«Désolé, votre terrain va perdre 99% de sa valeur»
Pierre Cormon
Publié mercredi 17 juillet 2024
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#Zones à bâtir Plus de deux tiers des communes du canton de Vaud ont dû réduire leurs zones à bâtir. Les réactions des propriétaires peuvent être virulentes.
Bien des communes vaudoises ont vécu des assemblées électriques ces dernières années. Elles ont en effet dû réduire la taille de leurs zones à bâtir. Pour les propriétaires concernés, la mesure peut être douloureuse. Leurs terrains ne peuvent plus être construits et leur valeur peut diminuer d’un facteur cent. «Parfois, des projets de vie s’écroulent et une fortune a été investie pour les clopinettes que vaut un terrain agricole», résume le journaliste Vincent Maendly dans 24 Heures. A l’origine, une révision de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, acceptée en votation populaire en mars 2013. Elle visait notamment à réduire l’étalement, largement considéré comme un fléau. Les zones à bâtir doivent correspondre aux besoins prévisibles des quinze années suivantes, stipule la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, entrée en vigueur en 1980. De nombreuses communes ont délimité les leurs sans avoir ce critère en tête, souvent même avant qu’il ne soit introduit dans la législation. Elles se sont donc retrouvées en situation de non-conformité.
Forcées à agir
Pendant longtemps, les cantons n’ont pas fait grand-chose pour y remédier. La révision de la loi en 2013 les a obligés à agir. Le processus a mis plusieurs années à devenir concret, les cantons devant d’abord définir leur approche. Celle-ci varie d’un cas à l’autre. «Vaud a opté pour une méthode quantitative», remarque Alain Brique, urbaniste ayant aidé une demi-douzaine de communes à réviser leur plan d’affectation. Le nombre maximum d’habitants que chaque commune aurait le droit d’accueillir dans un horizon de quinze ans a été déterminé dans le plan directeur cantonal, en fonction de ses caractéristiques. Les communes étant considérées comme disposant de zones à bâtir surdimensionnées étaient tenues de réviser leurs plans d’affectation communaux.
C’est le cas de plus de deux tiers d’entre elles. Parmi elles, Jorat-Menthue, une commune de mille six cents habitants dans le Gros-de-Vaud. Sur le plan technique, le processus ne pose pas de difficultés insurmontables. Le canton a publié une marche à suivre. «Elle ne nous laissait pas beaucoup de marge de manœuvre», estime René Pernet, syndic de la commune. Jorat-Menthue Jorat-Menthue avait droit à des réserves de zones à bâtir pour accueillir deux cent quarante habitants supplémentaires, a déterminé le canton. Les siennes étaient dimensionnées pour six cent septante-et-un. Il a donc fallu les réduire. Or, le terrain à bâtir coûte environ quatre cents francs le mètre carré dans la commune, le terrain agricole cinq francs. «Dans un tel contexte, on ne peut pas faire d’erreur», juge René Pernet.
«Nous avons commencé par délimiter le territoire urbanisé à partir de photos aériennes et de l’observation du foncier, sans tenir compte de l’affectation du sol à ce stade», raconte Alain Brique. «Tous les terrains à bâtir non construits et non aménagés se trouvant en frange de l’urbanisation doivent être questionnés et, en principe, déclassés en priorité.» La démarche a été émaillée de nombreuses consultations, tant du canton que des habitants. Car si dans la plupart des cas les choses sont relativement claires, il existe des situations particulières. «Une parcelle comportant des arbres fruitiers avait été considérée comme un verger, mais le propriétaire a pu montrer qu’il y avait lancé un projet qui avait fait l’objet d’une enquête publique», illustre René Pernet.
Facteur humain
Sur le plan humain, le processus est plus complexe. «Une grande partie de ces zones à bâtir a été délimitée il y a une cinquantaine d’années», remarque Joëlle Braillard, greffe municipale. «Leurs propriétaires n’étaient pas conscients qu’une affectation n’est pas permanente.» Pour les uns, un terrain à bâtir vierge constituait une forme d’épargne. Pour les autres, une promesse. «Ils ont acquis un terrain sans avoir les moyens d’y construire tout de suite et se sont dit qu’ils le feraient dans un second temps», note René Pernet. Des propriétaires achetaient des terrains pour que leurs enfants ou petits-enfants puissent y bâtir, sans imaginer que les règles pourraient changer. Les projets sont parfois vagues, ce qui n’empêche pas les propriétaires d’y tenir. Le processus a donc été très mal vécu par certains d’entre eux. La municipalité a organisé des séances, d’abord pour présenter les règles du jeu, puis le projet qui allait être soumis au canton.
Carapace
«Chaque propriétaire défend son bien, c’est compréhensible», raconte René Pernet. «Certains étaient très virulents, nous ont traités d’incompétents, de voleurs. Je leur ai expliqué ce que nous avons fait, quelle était notre marge de manœuvre. C’était dur, mais je m’étais mis une carapace, je me disais que leur colère ne me visait pas personnellement.»
Il a également fallu passer les cas spéciaux en revue un par un avec le canton, au cours d’une longue séance. Le plan a été mis à l’enquête publique. La centaine de déclassements a donné lieu à trente-trois oppositions. L’auteur de chacune a été reçu en conciliation, dans un marathon de séances qui a duré un mois. «C’est un domaine très émotionnel», estime Alain Brique. «Les arguments juridiques et techniques ne suffisent généralement pas à convaincre les gens du bien-fondé du projet.»
Le plan d’affectation, adoubé par le Conseil communal (délibératif), a été envoyé au canton. C’est lui qui notifiera ses décisions aux personnes ayant maintenu leurs oppositions. Elles pourront le cas échéant recourir en justice.
Parmi les grands perdants figurent des personnes ayant acquis des terrains à bâtir vers 2017 – 2018, sans avoir eu vent du processus en cours et qui ont vu leur valeur s’effondrer. La commune est également touchée. Elle est propriétaire d’une quarantaine d’hectares déclassés, comme les terrains entourant l’ancien émetteur national de Sottens, dont le bâtiment accueille maintenant l’administration de Jorat-Menthue. Ce changement n’aura pas de conséquences financières directes. «Ils n’étaient pas valorisés au bilan», explique René Pernet.
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