L’UE autorise de plus en plus les aides d’Etat en faveur des entreprises

Steven Kakon
Publié vendredi 23 août 2024
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#Union européenne Le subventionnement de l’économie privée se développe en Europe. Comment l’expliquer? Quels sont ses effets en Suisse?

Alors que le droit européen interdit en principe aux Etats membres d’aider directement leurs entreprises, ce phénomène s’est développé ces dernières années. «L’activité de subventionnement est considérablement plus développée dans l’UE qu’en Suisse», remarque Simon Hirbrunner, avocat bruxellois spécialiste du droit de la concurrence. Interdites en principe, les aides publiques à l’économie privée peuvent être autorisées par l’UE si elle estime que les effets positifs potentiels l’emportent sur les effets négatifs sur la concurrence et les échanges entre Etats membres. «La marge de manœuvre pour justifier des aides d’Etat est donc très large», estime François Baur-Beaussart, délégué d’economiesuisse à Bruxelles.

Sept cent trente milliards d’euros

Dans les faits, les Etats membres aident le secteur privé dans des domaines aussi variés que la culture, les effets de la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine, la transition énergétique ou le développement de régions moins favorisées. Ils peuvent également bénéficier d’allocations de fonds structurels et demander à l’UE des ressources financières pour le financement de projets industriels stratégiques. La récente décision de la Commission européenne d’approuver une aide d’Etat italienne de deux milliards de francs destinée à aider STMicroelectronics à mettre en place une nouvelle usine de fabrication de semi-conducteurs en est un exemple. D’autres catégories d'aides peuvent être déterminées par une décision du Conseil européen sur proposition de la Commission. Au total, sept cent trente milliards d’euros d’aides ont été approuvés par Bruxelles en un peu plus d’une année, notamment pour aider les entreprises à passer la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, rapporte le quotidien français Les Echos.

L’UE mène aussi une politique industrielle active pour réaliser ses objectifs stratégiques, ainsi qu’en réaction aux développements dans d’autres régions du monde. C’est notamment le cas pour faire face à l’immense programme d’investissement lancé par les Etats-Unis, l’Inflation Reduction Act.

Allemagne en tête

L’Allemagne se distingue: elle a attribué plus de la moitié des aides d’Etat autorisées par Bruxelles, soit deux fois plus que son poids dans le PIB de l’UE, relève Les Echos. Quant à la France, elle a été autorisée à verser 3,5 milliards d’euros en soutien aux PME pour les aider à réduire leur dépendance aux hydrocarbures et à accélérer la transition énergétique dans le contexte de la guerre en Ukraine.

Les aides d’Etat doivent en principe être dégressives, limitées dans le temps et cesser au plus tard une fois que l’objectif est atteint. «La Commission européenne peut cependant réévaluer la situation sur demande de l’Etat membre et autoriser une nouvelle aide d’Etat si les conditions sont remplies», précise François Baur-Beaussart.

Les aides d’Etat peuvent être de diverses natures. «On compte les paiements directs classiques de l’Etat, les avantages fiscaux, les prêts publics à des conditions non conformes au marché, les garanties de cautionnement de l’Etat ainsi que les renflouements en faveur d’entreprises insolvables ou surendettées», détaille Avenir suisse dans un rapport, avant de remarquer, dans des écrits plus récents, qu’elles ont tendance à diminuer.

Effets en Suisse

Quels effets ces aides ont-elles sur l’économie suisse? Elle en profite en voyant le coût de ses importations baisse, mais «les efforts de l’UE pour renforcer son autosuffisance et sa position concurrentielle ont inévitablement des répercussions négatives sur la position des pays non membres avec lesquels elle entretient des échanges commerciaux intensifs», juge Simon Hirsbrunner. «Cela concerne par exemple des secteurs de haute technologie courtisés par les cantons romands.» Le magazine anglais The Economist, souvent critique face à la France, a récemment souligné la place centrale qu’avait pris Paris dans ce secteur.

L’UE peut prendre des mesures pour se défendre contre les subventions octroyées par des Etats tiers si elle juge que celles-ci faussent la concurrence sur le marché intérieur. Elle a par exemple fixé des droits compensatoires contre les importations de produits chinois hautement subventionnés. «Il s’agit d’une mesure en accord avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce», précise François Baur-Beaussart. A noter que des pays membres de l’UE ont soutenu financièrement leurs producteurs d’acier «parce que leurs produits ne sont plus compétitifs au niveau international en raison du niveau élevé des prix en Europe», ajoute le délégué d’economiesuisse. Or, ces mesures touchent aussi les importations de produits sidérurgiques fabriqués en Suisse, alors que les producteurs y ont également souffert de la hausse des prix de l’énergie et de la concurrence des produits de pays subventionnant leur industrie. «Il serait utile que la Suisse négocie des exceptions», estime Simon Hirsbrunner. «Les négociations actuelles avec l’UE pourraient en être l’occasion, du moins dans les secteurs couverts par les accords bilatéraux.»

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