#Densification La Suisse a stoppé le mitage du territoire. Cela permet de préserver les espaces naturels, mais exerce une pression à la hausse sur les prix du logement.
«Les villes devraient être construites à la campagne, l'air y est tellement plus pur», recommandait l’humo- riste Alphonse Allais. La Suisse a suivi ce conseil pendant des décennies. «Une grande partie du territoire a été aménagé sur le modèle de la famille nucléaire, habitant une maison individuelle et se déplaçant en voiture», observe Jérôme Chenal, directeur de la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire de l’Ecole polytechnique de Lausanne.
La surface des zones à bâtir a sensiblement augmenté jusqu’en 2012. Sa croissance était plus élevée que celle de la population. Autrement dit, on consommait de plus en plus d’espace par personne. Le pic a été atteint cette année-là: trois cent neuf mètres carrés par habitant. «Certains facteurs ayant favorisé le phénomène sont communs à plusieurs pays occidentaux», constate Olivier Schöni, professeur associé en économie urbaine à l’Institut de hautes études en administration publique de l’Université de Lausanne. L’expansion de la voiture, après-guerre, a permis d’habiter de plus en plus loin de son lieu de travail. L’augmentation des revenus a favorisé l’acquisition de maisons individuelles.
Pas de vision d’ensemble
D’autres facteurs sont plus spécifiques à la Suisse. Avec le fédéralisme, les communes ont pu augmenter leur zone à bâtir sans vision d’ensemble. «Beaucoup d’entre elles y ont placé des parcelles de plus de mille mètres carrés, propices à la construction de grandes maisons, pour attirer les meilleurs contribuables», remarque Olivier Schöni. «Les centres-villes ont été relativement peu densifiés et l’attractivité des lieux touristiques, notamment dans les Alpes, a favorisé leur croissance.» Les espaces naturels se sont raréfiés.
Cette évolution a entraîné une réaction. Des termes comme «étalement urbain» ou «mitage du territoire» sont entrés dans le vocabulaire. La loi sur l’aménagement du territoire a été révisée pour en tenir compte. La réforme acceptée en votation populaire début 2013 a entraîné un changement de paradigme: l’accent a été mis sur la densification. De nombreuses communes ont dû réduire leurs zones à bâtir. Des mesures d’urgence ont été prises après l’acceptation de la loi, comme le gel des nouveaux projets dans les communes ayant des zones à bâtir surdimensionnées. La tendance des décennies précédentes s’est inversée l’année même de la votation. Depuis, la surface totale des zones à bâtir stagne, alors que la population continue d’augmenter. La surface par habitant a diminué de 9% en une décennie. Concrètement, on a construit plus densément, en priorité dans les régions déjà bien urbanisées.
Densifier pour préserver l’espace
«Augmenter la densité procure un certain nombre de bénéfices», observe Olivier Schöni. «Les distances moindres permettent de réduire les frais de transport, d’élargir le marché de l’emploi, de stimuler le partage d’idées, etc. Ces éléments favorisent la productivité.» La densification est également bonne pour les finances publiques, puisqu’elle limite l’étendue des réseaux de transports publics, d’eau, de télécommunications, d’égouts et d’énergie. Le canton du Jura, par exemple, doit mettre à la disposition de la population un système de transport scolaire, au vu de la dispersion de celle-ci. Genève s’en passe. Enfin, la densification permet de préserver l’espace – la ressource non-renouvelable par excellence. Les milieux naturels sont mieux protégés. Revers de la médaille: la densification a un impact environnemental à l’échelle locale. «On concentre la pollution, on crée des îlots de chaleur, on imperméabilise les sols» illustre Jérôme Chenal.
Toutes choses égales par ailleurs, si la population croît, la densification augmente également le prix du logement. «On densifie dans les régions attractives, là où la demande est déjà élevée et la disponibilité de terrains à bâtir faible», observe Olivier Schöni. Autrement dit, on construit là où le terrain est le plus cher. Cela a fatalement un impact sur le marché du logement. «Comme la loi protège les locataires en place, ce sont surtout les personnes qui déménagent plus souvent, comme les jeunes, les immigrants ou ceux dont la situation familiale a changé, qui en paient le prix», note Olivier Schöni. Cet effet est cependant difficile à isoler dans les statistiques, plusieurs autres facteurs influençant également le marché, comme l’évolution des salaires, de la population, des taux hypothécaires, etc.
On ne peut pas tout avoir
«On ne peut donc pas se contenter de dire: il faut densifier», estime Jérôme Chenal. «On doit viser un optimum de densité, qui varie selon les cas.» Comment le déterminer? «Il se situe là où les coûts et les bénéfices s’équilibrent», répond Olivier Schöni. «Je ne pense cependant pas qu’il soit mesurable – il existe trop de paramètres trop différents les uns des autres. De plus, les citoyens expriment leurs préférences en matière de densité de manière contradictoire: ils y sont généralement favorables sur le plan général, mais pas à proximité de chez eux.» Quoi qu’il en soit, on ne peut pas à la fois freiner l’étalement urbain, bénéficier d’une croissance économique et démographique et garantir des loyers bas. Ces trois facteurs agissent les uns sur les autres et pas toujours de la manière dont on le souhaiterait. «Tout ce que les chercheurs peuvent faire, c’est éclairer un certain nombre de corrélations, mais les arbitrages ne sont pas de leur ressort», conclut Jérôme Chenal. «C’est aux politiques de les faire.»
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