l’utiliser dans un avion, il faut réduire son volume en le refroidissant, le compressant ou par un mélange des deux. Airbus étudie actuellement la meilleure solution.
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