Le fret ferroviaire vit une transition délicate

Le manque de sillons disponibles handicape le développement du fret ferroviaire.
Le manque de sillons disponibles handicape le développement du fret ferroviaire. Photo Mateusz Feliksik/www.pexels.com
Pierre Cormon
Publié jeudi 05 juin 2025
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#Logistique La volonté politique de favoriser le transport de marchandises par le rail se heurte à des difficultés concrètes.

De grandes entreprises logistiques, plusieurs gares de marchandises, une grande gare de triage, trois ports fluviaux, un aéroport avec activités de fret: la région bâloise est la porte logistique de la Suisse. Le fret ferroviaire y joue un rôle central et les autorités de tous niveaux veulent le favoriser dans une optique de développement durable. Cette volonté se heurte cependant à des problèmes concrets, comme l’a montré le congrès Bahn25, qui s’est tenu le 16 mai à Bâle.

Saturation

«Le trafic de voyageurs et le fret ferroviaire utilisent les mêmes infrastructures», illustre Martin Dätwyler, directeur de la Chambre de commerce des deux Bâle. Les trains de passagers ont la priorité. Le fret ferroviaire est donc la première victime des goulets d’étranglement qui se sont créés dans la région bâloise, notamment en raison de l’augmentation du trafic ferroviaire régional. La même situation se retrouve à l’échelon du pays: le manque de sillons disponibles handicape le développement du fret ferroviaire, notamment sur l’axe est-ouest, et une partie du fret voyage à l’international, notamment vers les ports de la Mer du Nord. Des trains complets partent tous les jours dans cette direction des terminaux de La Praille et de Chavornay. Or, le réseau allemand connaît de nombreuses difficultés. «Nous arrivons à faire circuler les trains avec un bon niveau de ponctualité, mais dès que nous passons la frontière, cela ne fonctionne plus», regrette Sven Flore, CEO de CFF Cargo International SA.

Humilité

Les problèmes techniques et de management de la Deutsche Bahn reviennent constamment dans les exposés. Le représentant du Ministère allemand des transports ne cherche même pas à défendre son pays. «Quand je vois la ponctualité des trains suisses, je me sens très humble», admet-il.

Les difficultés du réseau allemand sont l’un des facteurs qui ont poussé l’exploitant RAlpin à abandonner le ferroutage dès la fin de l’année. Ce service consiste à charger des camions sur des trains entre l’Allemagne et l’Italie pour leur faire traverser la Suisse sans passer par la route. Au premier trimestre, 20% de ces trains ont dû être annulés à cause de difficultés techniques, essentiellement en Allemagne.

Fragmentation

Le rail européen est très fragmenté: le matériel, les conducteurs, les règles peuvent changer d’un pays à l’autre. «Harmoniser la signalisation peut durer des années, voire des décennies», regrette Christa Hostettler, directrice de l’Office fédéral des transports. «Il faut de la patience.»

Cette situation pèse sur le travail des opérateurs de fret ferroviaire et handicape la concurrence. Attaquer un nouveau marché suppose un gros effort d’adaptation. «Si le football se jouait avec des règles variables d’un endroit à l’autre, cela poserait des problèmes aux équipes», illustre Christa Hostettler.

Opérations manuelles

Les opérations de manutention prennent beaucoup de temps: l’attelage des wagons est encore effectué à la main. CFF Cargo est structurellement en déficit. Elle a augmenté ses prix en 2025 et réduira ses prestations dans le domaine du trafic combiné (lire ci-dessous).

Le secteur jouit de moins de soutiens politiques que le trafic de voyageurs. «Les marchandises ne votent pas», résume le conseiller d’Etat en charge du Département de la santé et des mobilités du canton de Genève.

Tous ces problèmes contribuent à expliquer que la part du ferroviaire stagne depuis plusieurs décennies, malgré sa bonne image environnementale. Plusieurs orateurs du congrès appellent à une refonte profonde du système et à une plus grande collaboration entre les acteurs.

Projets

Différents projets ont été lancés pour améliorer la situation. Ils ont en commun de coûter cher, dans une période où la Confédération veut réduire ses dépenses, et de prendre beaucoup de temps.

Un pôle logistique permettant d’effectuer des transbordements entre péniches, wagons et camions devait entrer en service dans le nord de Bâle-Ville en 2019 (Gateway Basel Nord). Il a été retardé en raison de son impact sur des zones naturelles sensibles. On parle maintenant d’une inauguration en 2029.

Evolution technologique

La Confédération va soutenir l’évolution technologique du secteur. Il s’agit notamment d’atteler les wagons de manière numérique et automatisée. Cela devrait sensiblement accélérer les opérations consistant à assembler et à défaire des trains composés de wagons venant de différentes entreprises. Les procédures et le renouvellement du matériel prennent cependant du temps: ce dernier devrait s’échelonner jusqu’en 2033.

A l’échelon européen, des efforts d’harmonisation ont été consentis, notamment avec la mise en service d’un système européen de contrôle de la marche des trains. La Suisse y a participé. «Cette normalisation a été manquée», regrette cependant Ulla Kempf, experte ferroviaire. «Chaque pays a voulu conserver ses spécificités. La gabegie continue.»

Investissements allemands

Des signaux positifs viennent du nord. «Des investissements sont prévus en Allemagne, après des décennies de sous-investissements, mais nous vivrons encore cinq à dix ans de traversée du désert», prédit Dirk Stahl, CEO de BLS Cargo SA, une entreprise de fret ferroviaire.


CFF Cargo se retire du trafic combiné est-ouest

Quatre jours après que les problèmes du fret ferroviaire ont été évoqués lors du congrès Bahn25, CFF Cargo a annoncé la suppression d’une partie de ses prestations de trafic combiné dès 2026. Cette activité consiste à acheminer des conteneurs par camion jusqu’à un terminal pour les mettre sur un train, qui les transporte jusqu’au terminal le plus proche du destinataire. Le conteneur est ensuite placé sur un autre camion, qui se charge du tronçon final. Si plusieurs opérateurs proposent du trafic combiné à l’international, CFF Cargo est le seul à le faire entre deux points du pays.
«Le trafic combiné concerne 6% du fret transporté par CFF Cargo», précise Frédéric Revaz, porte-parole des CFF. «Les liaisons supprimées représentent deux mille tonnes sur les cent quatre-vingt mille transportées chaque jour par CFF Cargo.» Le reste est transporté par wagons isolés (chargés chez un client puis incorporés dans un train) ou par trains complets.
L’entreprise a perdu l’an dernier douze millions de francs dans le trafic combiné, qui génère un chiffre d’affaires de dix-huit millions de francs. Elle va donc supprimer huit des dix terminaux, dont les deux seuls de Suisse romande (Renens et 
St-Triphon). Ses prestations se limiteront désormais à deux trains quotidiens dans chaque direction sur l’axe nord-sud, entre Cadenazzo (Tessin) et Dietikon (Zurich).
Les clients de l’axe est-ouest devront se rabattre sur la route. Les clients suisses romands chargeant des wagons isolés avec CFF Cargo pourront continuer à le faire, la restructuration ne touchant pas cette activité.


Probleme? Jawohl!

Voyager de la gare Badischer Bahnhof de Bâle jusqu’à la gare de Weil am Rhein, ville frontalière allemande, ne devrait pas poser de problème. Il ne s’agit que d’un trajet de quatre minutes.
En théorie du moins, a constaté votre envoyé spécial. Un retard de vingt minutes est annoncé en gare de Bâle. Il en dure cinquante.
A Weil am Rein, la locomotive s’arrête avant la fin du quai. Le train le dépasse vers l’arrière. Les passagers doivent sauter sur le ballast, enjamber une barrière et marcher entre les voies pour monter sur le quai (environ un mètre de hauteur). Personnes âgées ou handicapées s’abstenir.
Le lendemain, le train de sept heures en sens inverse est annulé. «C’est toujours comme ça», s’écrie un passager. «Immer so, immer!» Tout le monde se dirige vers l’arrêt du tram qui, lui, a l’avantage d’être opéré pas les transports publics bâlois.
Des décennies de sous-investissements ont laissé le réseau ferroviaire allemand dans un état déplorable, regrettent les orateurs du congrès. On ne les accusera pas d’exagérer.

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