Les défis brûlants de la filière solaire, recyclage compris
Le déploiement de panneaux photovoltaïques s’est accéléré ces dernières années. De nombreuses questions se posent néanmoins à leur sujet, notamment celle de leur recyclage.
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 19 juin 2025
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#Panneaux solaires
Face à l’urgence climatique et aux objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050, le solaire s’est hissé au rang de pilier incontournable de la transition énergétique suisse.
Depuis la pandémie de covid et surtout depuis la guerre en Ukraine, le déploiement de panneaux photovoltaïques a connu une accélération fulgurante. Encouragée par les subventions, la simplification des démarches et la volonté politique, la Suisse s’est équipée à grande vitesse, tout comme de nombreux pays européens. Or, cette dynamique repose en grande partie sur une réalité industrielle dont l’ensemble des enjeux n’est pas toujours compris. Aujourd’hui, une part écrasante des dispositifs solaires, en Suisse et dans le monde, provient d’Asie, principalement de Chine. Grâce à des investissements massifs, à une maîtrise complète de la chaîne de valeur et à des capacités de production sans équivalent, la Chine est devenue le fournisseur quasi exclusif de modules photovoltaïques - environ 90% du total - à des prix imbattables. Cette évolution représente une opportunité en termes de coûts, mais aussi un signal d’alerte sur la dépendance stratégique de l’Europe et sur sa difficulté à maintenir une industrie compétitive. La faillite de Meyer Burger, pionnier suisse à avoir montré une ambition industrielle dans ce domaine, en est un révélateur brutal. Elle met en lumière un paradoxe: alors que le solaire est en plein essor, les acteurs locaux peinent à survivre. Au-delà de la seule production, d’autres défis majeurs se profilent: comment structurer une filière de recyclage adaptée au volume croissant de panneaux en fin de vie? Comment encourager l’innovation pour des produits plus durables, plus réparables, mieux conçus dès l’origine? Quelle est la marge de manœuvre du continent européen et de la Suisse? Est-il encore possible de se lancer dans la course et si oui, dans quelle direction?
L’essentiel du cadre légal et réglementaire
En Suisse, le cadre légal en matière d’énergie solaire repose principalement sur la Loi sur l’énergie, qui fixe les objectifs de transition énergétique du pays. Depuis sa révision en 2022, elle impose notamment l’installation de panneaux solaires sur les nouvelles constructions de plus de trois cents mètres carrés tout en encourageant l’autoconsommation et la production locale via des incitations ciblées. La Loi sur l’approvisionnement en électricité vient compléter ce dispositif en garantissant l’accès au réseau et un tarif de rachat attractif pour les producteurs. À cela s’ajoutent des normes techniques strictes pour assurer la qualité et la sécurité des installations. Sur le terrain, les cantons disposent d’une certaine marge d’action. À Genève, la votation du 18 mai 2025 a permis de trancher entre deux visions: une initiative populaire, qui voulait imposer des panneaux solaires sur tous les bâtiments existants, y compris balcons et façades, et un contre-projet plus pragmatique porté par le Grand Conseil. C’est ce dernier qui l’a largement emporté, avec plus de 84% de oui. Il prévoit une obligation d’installation de panneaux solaires photovoltaïques pour les bâtiments neufs, les rénovations lourdes et les gros consommateurs d’ici à 2030, tout en simplifiant les démarches administratives et en garantissant le soutien des Services industriels genevois. Résultat: une avancée concrète, structurée mais mesurée, qui évite les contraintes excessives tout en inscrivant fermement le solaire dans le paysage urbain du canton.
Du côté de l’Union européenne, le cadre s’est nettement renforcé avec le plan REPowerEU, adopté en mars 2022, visant à augmenter l’autonomie énergétique du territoire dans le cadre d’une transition vers des énergies dites propres. Pour le solaire, en particulier, il a été décidé que la capacité devait atteindre 600 GW de capacités installées d’ici à 2030. La réglementation sur les déchets électroniques encadre la fin de vie des panneaux photovoltaïques. Enfin, des textes récents, comme le Net Zero Industry Act, cherchent à relocaliser une partie de la production solaire en Europe pour réduire la dépendance à la Chine.
Objectif, limiter l’impact environnemental
La vague attendue du recyclage des panneaux photovoltaïques soulève déjà des défis techniques, politiques et environnementaux. La filière s’y prépare en deux temps: d’abord en évaluant le moment du pic de recyclage des premières installations, ensuite en misant sur l’amélioration continue des performances pour étaler leur fin de vie dans le temps.
Jean-Louis Scartezzini, professeur honoraire à l’EPFL et figure de référence du solaire suisse, observe ces évolutions avec le recul de quatre décennies. Ancien directeur du Laboratoire d'énergie solaire et de physique du bâtiment, il rappelle que «l’on tablait sur une durée de vie de plus de vingt-cinq ans, or nous constatons qu’ils restent encore en bon état de fonctionnement après ce laps de temps».
Les acteurs du solaire mesurent bien les enjeux liés à la valorisation des matériaux, certains étant à haute valeur ajoutée ou nécessitant une expertise particulière. «Environ 95% des composants des modules sont facilement recyclables. Ils sont pour la plupart fabriqués à base de silicium monocristallin, autrement dit du sable», rassure le chercheur. Toutefois, les panneaux contiennent aussi, en très faibles quantités, d’autres composants plus délicats à traiter, tels que le plomb (dans les soudures), parfois l’étain ou le fluor (dans les films de protection), ainsi que verre et aluminium pour les cadres.
La première étape du recyclage consiste à séparer les éléments physiques: aluminium, verre, câbles, notamment. Ensuite viennent des traitements thermiques ou chimiques afin d’extraire ou de neutraliser les métaux lourds. Le plomb, en particulier, doit être stabilisé. Les soudures sont récupérées via des techniques de fusion contrôlée, suivies d’un traitement chimique pour séparer les métaux. Les modules à couches minces (tellurure de cadmium ou cuivre indium sélénium), encore peu répandus en Suisse, mais prometteurs en termes de rendement énergétique, nécessitent un traitement plus poussé, souvent assuré par des centres spécialisés à l’étranger.
De manière générale, des solutions innovantes voient le jour: location des modules, réemploi partiel, réduction des matériaux critiques.
En 2024, le groupe vaudois Barec, acteur majeur du recyclage en Suisse, a noué un partenariat avec la start-up française Rosi. Son usine, située à Grenoble, est désormais capable de séparer les différentes couches d’une cellule photovoltaïque afin de récupérer verre, cuivre, argent et silicium. Cette opération, effectuée par pyrolyse, constitue un net progrès pour la valorisation des composants. À terme, certains matériaux pourraient réintégrer la chaîne de production de nouvelles cellules solaires.
Selon les spécialistes, le verre, l’argent ou le cuivre trouvent facilement preneurs sur le marché, y compris pour d’autres usages que le solaire. Certes, le rendement financier reste modeste, mais l’effort s’inscrit pleinement dans une logique d’économie circulaire.
Le plomb peut ainsi être utilisé dans la fabrication de batteries ou de boucliers contre les radiations.
Le verre et les fines tranches de silicium sont broyés ensemble, puis transformés en laine de verre pour l’isolation des bâtiments.
En revanche, l’aluminium et le cuivre sont recyclés séparément et réintègrent directement les circuits industriels. Quant aux films plastiques composites, ils restent le maillon faible de la chaîne: aucune filière de valorisation n’existe à ce jour. Ils sont incinérés, leur combustion servant à produire de la chaleur pour l’industrie du ciment.
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