Internet: chacun son style

Maurice Satineau
Publié le mardi 14 mai 2024
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#Réseau Internet est moins global que prévu. L’esprit un peu idéaliste des débuts a fait place à des champs de bataille. La méfiance progresse aussi vite que la technologie.

L’espace ouvert et continu annoncé à la naissance du web semble se barricader sous l’influence de trois forces convergentes et complémentaires. Le virtuel a engendré une grande méfiance politique. Plus d’une trentaine de pays aux régimes politiques très différents - soit un peu plus de trois milliards d’individus - estime avoir de bonnes raisons de limiter ou d’interdire temporairement ou durablement l’accès à internet soit à des opposants politiques, soit aux acteurs étrangers. En cas de guerre comme en Ukraine, à Gaza, au Tigré, au Yémen, les infrastructures techniques du réseau sont aussi des cibles prioritaires.

Même en temps de paix, l’Etat est très tenté de contrôler ce canal de communication, comme il l’a fait jadis pour la télévision en noir et blanc et le téléphone fixe, de manière défensive ou offensive. Le second front se situe au niveau des activités commerciales ou de services pour lesquelles les parts de marché se traduisent souvent en incompatibilité des plateformes concernées, comme WhatsApp, Instagram, TikTok, WeChat. En termes symboliques, la notion de communauté chère au web contribue en fait à le cloisonner.

C’est ma norme

Troisième point, la compétition technologique dans l’évolution de cet outil magique. «L’adoption encore sporadique du protocole IPv621 renforce le processus de fragmentation en raison de l’incompatibilité technique entre l’IPv4 et celui-ci», selon le spécialiste Julien Nocetti, auteur d’une toute récente étude planétaire au titre évocateur: La balkanisation d’Internet vers la fin du web global?. Mêlant technologies suspectes et intentions politiques, les nations s’interdisent mutuellement l’accès à tels ou tels équipements.

A Genève, l’Union internationale des télécommunications se penche sur un éventuel new IP. Les Etats-Unis trouvent cette nouvelle norme beaucoup trop chinoise. L’Union européenne est plus que réticente, car elle permettrait de mieux isoler certains acteurs du réseau, y compris au niveau individuel. A l’export, les routes de la soie connaissent désormais une version numérique.

Face à un internet occidental plutôt hostile, la Fédération de Russie russifie tout ce qu’elle peut. Une partie des flux d’Ukraine passe désormais par ses serveurs. Elle se dote de son propre système de noms de domaine, son moteur de recherche Yandex ne travaille plus avec Firefox. Curieusement, dans la législation russe, on trouve les mêmes termes que ceux employés aux Etats-Unis et dans l’Union européenne: la souveraineté numérique. En plein développement d’une identité informatique pour ses habitants, l’Inde s’oppose régulièrement à tout traité évoquant une liberté de circulation des données. Son système Koo vise à remplacer X.

D’autres cartes

Un peu en retrait sur le plan technologique, l’Union européenne joue d’autres cartes. Elle entend restreindre l’accès à certains contenus jugés contraires à ses valeurs, quitte à se lancer dans une forme d’extraterritorialité de son droit. Bruxelles entend peser de tout son poids sur l’élaboration du Pacte numérique mondial, qui sera présenté par les Nations unies en septembre prochain lors du grand sommet mondial pour le futur. En termes de technologie, l’Union européenne croit au développement du DNS4EU (internet sûr, privé et stable) d’ici à 2025 pour la construction de son autonomie stratégique.

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