D’énormes enjeux pour la recherche suisse

La recherche suisse dépend en partie de sa participation aux programmes de recherche européens.
La recherche suisse dépend en partie de sa participation aux programmes de recherche européens.
Flavia Giovannelli
Publié le jeudi 20 juin 2024
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#Accords bilatéraux Suisse-Europe: les accords bilatéraux sont essentiels pour la recherche suisse

Avec près de cent milliards d’euros pour les années 2021-2027, les fonds européens représentent une manne pour les chercheurs et autres jeunes pousses de l’espace concerné. Ce soutien est le plus complet au monde, couvrant toute la chaîne de création de valeur, allant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, ouvrant la voie à la commercialisation des produits et services.

Depuis 2021, lorsque la Suisse a décidé de sortir des discussions sur l’accord-cadre, les milieux académiques, les PME et les entreprises de grande taille ont subi des restrictions non négligeables. «Il leur est devenu impossible de coordonner des projets européens, de briguer des bourses parmi les plus prestigieuses, comme celles du European Research Council, de l’European Innovation Council ou de Marie Skłodowska-Curie», commence Anne Laufer, responsable des affaires publiques à l’Université de Genève.

Option transitoire

La participation des chercheurs suisses aux projets dans des domaines stratégiques de premier plan, tels que le spatial, le quantique, le digital et l’énergie est également limitée et parfois exclue.

Pour le moment, les mesures transitoires financées par la Confédération permettent d’atténuer la difficulté de cette situation, tout en restant bien en-deçà de ce qu’offrirait la participation à des programmes à la portée plus vaste. «Le sort des scientifiques suisses d’exception est un peu celui qu’aurait connu Roger Federer s’il n’avait pas pu participer à des tournois internationaux. Il aurait indéniablement été le meilleur du pays, mais cette comparaison montre combien la différence est notable», sourit Anne Laufer.

Depuis le début des négociations en vue des Bilatérales III, un nouvel arrangement transitoire a été conclu entre la Commission européenne et le Conseil fédéral. Il a permis cette année aux scientifiques basés en Suisse de participer à l’appel à projets d’une catégorie de bourses du European Research Council. Le financement de ces démarches est assuré uniquement par la Confédération, mais l’accès à la compétition européenne est à nouveau rendu possible. Cette option n’est que transitoire et son extension à 2025 reste suspendue à la conclusion du nouveau paquet global d’accords sectoriels. «Les milieux académiques comptent sur les milieux politiques pour aboutir afin d’obtenir une réintégration définitive, dans des délais raisonnables, à Horizon Europe et aux programmes associés comme Digital Europe et Euratom», commente Anne Laufer.

Si la Suisse se confortait dans son isolement, les risques à terme sont une lente érosion et un affaiblissement de sa compétitivité. On en constate déjà certains effets, même si le décalage temporel entre le lancement et l’aboutissement d’un projet rend difficile de le chiffrer. Ainsi, certains fonds octroyés depuis 2017 ont compensé ceux qui ont été perdus depuis 2014 (soit depuis les mesures prises par l’UE à la suite du vote de l’initiative contre l’immigration de masse). Le nombre de participations au programme Horizon Europe montre que la Suisse a perdu des rangs: elle figurait au neuvième rang en 2007-2013, au onzième rang en 2014-2020 et au quinzième rang pour les projections 2021-2027.

Une portée concrète

Il ne faut pas croire que seuls des universitaires menant de la recherche fondamentale dans leurs laboratoires sont concernés, avec peu d’enjeux pour la population. Ce serait oublier que les boursiers montent des équipes entières, formant des générations de jeunes en Suisse, participant au rayonnement des universités, des hautes écoles et des start-up et travaillant sur des innovations aux retombées locales.

Faute d’avoir la masse critique suffisante, même les meilleures innovations en Suisse ne trouveraient plus de débouchés et se priveraient de réseaux clé. «Imaginons le cas des découvertes en médecine. Je pense à la recherche clinique sur le cancer, qui attire d’énormes sources de financement en Europe, et dont nous ne pourrions plus bénéficier. Ce serait prendre le risque d’être moins bien soignés», conclut Anne Laufer. Sans compter d’autres conséquences en cascade. Des scientifiques de renom hésiteraient par exemple à s’établir dans le pays en raison de la non-association à un programme européen. En résumé, la Suisse risque de ne plus figurer au premier plan sur la photographie de l’excellence dans les décennies à venir. 

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