La poursuite, une procédure formaliste à l’issue incertaine

Pierre Cormon
Publié le vendredi 23 juin 2023
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#Poursuite Cette procédure n’est qu’une option de dernier recours pour recouvrer des factures non payées. Conseils pratiques pour éviter d’en arriver là.

Rien de plus simple que de lancer une poursuite en Suisse. Il suffit de faire parvenir un formulaire rempli à l’Office des poursuites compétent, sans avoir à présenter aucune pièce justificative. Si le débiteur s’y oppose ou ne paie pas, en revanche, la situation se corse.

La suite de la procédure peut en effet demander de jongler avec des concepts peu intuitifs tels que requête de mainlevée d’opposition, poursuite ordinaire, pour effet de change, titre de mainlevée, conformément à la loi fédérale sur les poursuites et faillites. «De plus, il s’agit d’une procédure très formelle, qui demande beaucoup de rigueur», note Axel Schmidlin, avocat associé de l’étude Schmidt & Associés, à Genève. «Une simple erreur dans un intitulé peut la faire échouer.»

Renoncement

Certains créanciers renoncent donc à faire valoir leurs droits. C’est le cas de la physiothérapeute Florence Nguyen Huu. «Les mauvais payeurs représentent un tout petit pourcentage de ma clientèle», raconte-t-elle. «Si je mets en balance le temps que lancer des poursuites me prendrait, les frais que cela impliquerait et les chances de récupérer des créances qui sont généralement inférieures à cinq cents francs, je me dis que cela n’en vaut pas la peine. Je préfère consacrer mon temps à traiter mes patients et baser ma relation avec eux sur la confiance.»

D’autres créanciers délèguent les poursuites à des intermédiaires, comme une étude d’avocat. «Il s’agit d’une tâche que les études confient volontiers aux avocats-stagiaires, car elle est répétitive», raconte Axel Schmidlin. «Lors de ma première semaine de stage, j’ai dû rédiger une dizaine de requêtes de mainlevées d’opposition (l’un des points clé de la procédure - ndlr). Septante pour cent du contenu était identique d’une requête à l’autre.»

Frais

La procédure implique des frais. Le créancier doit avancer des émoluments à différents stades de la poursuite, d’un montant de quelques dizaines de francs à chaque fois, selon les tarifs fixés par la Confédération. C’est cependant surtout les frais d’avocats qui peuvent coûter cher.

«Pour un cas très simple, on peut compter en centaines de francs», estime Gaetan Van Campenhoudt, avocat au sein de l’étude VCA Avocats, à Genève. Mais au moindre accroc, la situation se complexifie et les honoraires d’avocats explosent. On parle alors au minimum en milliers de francs.»

Débiteurs insolvables

Parfois, le fait de recevoir un commandement de payer suffit à convaincre le débiteur de régler son dû. Ce n’est cependant pas la règle. S’il existe des débiteurs de mauvaise foi, de nombreux autres sont tout simplement insolvables.

Finalement, «la proportion de poursuites qui aboutissent à un règlement de la dette est plutôt faible», juge Christophe Pommaz, préposé de l’Office cantonal des poursuites de Genève. Très souvent, le créancier n’obtient qu’un acte de défaut de biens, qu’il pourra faire valoir au cas où la situation financière du débiteur s’améliorerait.

Autrement dit: dans un certain nombre de cas, engager des poursuites risque de coûter plus cher que ce que l’on peut espérer récupérer. Il vaut donc mieux évaluer soigneusement la situation avant de se lancer. «C’est parfois le rôle de l’avocat que de dissuader le client d’engager des poursuites», note Axel Schmidlin.

Les nouvelles technologies pourraient cependant sensiblement faire diminuer le coût des procédures, en automatisant tout ou partie du travail des avocats. C’est la conviction d’Axel Schmidlin et de Gaetan Van Campenhoudt. Ils sont en train de mettre la dernière main au site www.debtcollect.ch, avec deux associés. Il vise à permettre aux profanes de mener très facilement et à moindre coût des procédures de poursuites dans toute la Suisse, sans rien connaître à la matière. Le lancement est prévu à l’automne.


Poursuites: nette amélioration à Genève

Après avoir traversé une crise très sérieuse il y a quelques années, l’Office cantonal des poursuites de Genève envoie les commandements de payer de manière beaucoup plus rapide. Au pic de la crise, en août 2016, quarante-cinq mille réquisitions de poursuites s’étaient accumulées en attente de traitement en raison des déboires liées à la modernisation informatique.

Aujourd’hui, le nombre de réquisitions en cours de traitement ou en attente de complément est en moyenne de mille. «L'office est à jour puisque cela correspond au nombre de réquisitions que nous recevons en une journée», commente Sarah Namer, adjointe du préposé de l’Office cantonal des poursuites.

Poste

Les commandements de payer sont envoyés à La Poste, qui est chargée de les notifier au débiteur, c'est-à-dire de les remettre en main propre. «Après l'émission du commandement de payer, nous n'avons plus prise sur le délai de notification», relève Christophe Pommaz. «Il dépend notamment du comportement du débiteur. Certains changent régulièrement de domicile, d’autres n’indiquent pas leur véritable nom à leurs créanciers et tentent de brouiller les pistes.»

Si le débiteur n’est pas chez lui lorsque La Poste se présente, elle laisse un avis lui indiquant qu’il a une semaine pour aller chercher le commandement de payer. S’il ne le fait pas, un autre service de La Poste prend le relais et se présente à des heures différentes.

Quatre-vingts pour cent

La Poste parvient ainsi à notifier 80% des commandements de payer qui lui sont transmis, dans un délai qui varie généralement entre un jour et trois semaines. Les autres cas reviennent à l’Office des poursuites, qui tente à son tour de remettre le document, puis à la commune du débiteur, pour une ultime tentative. En dernier recours, un avis est publié dans la Feuille d’avis officielle.

Le débiteur peut ensuite faire l’objet d’une saisie s’il ne s’oppose pas à la poursuite ou si le tribunal écarte son opposition. Cette opération peut prendre un certain temps. Fin 2022, le stock moyen était de mille cent trente-neuf réquisitions en attente – en diminution de 18% par rapport à 2019.


Mieux vaut prévenir les problèmes

Gérer ses débiteurs? «C’est essentiel pour toute entreprise», estime Carmen de los Santos, directrice de EOS advice Sàrl, à Genève. «Ce sont les paiements des débiteurs qui permettent de payer les fournisseurs. Mieux on les gère, plus les liquidités entrent vite et moins on a besoin de fonds de roulement. En revanche, plus le décalage entre encaissements et paiements est grand, plus on doit avoir de fonds à sa disposition. Bref: le temps, c’est de l’argent. Quelques conseils à appliquer pour maximiser la remise du paiement.

1. Déterminer précisément l’identité du client

Il arrive qu’une entreprise pense avoir affaire à une entité – par exemple Débiteur International SA – alors qu’elle a traité avec une autre – par exemple sa filiale Débiteur Suisse SA. Elle récolte des renseignements, envoie des rappels ou lance des poursuites contre la mauvaise entité. Il faut donc établir précisément avec qui on traite: identité, raison sociale, domicile ou siège.

2. Se faire une idée de la solvabilité du client

  • Pour un individu, on peut vérifier qu’il est bien domicilié en Suisse et, si la commande est d’une certaine importance, s’informer de sa situation professionnelle ou de ses sources de revenus.
  • Pour une entreprise: si elle est basée en France, on peut consulter sa comptabilité, moyennant finance, sur des sites tels que Pappers.fr ou Societe.com.
  • Pour les entreprises comme pour les individus: on peut demander à la personne ou à l’entreprise avec laquelle on pense conclure une affaire de fournir un extrait du Registre des poursuites. «A Genève, l'authenticité de l'extrait fourni peut être aisément vérifiée en ligne sur le site de l'Office cantonal des poursuites», précise Christophe Pommaz.

On peut également demander soi-même un extrait concernant un tiers, en motivant sa demande, par exemple avec le justificatif d’une commande. L’extrait indique si ce tiers a fait l’objet de poursuites au cours des cinq dernières années, et si les dettes qui en sont à l’origine ont été payées. «Si elle est sollicitée en ligne le matin, l’attestation arrive en principe dans la journée par voie électronique», assure Christophe Pommaz. Des organismes spécialisés proposent des renseignements sur la solvabilité des personnes physiques ou morales, contre rémunération. Leur exactitude est parfois contestée.

3. En cas de doute, demander des acomptes

Cette option est notamment conseillée quand on ne cerne pas bien les capacités financières du client. Les acomptes peuvent se monter de 20% à 50% du total. «Si le client refuse, il ne faut pas avoir peur de laisser passer l’affaire», conseillait le président de Fiduciaire Suisse section Genève dans les colonnes d’Entreprise romande en 2011. «Cela peut être un signe qu’il a des problèmes de solvabilité et de trésorerie.»

«Dans le bâtiment, on peut également constituer une hypothèque légale», relève Carmen de los Santos. «Il suffit de la faire inscrire au Registre foncier.» L’objet immobilier sert alors de garantie. Si, à la fin des travaux, le maître d’ouvrage n’est pas en mesure de payer les entreprises et les artisans, l’objet immobilier hypothéqué peut être vendu pour obtenir les fonds nécessaires.

4. Garder des traces écrites

Les pièces écrites permettent de se défendre en cas de litige. Même si cela n’est pas obligatoire, il faut toujours établir une commande écrite, faire signer les bulletins de livraisons, signer un contrat ou conserver une preuve écrite de la transaction. Il vaut la peine de prendre un peu de temps pour rédiger des clauses précises, par exemple au sujet des modalités de paiement, que l’on pourra utiliser dans différents contrats. On peut établir un contrat cadre, que l’on adaptera en fonction de chaque cas.

Les traces écrites sont particulièrement importantes quand on convient d’éventuelles modifications du contrat, par exemple dans le bâtiment. Il arrive que, faute d’avoir mis les choses au clair, un litige surgisse à propos de leur prise en charge. Mettre les choses sur le papier au préalable permet généralement de les clarifier.

5. Etablir des factures précises

Plus une facture est transparente, moins elle laissera d’espace au client pour la laisser traîner ou la contester. Il vaut donc la peine de mentionner:

  • Le détail des frais (heures de travail, matériel, déplacement, etc.);
  • Le délai de paiement et les éventuelles pénalités en cas de retard;
  • Les références bancaires avec l’IBAN;
  • Une personne de contact avec ses coordonnées.

On peut également annexer à chaque facture des conditions générales de vente pour prévenir d’éventuelles contestations à ce sujet. Elles peuvent prévoir des éléments tels que le délai de contestation, les modalités de livraison, les modalités de transfert de propriété - par exemple: elle n’est effective qu’une fois que le client s’est entièrement acquitté de son dû -, etc.

6. Prévoir des pénalités

On peut prévoir des intérêts moratoires dans le contrat et stipuler que les rappels feront l’objet de frais.

Une clause peut être libellée ainsi: «Nos factures sont payables à trente jours. Les retards de paiement feront l’objet d’un intérêt moratoire de X% et chaque rappel sera majoré d’une prime de dix francs.» On peut également prévoir un rabais pour les clients s’acquittant rapidement de leur dû.

7. Faire signer le débiteur

Si on doit en arriver à lancer des poursuites contre un débiteur, la procédure sera jugée uniquement sur la base des documents fournis. «Faites en sorte de disposer de pièces qui vous mettent dans la position la plus favorable pour prouver votre créance», conseille Christophe Pommaz.

Tout document indiquant une somme d’argent et un engagement du débiteur à la payer peut faire l’affaire. Ce peut être un bon de livraison signé, un bail à loyer, un abonnement de fitness, un jugement de tribunal, etc. Ce n’est en revanche pas le cas d’une facture, à moins qu’on la fasse signer par le client avec la mention: «Je reconnais devoir la somme de tant». Pour mettre toutes les chances de son côté, on peut indiquer au bas du document: «Le présent document vaut titre de mainlevée provisoire au sens de l’article 82 LP».

8. Facturez en plusieurs fois

Lorsqu’on vend des services dans la durée, il vaut la peine de facturer en plusieurs fois, au fur et à mesure de l’avancée du projet. «Il s’agit d’une pratique répandue notamment dans le bâtiment», relève Carmen de los Santos.

9. Suivre rigoureusement les factures ouvertes

Plus une facture traîne, plus son règlement risque d’être difficile. Il faut donc envoyer les factures le plus rapidement possible. «Beaucoup de PME le font deux fois par mois», remarque Carmen de los Santos. «Je préconise au contraire de le faire en continu, immédiatement, et d’automatiser les rappels.»

Un suivi rigoureux des factures donne une impression de professionnalisme. «En revanche, établir des factures à trente jours et n’envoyer le rappel qu’après quarante-cinq jours ne fait pas très sérieux», juge Carmen de los Santos. Au bout de deux rappels infructueux, on peut passer à la phase suivante.

10. Externaliser sa facturation?

Une entreprise peut céder ses factures à un prestataire, qui lui avance immédiatement une partie de leur montant. Cette prestation est notamment proposée par la Fondation d’aide aux entreprises, à Genève, et par des banques. Elle a cependant un coût. Il faut donc bien évaluer le pour et le contre. 


Lancer des poursuites en dernier recours

Une procédure de poursuites est souvent longue, fastidieuse et aboutit rarement à un résultat satisfaisant. Il ne faut donc s’y lancer qu’en dernier recours.

1. Assurez-vous de la solvabilité du débiteur Des poursuites contre un débiteur insolvable exposent à encourir des frais sans rien récupérer au terme de la procédure;

2. Vérifiez l’adresse et l’identité du débiteur «Une poursuite contre une société doit être lancée au domicile de la société s’il s’agit d’une SA ou une Sàrl, au domicile de l’entrepreneur s’il s’agit d’une société en nom propre», note Christophe Pommaz.

Si l’on se trompe d’adresse, les plus coopératifs le signaleront, d’autres se contenteront de rejeter la requête.

3. Attention aux intermédiaires Des sites internet commerciaux permettent de commander des extraits des poursuites. Ils se les procurent auprès des instances officielles en prélevant une marge au passage et en y ajoutant leur propre délai de traitement. Leur valeur ajoutée est donc discutable.

«Si vous effectuez une commande en ligne, assurez-vous que vous êtes bien sur le site de l’Office des poursuites», conseille Christophe Pommaz., «Il permet le téléchargement le plus rapide et au tarif minimum officiel.»


Gérer les mauvais payeurs

  • Dialoguer

Il arrive souvent qu’un débiteur soit de bonne foi, mais connaisse des difficultés pour régler une facture. Dans ce cas, la priorité devrait être le dialogue. Après avoir examiné la situation dans laquelle il se trouve, on peut rédiger une reconnaissance de dette et une convention de remboursement, avec échéancier de paiement sur deux, trois, quatre mois, voire plus. On peut prévoir un taux d’intérêt aux conditions du marché et définir le for juridique, au cas où l’on devait saisir la justice.

«Il faut éviter d’être agressif», note Carmen de los Santos. Un client que l’on a soutenu pendant une passe difficile s’en souviendra.

  • Relancer

Ne pas hésiter à relancer le débiteur, surtout si on le soupçonne d’être de mauvaise foi. Dans ce cas, il ne faut pas craindre d’être insistant. Les spécialistes recommandent de garder des traces écrites, par exemple en envoyant un courrier recommandé avec accusé de réception.

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