De la viande in vitro à la cantine? Pas pour demain
Pierre Cormon
Publié vendredi 17 décembre 2021
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#Alimentation Les start-up produisant de la viande de laboratoire présentent cette technologie comme l’avenir de la viande. Pour le faire à grande échelle et à un coût raisonnable, elles devront cependant surmonter de tels obstacles que des spécialistes doutent qu’elles y parviennent dans les décennies qui viennent.
La viande de laboratoire? C’est l’avenir, selon les start-up tentant de développer ce créneau, ainsi que certaines associations environnementales. Il s’agit de faire croître des cellules animales dans des cuves, baignées dans un liquide leur fournissant des hydrates de carbone, des graisses, des protéines et des sels. On pourrait ainsi profiter des avantages de la viande sans contribuer aux problèmes engendrés par l’élevage: usage de surfaces énormes, pollutions diverses, nécessité de tuer des animaux, etc. Des acteurs importants de la grande distribution et de l’industrie de la viande ont investi dans des start-up du domaine. La Suisse n’est pas en reste. Migros, Givaudan et le groupe Bühler ouvriront l’année prochaine un incubateur destiné à ces technologies dans la région zurichoise: le Cultured Food Innovation Hub.
Technologie connue
La technologie de base n’a rien de nouveau. Elle est utilisée depuis longtemps par l’industrie pharmaceutique, notamment pour multiplier des cellules dans le cadre de la production de vaccins. Pour fabriquer une viande de laboratoire en abondance à des prix compétitifs, il faudrait cependant travailler à beaucoup plus large échelle et faire baisser drastiquement les coûts. Or, cela pose un défi d’une telle taille que certains spécialistes l’estiment insurmontable. Les études à ce sujet aboutissent à des conclusions divergentes, mais toutes soulignent que des avancées très significatives sont indispensables. Bref, si la technologie fonctionne à petite échelle, on en est encore loin à l’échelle industrielle. Quel est le problème? Il y en a au moins trois, a relevé The Counter, un magazine en ligne étasunien consacré à l’alimentation, dans un article qui a fait beaucoup de bruit dans la communauté de la food tech1.
Question de coût
Premièrement, pour produire suffisamment de viande in vitro pour avoir un impact significatif sur le marché, il faudrait construire d’énormes laboratoires à un coût extrêmement élevé. Une installation produisant dix mille tonnes par année (soit 0,0002% de la production de viande étasunienne ou 2,25% de la consommation suisse) requerrait un investissement de quatre cent cinquante millions de dollars, selon un rapport commandé par le Good Food Institute, qui représente les producteurs de succédanés de viande et de viande in vitro. Généraliser sa production demanderait donc des investissements faramineux, très difficiles à amortir. D’autant plus que certains estiment ces calculs sous-estimés. La production de viande in vitro exige en effet des laboratoires d’une extrême propreté, soulignent ces spécialistes. Les cellules in vitro sont sans défense et la moindre contamination par des bactéries permettrait à celles-ci de se multiplier beaucoup plus rapidement que les cellules de viande, en profitant du liquide dans lequel elles baignent. Toute la production de la cuve serait alors perdue.
Normes pharmaceutiques
Des spécialistes estiment donc que la production n’est imaginable que dans des laboratoires appliquant les normes d’hygiène de l’industrie pharmaceutique. Cela n’est pas pris en compte dans les calculs et renchérirait d’autant le produit, soulignent-ils. Cette contrainte empêcherait aussi de construire les usines gigantesques dont on aurait besoin pour bénéficier de suffisamment d’économies d’échelle. «Vous pouvez construire une grande usine ou vous pouvez construire une usine propre», explique un spécialiste interviewé par The Counter. «Nous avons besoin des deux à la fois, et ce n’est pas possible.» Plus une cuve est grande, plus on réalise des économies d’échelle. «En revanche, plus elle est grande, plus le risque augmente», explique Tomas Turner, fondateur de Cultivated Biosciences, une start-up issue de l’EPFL, qui développe des protéines et des graisses végétales pouvant être utilisées dans la fabrication de substituts de fromage. «Une seule bactérie peut suffire à infecter le mélange, et tout le contenu de la cuve doit être jeté. Vous perdez donc beaucoup plus que si vous utilisez de petites cuves.»
Sérum de veau
Les cultures de cellules comprennent du sérum de veau fœtal, un sous-produit fourni par les abattoirs. Le produit est très coûteux et dépend de la poursuite de l’élevage traditionnel, en contradiction avec la promesse d’une viande sans abattage. Des chercheurs travaillent sur des substances de remplacement, mais elles n’existent pas encore. «On a cependant des pistes sérieuses», estime Tomas Turner. «On pourrait y parvenir dans un horizon de cinq à dix ans.»
«Je pense que si l’on veut arriver à la neutralité carbone d’ici à 2050, on ne peut pas compter sur ces technologies», conclut Tomas Turner. «Elles permettront de produire de la viande en quantité industrielle et à un prix compétitif dans plus de trente ans. Dans l’intervalle, elles peuvent être utilisées pour des produits de niche, pour lesquels des consommateurs sont prêts à payer des prix très élevés, comme de la viande de bison. Cela permettra de développer ces technologies, avant de les appliquer à plus large échelle.»
1 «Lab-grown meat is supposed to be inevitable. Sciences tells a different story», disponible gratuitement sur le site thecounter.org.
Remplacer la viande d’élevage
Les foodtechs, un secteur en pleine ébullition, regorgent d’idées pour produire des aliments remplaçant la viande issue d’animaux de rente. Trois grandes voies sont explorées:
La viande in vitro, produite en laboratoire à partir de cellules animales, encore en phase de développement.
Les substituts de viande à base de produits végétaux (pois jaunes, soja, gluten, jaca, etc.), déjà commercialisés par des marques telles que Garden Gourmet ou Beyond Meat.
Les substituts de viande élaborés à partir de levures fermentées. C’est par exemple la voie choisie par Quorn, Impossible Burger ainsi que par Cultivated Biosciences, pour les substituts de produits laitiers.
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