La Suisse a besoin de lignes claires dans ses relations avec l'UE

«Le secteur de la recherche, notamment, est pénalisé par la non-signature de l’accord-cadre avec l’UE.»
«Le secteur de la recherche, notamment, est pénalisé par la non-signature de l’accord-cadre avec l’UE.»
Gregory Tesnier
Publié vendredi 21 janvier 2022
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#Suisse-UE Les relations avec l'UE sont cruciales pour la Suisse, tant au niveau économique qu'en termes de formation et de recherche et développement.

Astrid Epiney, professeure en droit international, en droit européen et en droit public suisse est la rectrice de l’Université de Fribourg. Elle a rédigé l’avis de droit concernant les implications de l’échec des négociations d’un accord cadre entre la Suisse et l’Union européenne (UE) sur mandat du Groupement des entreprises multinationales (GEM) et de la Fédération des entreprises romandes Genève (FER Genève).

Interview.

Quelles sont, pour vous et en prenant essentiellement en compte l’avenir des relations politiques et économiques entre la Suisse et l’UE, les conclusions les plus importantes de votre avis de droit?

Différents aspects ressortent plus particulièrement de l’analyse. En premier lieu, le statu quo n’est pas une option. Une politique qui viserait la continuation des relations Suisse-UE telles qu’elles se sont développées sur la base des accords bilatéraux signés à la fin des années 1990 et au début des années 2000 n’est pas envisageable. En effet, l’UE ne souhaite plus continuer l’adaptation des accords existants sur cette base et n’entre pas en matière sur des négociations en vue de la conclusion d’autres accords d’accès au marché. Ce refus tient au fait que l’UE insiste depuis 2008 pour que les questions institutionnelles soient réglées; elles vont rester au cœur des débats. Du point de vue de l’UE, le système actuel des accords bilatéraux serait en effet trop complexe, voire difficilement maniable, et le cadre institutionnel ne tiendrait pas compte du fait que plusieurs accords assurent une participation de la Suisse à certaines parties du marché intérieur. De son côté, la Suisse doit trouver, d’une façon ou d’une autre, une manière de stabiliser ses relations avec l’UE. Cela est d’ailleurs dans l’intérêt des deux partenaires.

L’analyse que vous avez faite de la situation juridique actuelle entre la Suisse et l’UE invite-t-elle forcément au pessimisme pour le monde économique suisse dans les années à venir?

Non, la situation actuelle ne doit pas porter au pessimisme. L’expérience a montré qu’après un échec lié à la mise en place d’un accord international, par exemple celui concernant l’Espace économique européen (EEE) en 1992, la Suisse a toujours trouvé – d’entente avec l’UE – des solutions capables d’assurer une nouvelle stabilité juridique. En revanche, la situation aujourd’hui est complexe, et on ne sait pas combien de temps prendra la recherche de cette solution. Dans l’intervalle de temps qui nous sépare de ce dénouement, de nombreux effets négatifs se font et se feront sentir pour la Suisse, notamment en ce qui touche l’économie. Il existe en outre un autre risque: celui que les négociations aboutissent finalement à une solution moins favorable que l’accord cadre prévu initialement entre la Suisse et l’Union européenne.

Outre le monde économique, d’autres secteurs sont-ils touchés par l’échec des négociations d’un accord cadre entre la Suisse et l’Union européenne?

Les hautes écoles et le secteur de la recherche sont également très touchés par les conséquences de cet échec. La participation aux programmes européens de recherche et d’innovation revêt par exemple une importance particulière pour les hautes écoles. Dans ce contexte, le programme cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation Horizon Europe 2021-2027 (le plus grand programme de ce type au monde, avec un budget de 95,5 milliards d’euros - ndlr) vient de commencer et la Suisse n’y est pas associée. De facto, elle manque un grand nombre de collaborations possibles avec des institutions et des équipes de chercheurs de tous les pays voisins, dans un monde académique où pourtant ces coopérations internationales – européennes surtout – sont indispensables. Il y a clairement un grand risque de perte d’attractivité pour les hautes écoles suisses. La Suisse ne fait plus partie non plus du programme Erasmus+, qui facilite les séjours des étudiants et des étudiantes dans les universités européennes. Le Conseil fédéral a adopté une solution financée par des fonds suisses pour remédier à cette exclusion du programme, mais, à l’avenir, les risques que les hautes écoles perdent certains partenaires académiques demeurent.

Un chemin juridique privilégié semble-t-il se dégager pour sortir de l’ornière dans les années à venir et rétablir des relations constructives, en particulier dans le domaine économique, entre la Suisse et l’UE?

En Suisse, il demeurera difficile de faire avancer les choses si une votation à propos des futures relations avec l’UE ne concerne que les aspects institutionnels. Dans cette perspective, il apparaît intéressant de privilégier la combinaison de la négociation d’un accord cadre avec un ou plusieurs nouveaux accords sectoriels – des «Bilatérales III». Cette solution semble dans l’intérêt de la Suisse, mais aussi, le cas échéant, de l’UE. Aujourd’hui, il est cependant difficile, voire impossible de prévoir tout d’abord si l’UE entre en matière sur une telle démarche et ensuite dans quelle mesure l’UE et la Suisse pourraient se mettre d’accord tant sur le champ d’application des règles concernant les questions institutionnelles que sur leur contenu. Le choix des domaines de négociations pour les nouveaux accords sectoriels reste aussi une inconnue et un possible motif de désaccord. Quoi qu’il en soit, il serait souhaitable que le Conseil fédéral se décide à avoir une ligne de conduite précise pour guider ses futures relations avec l’UE. Le flou actuel n’est pas dans l’intérêt de la Suisse.

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