«Je forme des agents de sécurité et je ne donnerai jamais une arme à une personne trop hautaine»

Daniella Gorbunova
Publié lundi 23 juin 2025
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#Secrets d'entrepreneurs Christophe Berthiaud, directeur de l’Institut Suisse de Formation Sécurité (ISFS), dévoile ce qu’il faut avoir dans le ventre, pour devenir agent de sécurité, et nous raconte la plus grosse frayeur de sa carrière.

 

Il est physiquement imposant, avec à la fois cet air bonhomme, bonard — presque nounours, si on ose dire. Agent de sécurité rompu à l’exercice, et désormais à la tête de l’Institut Suisse de Formation Sécurité (ISFS), qu’il a créé pour former ses pairs, Christophe Berthiaud a un parcours plutôt exemplaire dans son domaine.

 

«Il n’y a pas besoin d’être un universitaire, ou même bon à l’école, pour faire ce que je fais!», précise-t-il d’entrée de jeu. Pourtant, ce Genevois né aux Eaux-Vives, qui a des origines portugaises, peut lui-même se flatter d’avoir le cerveau et les bras, comme dit l’adage. Jeune, il a achevé un apprentissage de mécanicien automobile, puis une formation d’ingénieur en génie civile en Haute école. Avant de «tomber» dans la sécurité, un peu par hasard — comme c’est souvent le cas de ce métier — pour finalement en tomber amoureux.

 

Pour le désormais quinquagénaire, c’était le coup de foudre au premier regard: «Je suis arrivé dans la sécurité en commençant par surveiller des chantiers de nuit. Et j’ai eu un peu peur, parfois, mais j’ai adoré ça!» Aujourd’hui, il forme d’autres agents de sécurité: il a accepté de nous confier son vécu dans ce milieu, sans filtres, des frayeurs aux moments palpitants, ou même cocasses. Il nous parle aussi (un peu) des processus de recrutement: qu’est-ce qu’il faut avoir dans le ventre, pour devenir «sécu»? Christophe Berthiaud dévoile les petits secrets du métier.

 

#1 Prendre goût à l’adrénaline

On l’a dit: Christophe Berthiaud a commencé sur un chantier, de nuit. C’était, à la base, simplement un petit job d’appoint. Puis, il y a pris goût: «Au tout début, on m’a expliqué deux ou trois notions de base du métier, mais sans vraie formation. J’ai dû m’approprier ces lieux, en pleine nuit, j’avoue que c’était quand même un peu angoissant, à l’époque. On est complètement seul: on se demande qui pourrait être la personne qu’on devra interpeller, si quelqu’un qui ne doit pas être là vient, quel genre de profil ça pourrait être… Je devais scruter chaque véhicule qui passait à côté du chantier — tout le monde est un intrus potentiel, dans ce genre de contexte.»

 

Loin d’être refroidi par ces coups de stress, l’homme y a rapidement pris goût: «C’était des émotions assez intenses, surtout au début, quand on n’a pas encore l’habitude. J’ai aimé ça, personnellement, et c’est ce que je souhaite à toutes les personnes qui choisissent de faire ce métier — que ça leur plaise, ces émotions, parfois fortes. L’adrénaline fait partie du métier: on ne sait jamais ce qui peut se passer! On va, chaque jour ou soir, vers l’inconnu total. Et, dans le même temps, notre mission est justement, au fond, celle de rendre prévisible ce qui ne l’est pas: maîtriser le maximum de paramètres, dans un contexte où on ne sait en réalité pas vraiment ce qui peut arriver.»

#2 Surveiller et servir

Qu’est-ce qu’il faut avoir dans le ventre, pour faire ce métier? «Pour commencer, il faut être profondément serviable, rétorque Christophe Berthiaud sans hésiter. C’est ça, le vrai secret: contrairement à ce que l’on pourrait penser, plus qu’être très costaud, par exemple, il faut surtout aimer rendre service aux autres!»

 

 

Puis, l’éventail de compétences à acquérir est franchement vaste: «Comment réanimer une personne inconsciente, lutter contre un début d’incendie, évacuer des lieux, utiliser un extincteur…» liste-t-il. Et de rappeler que, contrairement à l’imaginaire populaire, les agents de sécurité ne sont pas systématiquement armés.

 

Ceux qui le sont peuvent venir se former dans son institut: Christophe Berthiaud en connaît donc aussi un rayon, niveau pistolets et tir. À qui est-ce qu’il ne donnerait jamais un flingue? Là aussi, sa réponse peut surprendre: «Je ne donnerai jamais une arme à une personne trop hautaine, par exemple.» Pourquoi? «Ces individus ne sont généralement pas très empathiques, pas très à l’écoute. Dans une situation d’urgence, ils risquent d’être plus facilement déstabilisés que d’autres, et de se servir de l’arme d’une manière qui ne sert pas leurs intérêts — voire même qui empire la situation, aveuglés par leur égo.»

 

#3 Ne pas avoir peur d’être… surpris

Lorsqu’on lui demande de nous raconter une anecdote de terrain, ou la chose la plus bizarre qu’il ait vu de sa carrière, Christophe Berthiaud se creuse la tête quelques instants — la confidentialité fait partie du métier… Il ne peut rien dévoiler de vraiment «scandaleux» (même s’il ne nie pas avoir «vu des choses»). Il finit par trouver la bonne histoire, à la fois cocasse, et assez représentative de son quotidien, assure-t-il.

 

 

«Une fois, un collègue et moi avons été appelés en pleine nuit pour intervenir sur une potentielle effraction dans une villa à Genève. À l’intérieur de la villa, lorsqu'une effraction survient, l’alarme est volontairement discrète — le but étant de pincer les voyous avant qu'ils ne s’enfuient.»

 

Il poursuit: «En arrivant sur place, on fouille la grande maison… et, rien. On arrive dans la chambre à coucher principale en dernier. On inspecte les lieux. Il n’y a toujours personne, et rien d’anormal, vraiment! Alors on s’apprête, comme c’est le protocole, à faire notre petit rapport, toujours dans la chambre, pour clore l’affaire — qui n’en était pas une. C’est là que la radio de mon collègue sonne.»

 

Et là, surprise. «À cause du bruit strident, d’un coup, deux personnes se lèvent du lit! Deux personnes âgées, visiblement surprises de nous voir, évidemment. C’était vraiment une scène de film. J’aurais juré qu’il n’y avait personne sous ces draps, tant ils avaient l’air plats… Il y avait quelques petits reliefs, certes, mais cela ressemblait simplement à un lit qui n’a pas été fait à merveille. Je n’aurais jamais pensé que ces petits reliefs pouvaient être des personnes!» Aujourd’hui, il en rit «mais, sur le moment, on a eu peur — autant que le couple de seniors qu’on a réveillés pour rien en pleine nuit.»

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