Opinions

2023: la récession qui n’eut pas lieu. Et 2024?

Thierry Malleret Publié le jeudi 15 février 2024

Lien copié

En 2023, la plupart des décideurs et experts prévoyaient une récession mondiale qui n’est jamais arrivée. Cela signifie-t-il que le risque est passé et que la bourrasque n’aura pas lieu? Malgré les prévisions relativement optimistes pour 2024, la prudence est de mise. La raison de l’échec des prévisionnistes en 2023 tient en un mot: Etats-Unis. Personne ne croyait à l’hypothèse d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine et pourtant ce scénario improbable de baisse de l’inflation sans ralentissement de l’activité économique ni d’accroissement du chômage est celui qui est en train de se produire. Comment? Les hausses répétées des taux d’intérêts n’ont pas ralenti l’économie, car l’épargne accumulée durant la pandémie a continué de nourrir l’insatiable appétit du consommateur américain (aux Etats-Unis, la consommation représente 68% du produit national brut - PNB). Cela, conjugué à la politique de dépenses publiques très généreuse de l’administration Biden, explique la remarquable surperformance de l’économie américaine, qui a permis à l’économie globale d’éviter une récession.

Cela va-t-il durer? Les marchés financiers ont-ils raison d’anticiper l’année 2024 avec autant de sérénité? Le cœur de leur argument est le suivant: les multiples baisses de taux attendues cette année nourriront la résilience insoupçonnée de l’économie mondiale et alimenteront l’activité économique. Mais les taux d’intérêt diminueront-ils aussi précipitamment que beaucoup l’escomptent? Ce n’est pas sûr. Les banques centrales et beaucoup d’économistes indépendants ne cessent de nous rappeler que les progrès dans la lutte contre l’inflation sont remarquables, mais que des sources de pressions inflationnistes existent et qu’elles pourraient nous réserver de mauvaises surprises. Il existe trois grandes sources de pressions inflationnistes.

1. Le surendettement. L’an dernier, la dette globale totale équivalait à un peu plus de 330% du PNB mondial, comparé à environ 250% à la fin de 2021. Ces niveaux d’endettement (qui revêt, selon les pays, des formes très différentes, selon que la dette est publique ou privée, détenue par les ménages ou les entreprises, etc.) n’est pas soutenable. Aux Etats-Unis, notamment, des personnalités comme Robert Rubin (l’ancien secrétaire au Trésor) ont mis en garde contre l’ampleur du déficit fédéral, accusant les marchés d’être «en déni de réalité» et les prévenant d’une possible «correction brutale» qui entraînerait une remontée immédiate et violente des taux d’intérêt. Comme le rappellent plusieurs économistes de renom, la dette n’est pas gratuite!

2. La géoéconomie et la fragmentation du monde. Un monde dans lequel les décisions économiques sont subordonnées à des considérations de sécurité (de défense, énergétique, alimentaire, de souveraineté, et ainsi de suite) est un monde destiné à subir des pressions et des poussées inflationnistes. L’implantation des chaînes de production dans les pays amis et le raccourcissement des chaînes de valeur entraînent nécessairement une augmentation des coûts. L’ère d’hyperglobalisation que nous avons connue depuis quelques décennies tire à sa fin, dans un contexte où les risques géopolitiques se multiplient. La guerre en Ukraine, l’escalade possible au Moyen-Orient, la guerre technologique que se livrent la Chine et les Etats-Unis: tous ces conflits ont eu ou pourraient avoir des conséquences directes sur l’inflation des matières premières (alimentaire ou énergétique) ou de produits intermédiaires et composants sans lesquels l’économie mondiale ne tourne pas (comme les microprocesseurs).

3. Trump et les populismes.

L’explosion des populismes qui embrase la scène internationale depuis quelques années crée un faisceau de tensions inflationnistes au travers de politiques qui préconisent de manière générale un repli domestique, plus de barrières douanières, des politiques budgétaires souvent très expansives, et une perte d’indépendance des banques centrales. L’une des figures emblématiques du populisme – Donald Trump – l’illustre à merveille. Pour les marchés financiers, les élections sont encore loin (novembre 2024), mais l’impact d’une réélection de Donald Trump sur les politiques fiscales et monétaires des Etats-Unis et du reste du monde serait considérable. Au cours de sa campagne, Trump a martelé à plusieurs reprises qu’il négocierait «en moins de 24 heures» avec Poutine la fin de la guerre en Ukraine, qu’il se ferait rembourser par l’Europe les munitions américaines utilisées contre la Russie, qu’il se retirerait des accords de Paris sur le climat, qu’il imposerait une barrière tarifaire de 10% sur toutes les importations américaines, qu’il ne renommerait pas Jay Powell à la Réserve fédérale des Etats-Unis, et bien d’autres choses encore. Comment imaginer que tout cela n’aurait pas des conséquences terriblement néfastes sur l’inflation et par conséquent sur les taux d’intérêt?

L’année 2024 ne sera sans doute pas un long fleuve tranquille. Ce n’est pas encore le moment de dormir sur nos deux oreilles.