Batteries lithium-ion, un grave danger pour les recycleurs

Elles ont peut-être l’air inoffensif, mais les batteries lithium-ion présentent un sérieux danger d’incendie lorsqu’elles sont jetées avec d’autres déchets.
Elles ont peut-être l’air inoffensif, mais les batteries lithium-ion présentent un sérieux danger d’incendie lorsqu’elles sont jetées avec d’autres déchets.
Pierre Cormon
Publié le jeudi 20 juin 2024
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#Déchets Le nombre d’incidents liés à des batteries lithium-ion éliminées de manière incorrecte se multiplient. Des recycleurs y voient un risque existentiel.

On en trouve partout, ou presque: véhicules électriques, puffs jetables, écouteurs sans fil, smartphones, rasoirs électriques, perceuses sans fil, ordinateurs et même là ou on ne les attend pas forcément, comme dans les baskets clignotantes ou les cartes de vœux sonores. Les batteries lithium-ion se sont multipliées ces dernières années. Or, mal éliminées, elles peuvent représenter un grave danger pour les recycleurs. «Il s’agit d’un risque existentiel», estime Bertrand Girod, directeur de l’entreprise Serbeco et membre de l’association Les Recycleurs de Genève. Le thème a fait l’objet d’une discussion lors du sixième Forum romand sur le recyclage, le 13 juin à Lausanne.

Si les batteries lithium-ion mal éliminées sont si dangereuses, c’est qu’elles contiennent des matières hautement inflammables et beaucoup d’énergie. A l’état normal, le risque est faible, encore que des départs de feu spontané se produisent. Mais quand la batterie est endommagée, elle peut se mettre à brûler, projeter des flammes et libérer une chaleur extrêmement élevée. Ces feux sont très difficiles à anticiper et à éteindre. Ils représentent une grande source de stress pour les travailleurs des entreprises de recyclage.

Filières

Le traitement des batteries lithium-ion ne pose pas de problème quand elles sont éliminées dans la filière qui leur est consacrée. «Ce n’est pas là que se produisent des incendies», remarque Marianne Brezing, responsable de la communication d’Inobat, en charge de la filière.

Elles présentent en revanche un sérieux danger quand elles sont jetées avec d’autres déchets, tels que les ordures ménagères, le plastique, le carton ou les déchets de chantier. Les camions de collecte compressent ce qu’ils ramassent, afin de gagner de la place. Cela peut endommager une batterie et provoquer un départ de feu. Dans les entreprises de recyclage, les déchets sont saisis par des pinces et subissent d’autres contraintes physiques, qui peuvent aboutir au même résultat. «Il y a cinq ans, nous enregistrions trois départs de feu par an», raconte Bertrand Girod. «Aujourd’hui, c’est trois par mois. Et si rien n’est fait, dans deux ans, ce sera trois par semaine.»

Serbeco a consenti à des investissements à six chiffres pour se prémunir de ce danger: caméras thermiques, systèmes de détection précoce, sprinklers, formations, équipes d’intervention, etc. Comme les feux peuvent tarder à se déclarer, l’entreprise cesse aussi de manipuler les déchets une heure à une heure et demie avant la fermeture, de manière à ce que les équipes soient sur place en cas de besoin.

Gros incendie

Cela n’a pas empêché un gros incendie de se déclarer l’année dernière dans l’entreprise, en dehors des heures d’exploitation, probablement à cause d’une batterie lithium-ion éliminée de manière incorrecte. Des sinistres de ce type se sont produits une douzaine de fois l’année dernière en Suisse, à Moudon, à Cressier, à Zofingen ou à Amriswil, a compté l’émission de télévision alémanique Kassensturz. Des installations ont été entièrement détruites; les dégâts peuvent se chiffrer en millions de francs.

Cette évolution n’a pas échappé aux assurances. Elles sont de plus en plus réticentes à assurer les recycleurs, même pour des risques non directement liés au feu. Certaines l’excluent même explicitement, comme l’ont constaté plusieurs partenaires romands ayant lancé un appel d’offre pour une nouvelle entreprise de tri des emballages plastiques.

Renégociation

Celles qui continuent à le faire ont sensiblement durci leurs conditions. Les renouvellements de contrat donnent lieu à des exigences ressenties comme exorbitantes par les recycleurs.

En cas de sinistre, les primes peuvent être multipliées par cinq, la franchise par dix, le plafond assuré abaissé. Un coût qui s’ajoute à celui des mesures de prévention et pèse lourdement sur les marges. «Le secteur est trop concurrentiel pour que nous puissions répercuter ces coûts dans nos prix», estime Bertrand Girod. «Je ne sais pas si nous pourrions survivre à un deuxième incendie.» Le risque ne fait qu’augmenter avec la multiplication des appareils portables de toute sorte. «Nous sommes confrontés à un risque dont nous ne sommes pas responsables et qui nous coûte de plus en plus cher», résume Bertrand Girod. «Qui doit prendre ces coûts en charge?» Aucune réponse n’existe pour l’instant.

Des campagnes de sensibilisation du grand public ont été lancées, notamment à Genève, à la demande de l’association professionnelle. Des propositions de mesures relevant de domaines tels que la formation, la prévention technique ou le dialogue entre parties prenantes ont été discutées lors d’une table ronde organisée par Swiss Recycle, l’association faîtière des organisations de recyclage suisses. «Une feuille de route est en train d’être élaborée», précise Patrick Geisselhardt, directeur de l’association.

La mise en place d’un fonds alimenté par la taxe anticipée sur le recyclage pourrait aider les recycleurs à faire face aux coûts engendrés par les batteries lithium-ion mal triées. Elle nécessiterait cependant un changement réglementaire, qui ne peut pas se faire du jour au lendemain. «Il y a urgence, mais les processus prennent du temps», conclut Jasmine Voide, responsable romande de Swiss Recycle. En attendant, les entreprises du secteur ne peuvent qu’espérer que le pire ne se produise pas encore une fois. Tout en sachant que l’un d’entre eux n’y échappera probablement pas, un jour ou l’autre.


Eliminez vos batteries correctement!

Les batteries lithium-ion sont identifiées par le sigle LI, imprimé dessus.
 

Les batteries lithium-ion de petite taille (smartphone, accus, ordinateurs portables, etc.) peuvent être déposées auprès des commerces qui vendent ces appareils; ils sont tenus de les accepter. Les points de collecte de nombreuses communes les acceptent également. Lorsqu’elles sont fixes, le consommateur n’est pas tenu de les retirer lui-même. Il peut remettre l’appareil entier à un point de vente ou de collecte.

Les batteries lithium-ion de plus de cinq cent grammes (chariots de manutention, vélos électriques, modules de stockage des installations photovoltaïques, etc.) sont considérées comme des déchets dangereux. Des précautions supplémentaires s’appliquent. Elles doivent être placées dans un conteneur séparé pour marchandises dangereuses, dûment signalé.

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