Le secteur du chocolat suisse dispose d’une belle réputation
Véronique Kämpfen
Publié samedi 16 décembre 2023
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#Chocosuisse Interview. Urs Furrer, directeur de Chocosuisse.
Qui est Chocosuisse?
C’est la faîtière des fabricants de chocolat. Nous représentons les sites de production de chocolat en Suisse. La majorité de nos membres sont des PME, comme Camille Bloch, Stella ou Bernrain. Ces entités sont des entreprises familiales, la dernière est spécialisée dans le B2B et est dirigée par Monika Müller. Je peux aussi citer Maestrani, en Suisse orientale, Delica, anciennement Frey, le chocolat de la Migros, ou Halba, le chocolat de Coop. Nous avons aussi des membres avec une taille d’entreprise plus substantielle comme Lindt & Sprüngli ou Barry Callebaut, le plus grand producteur de chocolat au monde, dont le siège est à Zurich. En tout, nous avons seize entreprises membres. Ces dernières années, nous avons noté un processus de concentration de la production à l’étranger. L’un de nos anciens membres a décidé de quitter la Suisse pour produire ailleurs à moindres coûts et un autre a mis la clé sous le paillasson.
Le secteur du chocolat suisse a-t-il encore de beaux jours devant lui?
Oui. Il dispose d’une forte attractivité émotionnelle et d’une belle réputation. La marque Suisse est déposée par Chocosuisse pour le chocolat dans toute l’Union européenne, au Canada et aux Etats-Unis, où d’autres système de protection de la marque sont mis en place, notamment le droit de la concurrence. La juriste de Chocosuisse traite une centaine de cas d’utilisation frauduleuse de la marque chocolat suisse dans le monde. Nous sommes très attentifs à sa protection et agissons en conséquence. La Suisse dispose d’une sorte de bonus de chocolat, qui rejaillit positivement sur sa réputation à l’étranger. Nos actions servent au maintien de cette image d’excellence, ce qui est positif pour la réputation de la Suisse dans son ensemble.
Le secteur est-il encore financièrement porteur?
C’est de plus en plus difficile. Certaines matières premières sont protégées, comme par exemple le lait. Nous le payons deux à trois fois plus cher qu’en Allemagne. A cela s’ajoute l’abandon de la loi chocolatière, qui avait compensé ce handicap. Depuis 2019, des mécanismes de substitution ont été mis en place, mais ils ne sont que partiellement efficaces. Nous sommes largement tributaires du goodwill des fournisseurs de matières premières. La protection du marché du sucre nous désavantage également. L’augmentation de la charge administrative pèse sur la marche des affaires. Nos entreprises doivent, comme dans toute l’industrie alimentaire, déclarer en détail la provenance des ingrédients. La réglementation de l’Union européenne est particulièrement tatillonne à l’égard du café et du cacao. Pour y exporter, un fabriquant de chocolat devra pouvoir indiquer à partir de 2025 d’où vient la fève. Cette annonce doit se faire au moyen de données GPS attestant de la provenance exacte. Cette précision va jusqu’au lopin de terre d’un petit fermier. Le but de l’opération est de s’assurer que les fèves ne proviennent pas de régions subissant la déforestation. Cela représente malheureusement une charge excessivement lourde. Les sacs de fèves proviennent parfois de toutes petites exploitations. Ils sont mélangés dans les containers de transport avec toutes les autres fèves de toutes les autres petites ou grandes exploitations. Une fois arrivés à bon port, il s’agit d’entrer les données dans un logiciel spécifique à l’Union européenne. C’est un cauchemar logistique. Ce règlement est kafkaïen, surtout pour les PME qui ne peuvent pas toujours engager des spécialistes dédiés au traitement de ces données.
Les producteurs suisses de chocolat sont-ils surtout actifs à l’export?
Oui, plus de 70% de la production est exportée, surtout dans l’UE, qui est notre premier marché d’exportation. Les relations entre la Suisse et l’UE sont clés pour l’industrie du chocolat. Nous exportons aussi dans des Etats tiers. C’est pourquoi les accords de libre-échange sont cruciaux. Le Brésil, par exemple, connaît une taxe de 20% à l’importation. Le premier pays du continent européen qui aura un accord avec le Brésil sera le grand gagnant. Imaginons que ce soit l’UE et la Belgique, dont les chocolats sont aussi très réputés: la Suisse sera clairement défavorisée. A cela s’ajoute l’érosion ou l’obsolescence d’accords existants, comme ceux que la Suisse a conclu avec le Japon ou l’Afrique du Sud. Ces accords sont peu à peu dépassés par de plus récents que ces pays concluent avec d’autres partenaires. Il devient impératif d’actualiser les accords que nous avons avec ces pays tiers.
Vous évoquez la Belgique. Les chocolats belges sont-ils vraiment une concurrence pour les chocolats suisses?
Il est piquant de constater que le grand producteur de chocolats belges, Neuhaus, est d’origine suisse. C’était un pharmacien, qui utilisait à l’époque le chocolat pour ses vertus médicinales et qui a essayé d’améliorer ses potions pour en ôter l’amertume. Anecdote mise à part, il faut admettre que les chocolats belges sont une vraie concurrence. Ils sont réputés pour leurs pralines et leur chocolat noir, alors que les suisses sont davantage connus pour leur chocolat au lait et en plaques. En termes de production, la Suisse est loin derrière la Belgique, qui a massivement augmenté ses exportations. Une seule de leurs marques produit trois cent mille tonnes de chocolat par an; les seize producteurs suisses réunis en produisent deux cent mille tonnes. La Belgique peut avoir recours à des matières premières moins chères et la qualité de ses produits est globalement satisfaisante.
Quelles sont les tendances en matière de chocolat?
Les goûts évoluent sans cesse et les producteurs de chocolat s’adaptent en conséquence. J’ai eu l’occasion de goûter un chocolat selon une recette des années 1950 et je l’ai jugé beaucoup trop sucré! Récemment, on a vu l’émergence du chocolat végane - un effet publicitaire, le chocolat noir étant par nature produit sans composants animaliers. Pendant la pandémie, il y a eu un boom du chocolat bio. Il s’est résorbé depuis, les consommateurs étant actuellement très attentifs aux prix. De ce fait, les chocolats en provenance de l’étranger ont le vent en poupe. Presque un chocolat sur deux vendu en Suisse est un produit d’importation. Enfin, les PME se spécialisent souvent dans le haut de gamme, avec des créations personnalisées, des événements sur mesure sur leurs sites, etc. Elles sont très à l’écoute des désirs de leurs clients.
On entend souvent parler de chocolat fin. De quoi s’agit-il?
Il n’y a pas de définition officielle. Le chocolat suisse est réputé comme fin parce qu’il est longuement raffiné ou conché, ce qui renchérit son prix. Les entreprises investissent dans des machines industrielles spécifiques pour arriver au résultat souhaité. A contrario, lorsqu’on goûte par exemple du chocolat américain, on sent souvent comme des petits grains sur la langue. C’est typique d’un chocolat peu raffiné.
Le secteur chocolatier est régulièrement sous le feu des critiques pour des questions de durabilité sociale ou environnementale. Qu’en est-il?
En tant que faîtière des producteurs de chocolat, nous avons édicté des règles pour nos membres, qui doivent par exemple respecter la convention de l’Organisation internationale du travail sur le travail des enfants. C’est le cas depuis 2010. Nous sommes également partie prenante de la plateforme suisse du chocolat durable. Elle est née de la volonté d’en finir avec la recherche de boucs émissaires, s’agissant des aspects de durabilité liés au cacao. Dès 2014, des discussions ont été menées avec le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) et l’association Public Eye pour agir contre le travail des enfants et adresser les questions de durabilité. En 2017, à Zurich, une déclaration d’intention a été signée pour donner corps à ce projet. Une année plus tard, la plateforme a été créée, malheureusement sans Public Eye, qui s’en est retirée, donnant le sentiment que la résolution de problèmes de manière constructive n’est pas au cœur de leur façon de fonctionner. Quatre-vingts membres sont parties prenantes de cette plateforme, dont les fournisseurs de matières premières, des organisations non gouvernementales comme Helvetas, le SECO, les producteurs de chocolat, le commerce de détail, l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ou la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires à Berne. J’ai participé dès le début à la création de cette plateforme et je suis membre de son comité, où je représente les producteurs de chocolat. Enfin, nous avons édicté une feuille de route à l’horizon 2030, qui contient notamment des objectifs de diminution des émissions de CO2. Mesurer ces émissions est déjà un défi en soi, et nous nous y attelons. Nos membres font également des efforts conséquents à leur échelle.
C’est-à-dire?
Ils sont aux premières loges pour constater où se trouvent les points d’amélioration. Felchlin, par exemple, offre une assurance maladie à ses producteurs de cacao. A une plus grande échelle, Nestlé a un projet pour combattre le travail des enfants et a mis en place un monitoring pour suivre les avancées en la matière. Les PME ont des contacts personnels avec les fermiers sur place pour constater elles-mêmes la situation dans les pays producteurs. En quelques années, les actions entreprises en faveur de la durabilité ont beaucoup évolué. C’est une excellente chose, car les défis sont de taille. Au Ghana, par exemple, la perte de biodiversité oblige certains fermiers à procéder eux-mêmes, à la main, à la pollinisation des plants de cacao. En cause, la diminution des populations de moustiques, qui le font naturellement. Des projets sont menés pour rétablir la situation.
Comment expliquez-vous cette perte de biodiversité?
Les facteurs sont multiples. Il y a d’une part la concurrence entre le secteur minier, notamment l’or ghanéen, et l’agriculture. D’autre part, les droits de la propriété ne sont pas toujours clairs. Les arbres en sont un exemple frappant. Ils sont, dans certains pays, propriété de l’Etat. Il peut arriver qu’un ordre soit donné d’abattre les arbres dans certains endroits, ce qui prive les fermiers de l’ombre indispensable pour leurs cultures et entraîne d’autres difficultés, comme l’érosion des sols. En Amérique latine, les paysans sont propriétaires de leurs terres: le sens de l’entrepreneuriat y est poussé, contrairement à certaines régions d’Afrique, où l’Etat est souvent davantage présent. Il prescrit et distribue les pesticides qui peuvent être utilisés, les prix, les intermédiaires, etc. Il faut noter que la Suisse entretient des relations de très longue date avec les pays producteurs. Pour revenir au Ghana, où la qualité du cacao est contrôlée et bonne, il semblerait que ce soient des missionnaires bâlois qui ont introduit la fève de cacao, comme le montrent les travaux de l’historienne économique Andrea Franc.
Chocosuisse est-elle active dans la formation professionnelle?
Nous avons une commission pour les questions de formation avec Biscosuisse, la faîtière des producteurs de biscuits, biscottes, bonbons, etc. Nos branches proposent deux formations duales: technologue en denrées alimentaires et praticien en denrées alimentaires. En Suisse romande, l’école professionnelle se trouve à Grangeneuve. Nous n’avons pas de peine à recruter des jeunes pour ces formations initiales, mais il n’est pas simple de les conserver dans le secteur. Les conditions de salaire sont attractives, mais les horaires en continu peuvent représenter un frein. Travailler le chocolat reste cependant un métier passion et nos entreprises membres témoignent de collaboratrices et collaborateurs qui restent longtemps fidèles à leur employeur.
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