Chefs d’entreprise, marchez!

Marie-Hélène Miauton Publié le lundi 11 décembre 2023

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C’est un euphémisme de dire que les patrons manquent de temps. Ils déplorent sans cesse leurs journées de vingt-quatre heures, plus la nuit! Ils ne voient pas assez leur famille. Leurs journaux s’empilent jusqu’au moment de passer à la poubelle sans avoir été ouverts. Les vacances dont ils se réjouissent sont trop vite expédiées. Voilà le lot commun de ceux qui s’emploient à créer, à diriger, à péréniser une société. Avec le recul, et puisque j’ai connu ces affres durant toute ma vie d’entrepreneuse, j’ose un conseil, et un seul: chefs d’entreprise, marchez!

Marcher, c’est mettre un pied devant l’autre, dira le matérialiste. Marcher, c’est penser, dira le philosophe. Marcher, c’est bouger, dira le sportif. Marcher, c’est prier, dira le pèlerin. Tout est vrai, tout est juste, tant sont nombreuses les acceptions de la marche et l’étendue des bénéfices qu’elle procure. C’est pourquoi, de tous les loisirs que vous pourriez adopter, c’est la marche qui vous sera le plus bénéfique et cela pour une infinité de raisons.

Tout d’abord, et contrairement à la plupart des sports, elle est saine parce que toute la morphologie de l’homme lui est adaptée, depuis le trou occipital centré sur la colonne vertébrale, jusqu’à la cambrure des pieds, en passant par la position du bassin, les rotules, les tibias... C’est en se redressant, il y a au moins six millions d’années, que le bipède a pu utiliser ses mains pour travailler et ainsi libérer son cerveau, qui s’est développé. En outre, marcher témoigne de la curiosité des hommes, de leur désir de voir derrière l’horizon, de leur goût de la découverte. Selon le paléontologue Stephen Jay Gould, «l’homme s’est d’abord mis debout, puis il est devenu intelligent». Le philosophe Roger-Pol Droit ose ce parallèle étonnant qu’en posant successivement un pied devant l’autre, nous nous trouvons en constant déséquilibre, et que notre pensée s’est construite sur un modèle similaire, en déstabilisant sans cesse nos certitudes. N’est-ce pas exactement cela que doit faire un patron, déstabiliser ses certitudes pour faire avancer l’entreprise? Le marcheur découvre, chemin faisant, une infinité d’enseignements applicables dans sa vie professionnelle. Il apprend les bénéfices de la lenteur dans un monde qui va trop vite, parfois, pour que les décisions prises soient réellement soupesées et comprises. Il constate à ses dépens que les raccourcis ne sont généralement pas payants et que suivre le tracé que l’on s’est fixé reste quelquefois la meilleure des solutions, tant le méandre peut s’avérer la ligne la plus courte d’un point à un autre. La marche enseigne aussi comment affronter les obstacles. Lorsque se dresse une méchante côte, abrupte et caillouteuse, il convient de choisir un rythme adéquat, puis de regarder obstinément ses pieds, en refusant de lever la tête jusqu’à l’arrivée, en haut. Face à l’adversité, mieux vaut renoncer à voir trop loin, ce qui décourage et inquiète. Il est plus astucieux de réaliser petit à petit ce qui s’impose à nous, sans viser autre chose que le pas suivant. Ce stratagème est également utile en cas de crise, de quelque nature soit-elle: se fixer une succession de buts modestes et s’y tenir!

Le plus grand bienfait de la marche procède du lien intime qu’elle génère avec ce qui nous entoure. Au lieu de développer de hautes réflexions intellectuelles, de se complaire dans l’abstrait, de sculpter les nuages, la matérialité du chemin oblige à redescendre sur terre, au sens propre et figuré. Ce n’est pas pour rien que l’homme a découvert depuis longtemps les vertus de mettre un pied devant l’autre. L’Antiquité avait ses péripatéticiens, les moines chrétiens déambulaient dans leurs cloîtres, les bouddhistes méditaient en pratiquant la marche consciente, l’Occident compte bon nombre de philosophes marcheurs tels Kant, Nietzsche ou Rousseau. Tout comme l’enseignent ces prestigieux modèles, la marche ne se contentera pas de vous libérer l’esprit de la meilleure des façons, de vous offrir mille paraboles profitables dans vos activités, de vous rappeler à l’humilité, mais elle vous donnera encore cet équilibre indispensable à quiconque veut concevoir, commander, être utile. Alors, oui, parmi vos bonnes résolutions du 1er janvier, inscrivez la marche à votre programme 2024. Et, en attendant, joyeuses fêtes  à tous!

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