Allemagne: se positionner contre l’extrême-droite, oui, mais comment?
Allemagne: se positionner contre l’extrême-droite, oui, mais comment?
Thomas Schnee Publié lundi 06 mai 2024
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Grâce à la solidité du cadre démocratique fédéral et aux règles de la cogestion, les entreprises allemandes ont rarement éprouvé le besoin de prendre des positions politiques, en externe comme en interne.
Pourtant, la forte progression du parti d’extrême-droite AfD, qui propage une vision économique déconnectée des réalités, a changé la donne. «Nous dépendons impérativement de la coopération internationale, y compris de l'immigration ciblée, sur le plan économique» rappelait, fin janvier dernier, Ulrich Reuter, président de l'Association allemande des Caisses d'épargne (DSGV). «Les chercheurs de haut niveau, les ouvriers spécialisés ou le personnel soignant étrangers ne viennent pas en Allemagne s'ils doivent craindre à l'avenir d'y être rejetés, voire déportés», ajoutait-il.
En parlant de déportation, le banquier faisait référence à une réunion qui s’est tenue en 2023 et qui a indigné des millions d’Allemands. Ultraconservateurs et extrémistes de droite y étaient venus discuter d’un plan d’expulsion rapide d’au moins deux millions de personnes étrangères ou d'origine immigrée ayant le passeport allemand!
De telles nouvelles dépassent les frontières et sont aussi un parfait repoussoir pour les investissements étrangers. En réaction, de nombreux patrons allemands ont choisi de prendre position, non pour propager des opinions personnelles mais pour défendre le cadre qui permet à leur entreprise de prospérer. Prendre la parole sur ce terrain n’est pourtant pas simple. Les partenaires sociaux nationaux ont ouvert la voie, via une déclaration commune et solennelle condamnant nommément l’AfD et sa politique. De nombreuses entreprises ont également communiqué, à titre individuel, chacune à sa façon. Il y a celles qui ont choisi Instagram, comme BASF, qui a posté un message qui ne s’efface pas via la fonction Story. Ou celle qui, comme la Commerzbank, ont préféré le message qui disparaît après vingt-quatre heures. On notera le choix d’Edeka, enseigne phare de la grande distribution, qui a diffusé une vidéo YouTube en forme de parabole. Celle-ci montre des clients qui errent dans un supermarché vidé de ses produits étrangers et, donc, sans grand-chose dans les rayons. Enfin, il y a celles qui ne disent rien, par stratégie: «Nous ne faisons pas de déclarations politiques pour ne pas offrir de tribune à l'AfD», a expliqué Heike Prinz, directrice du personnel de Bayer.
En interne, l’exercice est plus difficile. A 20% d’intentions de vote pour l’AfD, toute organisation, entreprise ou syndicat a en son sein des électeurs ou des adhérents de ce parti. Certains secteurs travaillent avec des salariés étrangers ou issus de l’immigration. Comment communiquer sans braquer ou sans renouer avec le paternalisme d’antan? Le roi de la vis Reinhold Würth, patron du groupe du même nom, n’a pu s’empêcher d’envoyer une bonne vieille recommandation de vote contre l’AfD dans un courrier au personnel.
Plus subtile, la fédération des entreprises familiales allemandes a choisi le factcheking. Début avril 2024, l’organisation a fourni une analyse radicale du programme économique et social de l’AfD. Cette stratégie par le «contrôle des faits» est aussi suivie par les syndicats. Ces derniers hésitent toutefois encore à marquer leur engagement politique via l’imposition de règles internes, comme l’introduction d’une clause d’incompatibilité permettant d’exclure ou de refuser l’adhésion aux adhérents du parti. Il y a enfin des démarches qui s’inscrivent sur le long terme. L’entreprise s’engage davantage à expliquer une vision du monde qu’à attaquer un message politique. C’est par exemple ce que promeut l’initiative Business Council for Democracy #BC4D, qui réunit déjà cent vingt-cinq grandes entreprises et propose des cycles de conférences sur la démocratie et l’entreprise, mais aussi des formations sur les réseaux sociaux, la manipulation numérique ou la sélection des sources d’information. Bref, il y a mille manières et de raisons pour que les entreprises apprennent à défendre publiquement leurs valeurs!
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