«Le solaire peut être compétitif, durable et esthétique»
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 19 juin 2025
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#Panneaux solaires
Pionnier du solaire, professeur à l’EPFL et directeur général du CSEM de Neuchâtel jusqu’à fin 2025, Christophe Baillif annonce l’ère du solaire.
Serait-il possible de couvrir l’ensemble des besoins en électricité de la Suisse et avec quel impact?
Si l’on couvrait tous les toits et façades des bâtiments existants avec des modules solaires, on pourrait produire davantage d’électricité que ce que la Suisse en consomme. En y ajoutant d’autres espaces, tels que les parkings, les bords d’autoroutes, les voies de chemins de fer ou les lacs de barrage, le potentiel photovoltaïque est énorme, encore plus en prenant en compte le potentiel de l’agrivoltaïque.
La fabrication des panneaux entraîne de l’énergie grise: un problème?
Pas du tout. En Suisse, l’installation d’un système solaire complet rembourse l’énergie nécessaire à sa fabrication - purification du silicium incluse - en moins d’un an. Ensuite, il fonctionne pendant vingt-cinq à trente ans, voire davantage avec l’amélioration des performances pour les nouvelles générations de produits. Du point de vue du CO2, un système PV utilisant des modules photovoltaïques fabriqués en Chine à partir d’électricité issue du charbon émet entre 25 grammes et 35 grammes de CO2 par kWh produit, contre plus de 900 grammes pour une centrale à charbon. Avec une production plus propre, ce chiffre tombe à 15 grammes, et pourrait tendre vers zéro dans un système énergétique totalement décarboné.
Certaines matières premières entrant dans la composition des panneaux impliquent tout de même des enjeux environnementaux, éthiques et géopolitiques?
La filière des énergies renouvelables fait tout pour minimiser son impact environnemental. De plus, les problèmes liés à l’extraction minière des matériaux pour la transition énergétique ne sont pas comparables à l’ampleur des dégâts causés par le dérèglement climatique ni à l’impact de l’extraction des énergies fossiles, qui est le plus grand système minier.
En ce qui concerne les ressources, il n’y a pas de risque de pénurie majeure. Le silicium, utilisé pour les panneaux, est l’un des éléments les plus abondants de la croûte terrestre. Le lithium pour les batteries est disponible en quantités suffisantes, et des solutions de remplacement au cobalt, comme le fer, existent déjà. Il peut y avoir des tensions ponctuelles, mais pas de pénurie structurelle. Ensuite, concernant la responsabilité hors de nos frontières, il faut évidemment maintenir une forte pression sur les entreprises minières afin qu’elles adoptent des pratiques responsables.
Comment faire adhérer la société à cette transition?
En premier lieu, nous devons agir contre le réchauffement climatique, qui va avoir un coût énorme. Ensuite, il faut pouvoir compter sur un soutien suffisant de la part des pouvoirs publics. Depuis le 1er janvier 2025, les tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque ont connu une baisse significative. Par exemple, dans les cantons de Genève, Vaud et Valais, les tarifs sont passés en moyenne de 17,32 cts/kWh en 2024 à 11,58 cts/kWh en 2025. Il faut donc trouver un moyen pour que les installations annuelles en Suisse ne descendent pas en-dessous de 1,5 GW, idéalement de 2 GW, ce qui permet de gagner chaque année de 2% à 3% de courant électrique. Avec la baisse des tarifs de rachat, l'autoconsommation devient plus attractive: cela vaut la peine de l’utiliser plutôt que de le vendre.
L'installation de batteries de stockage permet de consommer l'électricité produite au moment opportun, réduisant ainsi la dépendance au réseau et améliorant la rentabilité des installations solaires. En outre, malgré la baisse des tarifs de rachat, plusieurs mesures ont été mises en place pour encourager l'installation de panneaux. Je pense aussi aux mécanismes d’enchères pour certaines installations. Celles situées en montagne, de grande taille, peuvent bénéficier d'une rétribution unique couvrant jusqu'à 60% des coûts d'investissement, à la condition de respecter certains critères de production.
Il existe aussi un bonus pour les installations en façade ou avec un angle élevé, qui permet de mieux équilibrer la production été-hiver. Plus généralement, il faut aussi renforcer la sensibilisation pour que chaque citoyen prenne sa part dans la transition énergétique, sans se focaliser sur un rendement à trop court terme. Et bien sûr il faut aussi que les installateurs transmettent aux clients, par des prix plus avantageux, les bénéfices de panneaux solaires moins chers et plus performants et que les règlementations soit les plus simples possible.
Un message à faire passer?
Le photovoltaïque sera probablement la principale source d’électricité du siècle d’ici à sept à dix ans1, devenant incontournable pour que la Terre puisse se décarboner. Il est ainsi recommandé de conserver une partie de la technologie en mains occidentales, même s’il est désormais impossible de se mesurer à la Chine pour ce qui est de la production de masse. En Suisse, nous devons consolider notre savoir-faire dans des secteurs de niche ou de spécialités, en particulier dans le photovoltaïque intégré au bâti, comme la fabrication de certains composants ou des systèmes de mesures de qualités, ou encore pour trouver des solutions améliorant le pilotage de la production, tout cela en protégeant avec les bons brevets, qui peuvent aussi avoir un rôle pour la production de masse à l’étranger. Je rappelle que le solaire est très complémentaire à l’éolien. Idéalement, on devrait développer ces deux voies en Suisse.
1 En 2024, quelque 600 GW de panneaux solaires ont été installés au monde. En moyenne annuelle, ces panneaux produiront l’équivalent d’environ cent grandes centrales nucléaires fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Des laboratoires aux idées lumineuses
Christophe Ballif a pris la direction du PV-Lab de l’Institut de Microtechnique de l’Université de Neuchâtel en 2004, un laboratoire fondé par Arvind Shah en 1984. En 2009, le PV-Lab a été intégré à l’EPFL, alors que la demande pour les énergies renouvelables solaires était en train d’exploser. En 2012, avec le soutien de l’EPFL et de la Confédération, le Centre Suisse d’électronique et microtechnique (CSEM) a créé un nouveau centre dédié aux énergies renouvelables. À l’origine, le CSEM a été fondé dans le but de renforcer l’innovation technologique dans les domaines porteurs autour de la microtechnique et de l’horlogerie, surtout pour valoriser les compétences de la région. La catastrophe nucléaire de Fukushima a ensuite donné une nouvelle impulsion à la politique fédérale afin d’accélérer la transition énergétique et de s’éloigner du nucléaire. Les thématiques du solaire, du stockage énergétique et de l’utilisation des données pour la gestion de l’énergie ont concentré l’attention des chercheurs. Alors que l’EPFL se recentre plutôt sur la recherche fondamentale, le CSEM s’est davantage spécialisé dans le transfert de technologies. Au total, cent vingt personnes travaillent, à l’EPFL et au CSEM, dans le domaine du photovoltaïque, des batteries et plus globalement des systèmes énergétiques, en lien avec de nombreuses entreprises. Dans le domaine de l’énergie, le CSEM compte plus de quarante entreprises partenaires, cherchant à travailler en priorité avec l’industrie suisse, se positionnant comme un accélérateur national de l’innovation.
La mission principale des équipes de Neuchâtel est de rendre les panneaux toujours plus performants et moins chers à fabriquer. Elles contribuent à l’installation de plusieurs dizaines de gigawatts de lignes de production dans le monde entier. De plus, elle ont développé de multiples technologies innovantes comme les panneaux solaires blancs ou hyperlégers, des cadrans de montre solaire très esthétiques ou encore des batteries de type semi-solides.
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