«Le négoce a fait naître les routes commerciales»

Daniella Gorbunova
Publié vendredi 31 octobre 2025
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#Négoce Le secteur du négoce de matières premières et ses 329 sièges d'entreprise logés à Genève (fin 2023) est crucial pour notre économie. Tour d’horizon et entretien avec Claire Corneau, à la tête de la communication de Suissenégoce.

Longtemps resté dans l’ombre en termes de présence sur la scène publique, le secteur du négoce de matières premières change son fusil d’épaule. Il mise sur une communication plus transparente afin de mettre en avant son importance cruciale pour l’économie genevoise - et suisse - par les temps qui courent, à savoir l’instabilité économique, le protectionnisme américain et la guerre aux portes de l’Europe.

Claire Corneau est à la tête de la communication de Suissenégoce, l'association des entreprises suisses de négoce de matières premières et de transport maritime. Elle confirme un certain changement de stratégie: formations initiales et continues, événements de networking organisés régulièrement à Genève ou présence accrue sur les réseaux sociaux. Le négoce veut faire peau neuve en termes d’image. La pro de la communication nous explique pourquoi.

Claire Corneau, quel est le plus gros cliché sur le secteur du négoce de matières premières?
Qu’il ne serait qu’une activité financière spéculative, menée derrière des écrans. Pourtant, c’est tout l’inverse: c’est un métier d’agilité, d’adaptation et de contacts humains. Les négociants gèrent des flux physiques de marchandises, qui sont soumis non seulement à la géopolitique et aux crises, mais aussi aux aléas du climat. C’est là que les agronomes et les météorologues interviennent, travaillant de concert avec les producteurs: les agronomes conseillent sur les techniques agricoles les plus adaptées, accompagnent sur le terrain et aident à améliorer la qualité des récoltes. Les météorologues fournissent des prévisions pour anticiper et gérer les risques climatiques, permettant ainsi de planifier les semis, les récoltes ou de réagir aux événements extrêmes. Rien n’est jamais figé: les négociants visitent les plantations, échangent avec les producteurs, choisissent les lots de grains. La valeur du négoce réside dans cette capacité collective à réagir, à collaborer et à transformer chaque défi en opportunité grâce à l’expertise de toute une chaîne de savoir-faire.

Négocier et échanger des denrées alimentaires, des métaux, des artéfacts est aussi vieux que l'humanité, ou presque. Pourquoi votre secteur souffre-t-il parfois d'une mauvaise image?
Le négoce existe en effet depuis la nuit des temps. C’est lui qui a fait naître les routes commerciales, les ports et les alliances entre peuples. Depuis que les premières civilisations ont commencé à produire plus qu’elles ne consommaient, elles ont cherché à échanger leurs surplus: grains contre sel, cuivre contre étain, étoffes contre épices. Ces transactions ont façonné l’histoire du monde. Au fil des siècles, le rôle du négoce a été déterminant: c’est grâce aux négociants que le chocolat chaud est arrivé à la cour de Louis XIV, que les tissus venus d’Orient ont trouvé leur place dans les salons genevois ou que le thé, découvert en Asie, s’est peu à peu imposé dans les habitudes européennes. Les négociants ont toujours été les passeurs discrets de ces échanges culturels et économiques. Mais ce secteur reste mal compris, car il agit en amont des marques et des produits finis. Par nature, il parle peu: il est tourné vers l’efficacité, la précision, la logistique, pas vers la communication. Ce pragmatisme a parfois été perçu comme du mutisme, voire de l’opacité. Pourtant, le quotidien d’un négociant est tout sauf libre ou improvisé: à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement, il doit respecter un cadre strict: réglementations, contrôles, traçabilité, qui encadrent chaque transaction. C’est un univers de responsabilité et de rigueur, bien plus concret qu’on ne l’imagine, et dont on mesure toute l’importance quand les chaînes d’approvisionnement se bloquent.

Cela fait plusieurs années que vous êtes dans le milieu: quels clichés sont un peu vrais, lesquels ne correspondent pas du tout à votre expérience?
Ce qui ne correspond pas du tout à la réalité, d’abord, c’est l’image du négociant solitaire derrière ses écrans! En réalité, ces professionnels passent leur temps à parler: aux producteurs, aux transporteurs, aux assureurs, aux banquiers... Si vous n’aimez pas les interactions humaines, le négoce n’est définitivement pas fait pour vous.

Qu’est-ce qui est un peu vrai, comme stéréotype, alors?
Le milieu est très masculin. Cela évolue: il y a 36% de femmes au Master en Commodities Trading à l'Université Genève cette année. Mais un secteur mieux connu encouragera davantage de talents, masculins comme féminins, à s’intéresser aux métiers du négoce et contribuera à diversifier les profils. C’est justement l’un des enjeux de notre campagne actuelle.

Qu'est-ce qui vous a attirée dans la branche?
Sa dimension mondiale et concrète. Peu de secteurs lient aussi directement l’économie, la géopolitique et notre quotidien. Travailler dans le négoce, c’est comprendre comment un produit passe du champ, de la mine ou du puits jusqu’au consommateur final, et comment chaque étape dépend du climat, des marchés ou des décisions politiques. J’ai voulu rejoindre ce milieu pour en saisir les mécanismes de l’intérieur, les décoder et contribuer à mieux les expliquer au grand public.

Le secteur - en Suisse, du moins - s'est longtemps fait discret sur la scène médiatique. Aujourd'hui, à Genève, avec une présence plus marquée sur les réseaux sociaux et des formations continues ouvertes au grand public, Suissenégoce semble marquer un changement de cap. Pourquoi cette nouvelle visibilité?
Parce qu’il était temps de rendre visible un secteur essentiel mais méconnu, notamment parce qu’il ne vend pas de marques au grand public. Le négoce travaille sans vitrine, mais il est au cœur de nos approvisionnements. Avec sa campagne de communication, Suissenégoce veut montrer que le travail d’un négociant est tout sauf abstrait. Il englobe des métiers très concrets: transport, logistique, assurance, financement, contrôle qualité, qui permettent aux biens de circuler du producteur au consommateur. Nos visuels à l’aéroport de Genève se trouvent dans le même couloir que ceux des autres piliers de l’économie suisse: banques, horlogerie, industrie, pour rappeler que le négoce en fait pleinement partie. Notre objectif est de donner un visage humain et une dimension réelle à un métier souvent perçu comme spéculatif et éloigné de la réalité.

Pourquoi maintenant?
Parce que le moment est venu de parler avec clarté d’un secteur essentiel. Le négoce de matières premières représente de 8% à 10% du PIB suisse et jusqu’à 20% des revenus des cantons de Genève, de Zoug et du Tessin. C’est une composante majeure de l’économie nationale, portée par près de cinq cents entreprises, non seulement des multinationales, mais aussi, pour beaucoup, des PME familiales. Notre campagne vise simplement à rappeler cette réalité économique et humaine: le négoce, par son expertise et sa capacité d’adaptation, relie la Suisse au reste du monde et contribue chaque jour à la stabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales.

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