À quoi ressemblera Genève en 2030?

Verticaliser pour densifier, verdir, privilégier la mobilité douce.
Verticaliser pour densifier, verdir, privilégier la mobilité douce. Photo Entreprise romande, réalisée par IA
Julien Crevoisier
Publié lundi 08 juillet 2024
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#Aménagement Genève Les travaux d’aménagement du territoire, dont certains arriveront à terme d’ici à 2030, sont en cours. Au programme: la construction de cinquante mille logements, la renaturation de l’espace urbain et la valorisation des mobilités douces.

En 2030, le canton de Genève comptera près de cinq cent cinquante mille habitants, soit presque cent mille de plus qu’en 2011, année où le plan directeur cantonal a été élaboré. Son objectif: «Accueillir plus d’habitants tout en garantissant la préservation des espaces naturels, la diminution des nuisances et l’amélioration de la qualité de vie», résume Prisca Faure, urbaniste responsable du Plan directeur 2030 au sein du canton. Pour accueillir les nouveaux arrivants, de grands chantiers sont en cours, avec près de cinquante mille logements à la clé. Praille-Acacias-Vernets, Bernex-Nord, Cherpines, Grands Esserts, les «grands projets» redessineront les contours de l’agglomération, en plus de nombreux autres travaux de réaménagements urbains plus localisés.

Orchestrer le développement urbain dans une ville qui est déjà la plus densément peuplée et embouteillée de Suisse n’est pas une mince affaire. «La question est tellement délicate que tout projet de construction ou de renouvellement suscite d’emblée une levée de bouclier», souligne Eric Maria, président de la Fédération des associations d’ingénieurs et d’architectes de Genève (FAI). «Pour la gare de Champel, par exemple, plus de mille huit cents oppositions de riverains ont été déposées contre l’autorisation de construire.» La marge de manœuvre des autorités reste en outre limitée. Pour lutter contre le mitage du territoire – à savoir l’étalement urbain et la construction incontrôlée et diffuse des infrastructures et des logements –, la priorité est donnée à la densification des zones déjà bâties.

Limiter l’empiètement sur les zones agricoles

Le plan directeur cantonal a dû être partiellement révisé à la suite de l’adoption par le peuple en 2013 de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT). «À Genève, nous sommes contraints de garder au moins huit mille quatre cents hectares de surface d’assolement, à savoir des terres arables de très bonne qualité», indique Prisca Faure.

Certains projets de densification qui s’étendent sur les zones rurales ont donc dû être réduits. «C’est notamment le cas du grand projet de Bernex-Nord», poursuit Prisca Faure. Dans cette localité légèrement en marge de la couronne urbaine, le quartier de Saint-Mathieu accueille déjà environ trois cent trente logements, alors que celui de Vailly-Sud devrait en offrir quelque six cents de plus d’ici à 2030. Un peu plus au nord, la zone industrielle des Rouettes accueillera prochainement le nouveau siège de Caran d’Ache.

Desservi depuis fin 2023 par le prolongement du tram 15, le nouveau quartier du Roillet, sur la commune de Plan-les-Ouates, a aussi été construit sur une zone agricole. Il accueillera dès 2026 près de mille nouveaux logements, une école primaire, une école de culture générale et une zone sportive. Même dans le cadre de la densification, la réglementation se révèle dense et complexe. «Les normes de construction sont devenues très strictes», relève Vincent Bujard, vice-président de la FAI. «Or, une architecture plus à même de répondre aux nouveaux défis environnementaux et à ceux d’une société en constante évolution appelle à une approche plus pragmatique. Les normes actuelles mènent à une certaine uniformisation du bâti et à une surconsommation de matériaux alourdissant parfois son bilan carbone», constate-t-il.

Densifier et verticaliser

Pour parvenir aux objectifs posés par le plan directeur cantonal, des quartiers entiers seront transformés dans le cadre des plans de renouvellement urbain. Cette approche est même la pierre angulaire de Praille- Acacias-Vernets (PAV).

Cette surface de cinquante-cinq hectares a déjà entamé sa grande mue au nord de la route des Acacias et autour du carrefour de l’Étoile. Le premier site, installé sur le quai des Vernets, accueillera dès 2026 mille trois cent cinquante logements sur le site de l’ancienne caserne et le long de l’Arve. Les installations abriteront aussi une école primaire destinée aux nouveaux habitants du quartier. L’université s’est également vu attribuer de futurs locaux qui seront construits en face du siège de Rolex. De plus, les immeubles locatifs comprendront des logements étudiants.

Le périmètre PAV se distingue par une urbanisation en hauteur, avec plusieurs tours prévues le long de la route des Jeunes et de la route des Acacias. Deux d’entre elles devraient déjà être édifiées en 2030 ou l’année suivante. Elles mesureront nonante mètres de hauteur. Une évolution logique, selon Eric Maria: «Lorsque les espaces constructibles arrivent à saturation, il devient nécessaire d’imaginer la verticalité. Cette pratique, déjà utilisée à Bâle et à Zurich, devrait se généraliser à plus long terme». Le quartier accueillera alors les plus hauts édifices de la ville, dépassant de loin la tour RTS ou celle du Lignon. «Plusieurs tours supplémentaires devraient être construites le long de la route des Jeunes, dont deux qui devraient atteindre cent septante mètres de hauteur, soit presque autant que la Roche Tower 1 à Bâle» explique Vinh Dao, directeur général de la Fondation PAV.

Renaturer les sols

La pierre et le béton ne sont pas les seuls bénéficiaires du plan directeur 2030. Le parking de la patinoire des Vernets sera réaménagé en esplanade publique densément arborisée et ornée de bassins alimentés par les eaux de la Drize. Actuellement enfoui, cet affluent de l’Arve sera remis à ciel ouvert depuis la route de Saint-Julien jusqu’à son embouchure. À l’échelle du canton, des dizaines de projets de renaturation sont censés rendre les zones urbaines plus vertes et ses sols plus perméables: des changements nécessaires en vue d’anticiper et d’atténuer les effets du changement climatique. Par exemple, aux Grands Esserts, à Veyrier, qui accueilleront près de mille six cents habitants à l’horizon 2030, la construction du nouveau quartier a été menée avec le soin de préserver la nature environnante. La parcelle accueillera ainsi près de deux cent cinquante nouveaux arbres. En outre, le Nant des Cirses, qui traverse le quartier, refera lui aussi surface dans le cadre d’interactions repensées entre la nature et le bâti. «Une fois remis à ciel ouvert, les cours d’eau forment des couloirs végétalisés au cœur des espaces urbains», souligne Prisca Faure. «La logique sous-jacente est de redonner libre cours au cycle naturel de l’eau: absorbée par les sols et les végétaux lors de fortes pluies, l’eau est ensuite restituée par temps chaud via l’évaporation, ce qui contribue à lutter contre les îlots de chaleur.»

Transports publics et mobilité douce à l’honneur

Redonner place à la nature en ville passe aussi par un moindre recours au bétonnage. Dans cette optique, les nouveaux quartiers privilégient les installations de mobilité douce, nécessitant moins de surfaces imperméabilisées. Le réseau de transports publics urbains évoluera également, notamment avec les extensions de la ligne 15 du tram.

Genève détient le record de la ville la plus embouteillée de Suisse, selon le classement 2023 effectué par le fabricant de systèmes de navigation TomTom. Bien qu’en augmentation, les déplacements à vélo y restent relativement marginaux (8% des déplacements en 2021, contre près de 20% à Bâle et à Berne). «Contrairement à Genève, les villes alémaniques n’ont pas dédié leurs rues exclusivement à la circulation automobile dans les années 1960 et 1970. Leurs fondements de la ville cyclable sont donc forcément plus solides», remarque Franco Tufo, fondateur de Citec, un bureau d’ingénieurs et d’experts en mobilités à Genève.

La question du report modal des transports individuels motorisés vers les transports publics et les mobilités douces, comme le vélo ou la trottinette, est désormais majeure. Au sein du PAV et sur le nouveau boulevard des Abarois, à Bernex, les voies de circulation seront partagées entre voitures, transports publics et vélos. «Ces mesures vont dans la bonne direction. Ces dernières décennies, Genève a déployé des efforts considérables pour développer son réseau de tram. En 2030, on peut s’attendre à ce que les prolongements de la ligne 15 vers Saint-Julien-en-Genevois au sud et vers le Grand-Saconnex au nord soient opérationnels», estime Franco Tufo. «Mais le report effectif de la voiture vers le vélo ou les transports publics ne peut s’effectuer à l’échelle du Grand Genève qu’à la condition d’améliorer encore sensiblement les infrastructures en dehors du centre et de la couronne urbaine.» A l’échelle du canton, les espaces consacrés à la mobilité évolueront peu ces prochaines années. Les grandes extensions du rail, comme les branches ferroviaires reliant Lancy-Pont-Rouge à Bernex ou Cornavin à l’aéroport via la place des Nations, ne sont prévues que pour «au-delà de 2035», selon le plan directeur. 

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