Au rythme des complications horlogères

La Vallée de Joux abrite une industrie horlogère reconnue pour ses grandes complications.
La Vallée de Joux abrite une industrie horlogère reconnue pour ses grandes complications.
Flavia Giovannelli
Publié mercredi 24 juillet 2024
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#Vallée de Joux Historiquement, l’isolement des Combiers – les habitants de la vallée de Joux - a entraîné une vocation horlogère, surtout reconnue pour ses grandes complications. Un tel développement favorisé par une industrie est unique.

Mondialement réputée pour son industrie horlogère, la Suisse a vu fleurir certaines activités selon une répartition territoriale. Genève est le bastion de la haute horlogerie, avec quelques-unes des marques les plus prestigieuses, dont Rolex ou Patek Philippe. C’est là que le Poinçon de Genève – sceau de qualité horlogère instauré par le Grand Conseil genevois en 1886 – a été développé, synonyme d’excellence. Neuchâtel voit fleurir un rôle d’innovation et de recherche, notamment avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique, tandis que Bienne abrite la production de masse, avec la présence du Swatch Group, le plus grand fabricant de montres à grande échelle.

Le Locle, La Chaux-de-Fonds et le Jura sont surtout réputés pour la présence de nombreuses entreprises, marques et sous-traitants. Enfin, la Vallée de Joux est le berceau des complications horlogères, qui mérite le détour pour son historique particulier.

L’isolement et le salut

Les hivers y sont longs et rigoureux. Or, au XVIIIème siècle, les conditions étaient encore plus rudes pour les paysans, coupés du monde et dans l’impossibilité de travailler dans les champs.

C’est à cette époque que l’on recense les premiers horlogers, qui ont commencé à fabriquer des mouvements simples, avant de se spécialiser. Leur démarche était double: s’occuper à l’intérieur, mais aussi trouver des revenus supplémentaires.

Le XIXème siècle a vu l’essor de cette spécialisation, les artisans parvenant déjà à une renommée mondiale pour leurs talents, remarqués pour la création de complications horlogères, soit des calendriers perpé- tuels, des tourbillons ou des répétitions minutes. Malgré l’isolement, des négociants partaient vendre les mouvements en ville, soit à Genève, soit à l’étranger, tandis que la participation à des expositions leur permettait de se faire connaître. Le long des deux rives du Lac de Joux, des maisons bientôt prestigieuses, telles que Jaeger-LeCoultre (1833) ou Audemars Piguet (1875), ont établi leurs fondations. Avec d’autres artisans de talent, peu à peu, l’industrie horlogère locale a connu un essor.

Le passage à la modernisation, qui s’est fait en préservant le savoir-faire et les techniques artisanales, est une véritable success story. L’étonnement est grand pour les visiteurs du monde entier, qui découvrent avec stupéfaction le mélange de manufactures de pointe, d’habitations austères et la beauté du paysage entre forêts et lac. Rien ne semblait prédestiner cette vallée, qui compte six mille résidents fixes et huit mille emplois, à ce destin hors normes. Tôt le matin et tard le soir, le ballet des véhicules traversant les cols ou franchissant les frontières avec la France est incessant, quelles que soient les conditions météorologiques. Cette industrie emploie 65% de travailleurs frontaliers.

Une image dépoussiérée

Ces dernières années, les Combiers ont relevé un autre défi: se doter d’infrastructures reflétant le développement économique et susceptibles d’attirer un tourisme de connaisseurs. L’Espace horloger, situé au Chenit, retrace l’essentiel de cette histoire et accueille également des expositions temporaires. Sa visite, qui peut s’improviser, s’avère riche en enseignements. Tandis que le Musée Audemars-Piguet est une expérience immersive complémentaire et résolument moderne. Enfin, l’hôtel des Horlogers, autre propriété d’Audemars Piguet, a été rénové et inauguré en juin 2022. Ce fleuron du design, qui a reçu des récompenses, complète l’offre pour prolonger le séjour dans une ambiance horlogère raffinée. Cela permet, par exemple, de faire le tour du lac et d’avoir un tableau complet du panorama de cette industrie, avec la présence des manufactures Blancpain et Breguet, qui ont été réactivées au XXème siècle.

Le développement et l’aménagement industriels de la Vallée de Joux résultent d’une combinaison unique de conditions géographiques, d’innovations techniques et de tradition artisanale. Cette région a également su transformer les défis en opportunité économique, devenant un centre mondial de l’horlogerie de haute précision et de luxe.

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Musée Atelier Audemars Piguet: un succès retentissant

Au Brassus, localité berceau de plusieurs marques horlogères prestigieuses, le Musée Atelier d’Audemars Piguet ne désemplit pas depuis son ouverture en juin 2020.

L’établissement se distingue par une architecture unique en spirale, entièrement vitrée. Ce choix architectural est une prouesse: le toit et les façades sont en verre, donnant l’illusion d’une immersion avec l’extérieur. Pour répondre aux contraintes de l’environnement, surtout le froid, elles sont d’une épaisseur pouvant atteindre douze centimètres pour les panneaux de couverture. Le bâtiment peut supporter un poids total de quatre cent septante tonnes, offrant une marge de sécurité en cas de fortes chutes de neige. Récompensé à plusieurs reprises, le musée a notamment reçu le prix de la meilleure construction culturelle des MIPIM1 Awards.

À l’intérieur, un espace de deux mille cinq cents mètres carrés abrite un site d’exposition et trois ateliers de restauration, séparés des visiteurs par une cloison permettant d’observer les horlogers au travail. De là, on peut également rejoindre la maison des fondateurs de la marque, encore occupée par différents services. La visite du musée permet de se replonger dans l’horlogerie du XIXème siècle pour mieux prendre la mesure de l’expansion du savoir-faire des familles Audemars et Piguet. Chaque petit groupe est accompagné par un guide expert qui dévoile les secrets des mécaniques exposées. L’accent est mis sur la spécialité de la vallée, les complications horlogères, qui sont des fonctionnalités additionnelles d’une montre mécanique, telles que le chronomètre, l’affichage de la date ou les répétitions-minutes.

Ainsi, loin d’admirer seulement les montres en vitrines, les visiteurs bénéficient d’un bref cours d’horlogerie interactif. Cette transmission des arcanes d’une science complexe ne suscite jamais d’ennui. Après avoir appris quelques notions sur les matériaux, les techniques de décoration ou la réalisation des commandes spéciales, la plupart des visiteurs ressortent impressionnés par la minutie, voire la folie obsessionnelle des maîtres-horlogers, qui passent des heures, des semaines et des mois à assembler des centaines de composants. De quoi faire naître des vocations ou réveiller une âme de collectionneur, battant désormais au rythme des complications horlogères. Le bouche-à-oreille suffit pour remplir le calendrier, rendant indispensable une réservation à l’avance. En tout, il faut bien compter deux heures pour un tour complet du musée. 

1Le MIPIM, salon immobilier, réunit chaque année à Cannes les acteurs du secteur.  

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