De l’obsession de la ponctualité dans la vie professionnelle

Le respect des horaires s’impose plus que jamais dans la vie professionnelle.
Le respect des horaires s’impose plus que jamais dans la vie professionnelle.
Gregory Tesnier
Publié vendredi 16 décembre 2022
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#Temps Le respect des horaires est un impératif professionnel. Dans la vie d’une entreprise, une bonne gestion du temps obéit à certains principes.

La Règle de Saint Benoît, règle monastique écrite par Benoît de Nursie au VIème siècle, est très claire en matière d’horaires et de sanctions en cas de retard: «Au repas, celui qui ne sera pas arrivé avant le verset de manière que tous disent ensemble ce verset, prient et se mettent à table en même temps, sera réprimandé jusqu’à deux fois, si c’est par négligence ou faute qu’il n’est pas arrivé à temps; si ensuite il ne se corrige pas, on ne lui permettra pas de prendre part à la table commune, mais il mangera seul, séparé de la compagnie de tous et privé de sa portion de vin jusqu’à ce qu’il ait réparé et se soit corrigé».

Le souci de la ponctualité, on le constate, est une affaire ancienne qui trouve ses racines dans des exigences morales ou religieuses et son prolongement dans les nécessités et les contraintes des progrès techniques, comme le montre Catherine Herr-Laporte dans sa thèse de doctorat soutenue en juin dernier à l’Université de Neuchâtel (lire ci-dessous). Aujourd’hui, le respect des horaires s’impose plus que jamais dans la vie professionnelle, mais avec des nuances selon les zones culturelles ou géographiques. Erin Meyer, professeure à l’Institut européen d'administration des affaires, souligne ces variations dans son ouvrage La carte des différences culturelles: huit clés pour travailler à l'international: «Si vous vivez au sein d’une culture qui a une conception rigoureuse de la gestion du temps, comme en Allemagne, en Scandinavie, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, il est probable que vous passiez un coup de fil en cas de retard à un rendez-vous avec un fournisseur.

Dans le cas contraire, votre fournisseur risquerait de s’agacer à chaque seconde où vous n’apparaissez toujours pas. Inversement, si vous vivez en France ou dans le nord de l’Italie, il y a des chances que vous n’éprouviez pas le besoin de téléphoner, car arriver avec six ou sept minutes de retard, c’est encore être «fondamentalement à l’heure». Et si vous appartenez à une culture qui a une conception souple du temps, comme c’est le cas au Moyen-Orient, en Afrique, en Inde ou en Amérique du Sud, le temps risque d’avoir pour vous une élasticité complètement différente».

Au-delà des différences culturelles, Pascale Bélorgey, auteure de La boîte à outils de la gestion du temps, tente d’apporter quelques solutions pratiques pour favoriser la ponctualité au sein des entreprises et des organisations. Son livre postule que les rendez-vous professionnels sont souvent chronophages et qu’ils impliquent de nombreux écueils à éviter au moment de leur organisation afin de favoriser, notamment, le respect des horaires initialement prévus. «Temps morcelé, déplacements trop fréquents, précieux neurones du matin consacrés à des sujets moins importants que nos tâches essentielles… Les rendez-vous trop facilement acceptés peuvent nous coûter cher. Bien plus cher que la durée du rendez-vous elle-même. L’organisation des rendez-vous repose sur quelques règles pour optimiser notre emploi du temps tout en répondant aux demandes légitimes de nos interlocuteurs.»

Parmi les règles citées par Pascale Bélorgey, il y a l’idée de favoriser quelques horaires fixes pour les rendez-vous – idéalement 11 h 30, 14 h. et 15 h. – ou celle de limiter la durée des rencontres, voire de les éviter en trouvant d’autres solutions (travail asynchrone, entretien téléphonique, délégation de tâches). Finalement, on retiendra ce conseil de l’autrice pour celles et ceux qui souhaitent devenir plus ponctuels: «Prenez votre temps pour changer vos habitudes. Les neuroscientifiques nous annoncent une durée moyenne de soixante jours pour remplacer une habitude bien ancrée par une nouvelle».


Comment le XVIIIème siècle a imposé une nouvelle conception de la ponctualité

Catherine Herr-Laporte a soutenu sa thèse de doctorat en juin dernier à l’Université de Neuchâtel. Le titre de son travail? Être à l’heure: une histoire de la coordination temporelle dans les transports terrestres en France au cours d’un long XVIIIème siècle. Sa recherche se concentre ainsi sur le développement en France (mais aussi en Suisse et en Angleterre) des transports postaux au XVIIIème siècle pour mettre en lumière l’évolution des mentalités en matière de respect des horaires.

«Dans un contexte de diffusion du temps mesuré mécaniquement, les mobilités au XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle, qui se multiplient à cette période, sont marquées par une recherche de vitesse qui ne concerne certes pas tous les utilisateurs et toutes les utilisatrices, mais qui préoccupe particulièrement l’État, pour des raisons politiques et militaires essentiellement, et les acteurs économiques», écrit-elle. Elle poursuit: «L’administration postale, afin de répondre à cette attente de célérité, propose de nouveaux services, plus rapides, qui s’appuient sur une coordination temporelle entre les différents acteurs, permettant de limiter toute perte de temps lors des diverses étapes des transports. Les horaires s’imposent alors comme des outils pour organiser et accélérer les mobilités. Le respect de ces échéances temporelles, et donc la ponctualité, devient essentiel au bon fonctionnement des transports; à l’inverse, le retard leur nuit».

Catherine Herr-Laporte précise pour nos lecteurs les enjeux mis en lumière par sa thèse.

Notre notion de la ponctualité est-elle vraiment née au XVIIIème siècle?

Ma recherche, centrée sur les transports postaux, étudie le temps à travers ses usages. Dans cette perspective, au XVIIIème siècle, les progrès techniques - notamment la mesure individuelle du temps améliorée grâce au développement commercial des montres de poche, le temps devient plus «visible»! – combinés au souci croissant d’aller toujours plus vite en tout, vont bel et bien imposer une nouvelle façon d’envisager la ponctualité. Le respect des horaires, dans le cas des transports postaux, devient ainsi un moyen de vaincre ou de contourner certains obstacles économiques, techniques ou géographiques auxquels le désir de vitesse fait face.

La notion de ponctualité n’existait-elle pas avant le XVIIIème siècle?

L’évolution du concept de ponctualité s’inscrit en effet dans le temps long. Au Moyen Âge, par exemple, les monastères imposent le respect de certains horaires. Cette obligation est d’ordre moral. Ce que le XVIIIème siècle va favoriser – peu à peu et à un rythme différent pour telle ou telle partie de la population –, c’est une conception de la ponctualité basée sur des justifications techniques et non plus spirituelles. La vitesse (de déplacement, d’exécution d’une tâche, etc.) doit être permise grâce au respect des horaires. Le développement des chemins de fer, au XIXème siècle, bénéficiera de cette évolution des mentalités.

Cette nouvelle façon d’envisager la ponctualité a-t-elle suivi un chemin similaire au fil des ans en Suisse et en France?

Sans pouvoir dater de façon précise les transformations qui ont eu lieu en France ou en Suisse en matière de conception du temps et de respect des horaires, il est possible d’affirmer que les deux pays ont suivi des trajectoires globalement similaires. Bien entendu, il existe des nuances régionales à prendre en considération.

J’insiste sur le fait que, pendant de nombreuses années, les populations ont vécu avec plusieurs référentiels temporels: tous les individus ne vivaient pas dans les mêmes réalités techniques, économiques ou politiques. Un point pour conclure sur une note plus légère: si la notion de ponctualité peut être étudiée au niveau théorique, nous constatons toutes et tous que, dans la vie quotidienne et quel que soit le lieu, cette ponctualité ne se vérifie pas toujours quand on souhaite envoyer un colis ou prendre un train. 

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