#Livraison à domicile L’essor du service de livraison de repas à domicile confirme les changements d’habitudes dans la restauration. Le secteur veut y voir de nouvelles opportunités.
Ces dernières années, une nouvelle approche de la restauration émerge avec les dark kitchens. Bien que leur percée en Suisse romande soit encore timide, l’essor des livraisons à domicile présente des atouts indéniables. Cette tendance a été initiée par la pandémie, qui a contraint la fermeture des établissements physiques et incité de nombreux chefs à pallier l’inactivité en lançant des services de livraison à domicile. Depuis, les consommateurs se sont familiarisés avec ces changements d’habitudes.
Les nouveaux outils technologiques ont donné un coup d’accélérateur à ces développements. Ils permettent la dématérialisation de nombreuses activités, comme les commandes en ligne et la gestion optimisée des données clients. Dans ce nouveau modèle, la promotion s’appuie sur les plateformes, souvent d’origine étrangère, comme Just Eat, Uber Eats ou Smood.
Président du Groupement professionnel des restaurateurs et hôteliers (GPRH), Anthony Castrilli confirme ces faits, qui sont étayés par un sondage représentatif réalisé à l’échelle suisse par un important institut de sondage, sur commande de Just Eat suisse. Il en ressort notamment que le marché de la livraison de repas a augmenté de 64% entre 2018 et 2021, pour atteindre 2,1 milliards de francs à cette date.
Ces succès s’expliquent en partie par l’essor de la street food et du désir d’instantanéité qui poussent les clients à chercher des livraisons partout et à toute heure. Les générations montantes, avec peu de temps à consacrer à la cuisine à domicile, ont les attentes les plus élevées en termes de fréquence et de variété. Du côté de l’offre, la profession apprend à rationnaliser la réponse, évitant de multiplier les points de vente traditionnels, qui impliqueraient d’engager des fonds conséquents, sachant que le secteur d’activité comporte en plus des risques élevés. Pour Antony Castrilli, ce modèle a des arguments pour séduire, mais savoir s’il est probant demande une réflexion personnelle, qui varie en fonction de nombreux paramètres. Dans tous les cas, il faut savoir s’appuyer sur les réseaux sociaux pour se faire connaître.
Les dark kitchens sortent du bois
A l’encontre des établissements classiques, les dark kitchens, qui n’ont pas de devanture, peuvent se dispenser d’investir dans une zone du centre-ville ou bien fréquentée, qui entraîne souvent un loyer onéreux. Il suffit d’avoir la place d’installer une cuisine et une chambre froide. Nul besoin, non plus, d’investir dans la décoration pour attirer les clients. Elles n’ont pas à s’intéresser non plus à la qualité de l’accueil, puisque le seul objectif consiste à préparer les repas proposés en ligne et à flux tendus.
Ce modèle permet tester de manière bien plus agile des formules inédites, tout en diminuant les risques associés. La diversification est ainsi facilitée, puisque des recettes très différentes peuvent être confectionnées en un seul et même lieu, tout en profitant de synergies.
Les restaurateurs sont en mesure de savoir très vite – chiffres à l’appui – comment leurs clients réagissent. Ils peuvent ensuite adapter leurs capacités de production, le service de livraisons ou le click & collect sans les contraintes financières liées à un emplacement favorable. Il leur est d’autant plus facile d’élargir leur zone de chalandise, parfois par le biais de collaborations favorisant la proximité avec le client final.
Face sombre
Lorsqu’elles sont enregistrées au registre du commerce, les dark kitchens répondent à tous les critères de la branche. Cela n’empêche pas une économie souterraine de se glisser dans la brèche. En effet, certains particuliers, souvent non formés, proposent de manière informelle des préparations culinaires vendues via des annonces en ligne et discrètement livrées. Habitué à défendre les intérêts de la profession, Anthony Castrilli rappelle que les exigences auxquelles doivent répondre les entreprises de la branche sont très strictes; en outre, elles doivent payer des taxes. Les autorités vérifient la conformité des locaux et le type d’activité, l’existence d’une patente ou les méthodes de stockage. «Toutes ces contraintes répondent à un objectif, soit d’assurer la sécurité en général», résume le président du GPRH.
D’autres organismes, comme la Fédération romandes des consommateurs (FRC), lui font écho: «A la FRC, nous n’avons pas enregistré un nombre significatif de plaintes de la part de consommateurs qui auraient connu des problèmes liés aux préparations issues de dark kitchens. Ce qui ne veut pas dire que cela n’arrive jamais, puisque le propre des dark kitchens non déclarées est de passer sous le radar», relève Rebecca Eggenberger, responsable du secteur alimentation à la FRC, qui ajoute: «Il paraît difficile de s’assurer que les personnes opérant dans ces cuisines connaissent les règles essentielles liées au respect des normes d’hygiène ou de traçabilité, sans parler des allergènes. En cas de souci à cet égard, la FRC suggère de contacter le chimiste cantonal, afin de déclencher un contrôle».
Taktime, food-court virtuel
A la pointe de la tendance, Ludovic Descouens, qui a été le cuisinier privé de François Mitterrand, et Deepak Peschard, un banquier reconverti, ont joint leurs compétences pour donner vie à Taktime, qu’ils voient comme un food court virtuel. Le nom n’est pas choisi au hasard: inspiré de l’allemand, il évoque un métronome et symbolise le rythme de production. «Au printemps 2022, nous avons trouvé un espace multifonctionnel dans le quartier des Acacias, qui nous a permis de nous lancer dans les livraisons à domicile», explique Deepak Peschard. «Notre projet repose sur la création d’un réseau étendu de partenaires professionnels, souvent des restaurants souhaitant élargir leurs services: nous assurons cette partie de leurs activités. Simultanément, nous avons développé nos propres marques.» Ambitieux, les deux entrepreneurs visent à conquérir l’ensemble de la Suisse, voire les pays voisins. Ils ont rapidement opté pour une approche collaborative, se rapprochant de cuisines existantes pouvant rejoindre leur réseau en partenariat. «Cette stratégie présente plusieurs avantages. Elle favorise les circuits courts, réduisant notre impact écologique, tout en assurant une meilleure maîtrise des coûts fixes et de la qualité de nos recettes. Celles-ci doivent correspondre le plus possible à ce qui serait consommé sur place», détaille Deepak Peschard.
La préparation des mets répond à un cahier des charges très précis, élaboré en collaboration entre Taktime et les chefs partenaires. «Nous sommes très exigeants envers nous-mêmes, pratiquant l’auto-contrôle de manière fréquente et rigoureuse», précise Deepak Peschard. Aujourd’hui, Taktime a développé plusieurs marques en propre, comme Macornette - de petites pâtes avec diverses sauces -, Tuk Tuk, qui propose des spécialités thaïlandaises, ou Shawarma, qui offre des saveurs libanaises. Outre le voyage gastronomique promis à ses clients, l’entreprise vise, de manière générale, ceux des segments moyen à élevé, encore peu exploré dans la restauration à distance. Dans les locaux , la cuisine, bien que de taille modeste, est divisée en trois zones dont deux sont ouvertes sur l’extérieur. Cette configuration facilite la réception des marchandises d’un côté, l’assemblage au milieu et un espace de contact entre les livreurs et le personnel aux fourneaux.
Dans ce modèle d’affaires, l’adoption d’outils technologiques est cruciale. Les calculs prédictifs de rentabilité, basés sur des critères tels que l’emplacement géographique ou les commandes des clients, permettent de réduire le gaspillage alimentaire. Depuis quelques mois, Taktime a également ouvert un restaurant, Blend Chef’Signature, contigu à ses cuisines. Cette présence physique a pour objectif de soutenir leur démarche dans son ensemble.
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