Dès 2024, un virement bancaire pourra arriver en dix secondes

Il faudra moins de temps pour recevoir un virement bancaire que pour manger une pièce en chocolat.
Il faudra moins de temps pour recevoir un virement bancaire que pour manger une pièce en chocolat.
Pierre Cormon
Publié vendredi 23 juin 2023
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#Place financière suisse Un système de paiements instantanés est mis en place, comme en Chine, aux Etats-Unis ou dans l’Union européenne.

Les Suisses devraient pouvoir effectuer des virements bancaires instantanés dès août 2024, pour peu que leur banque propose ce service. L’argent sera débité du compte de l’émetteur, crédité sur celui du destinataire et l’opération confirmée au premier en un maximum de dix secondes.

Plus de 99% des virements est déjà fait de manière entièrement automatique. «Si les systèmes relèvent un doute sur un risque de fraude, une question sur l’origine des fonds ou un lien potentiel avec un programme de sanction, une intervention manuelle est requise», explique Arnaud Para, responsable des projets opérations bancaires à la Banque cantonale de Genève (BCGE).

Automatique ne veut cependant pas dire immédiat. Le délai de traitement varie de quelques minutes à quelques jours. Tout dépend du moment et du canal par lequel l’ordre est passé.

Logiciels comptables

Certaines entreprises utilisent des logiciels comptables qui permettent de passer des ordres de virement sans se connecter à son e-banking. «Dans ce cas, on est proche du paiement en temps réel, pour autant que l’ordre soit passé avant l’heure limite», estime Marc Olivier Grenon, spécialiste du trafic des paiements et cash management pour la clientèle Entreprise Suisse romande chez Raiffeisen Suisse.

Quant aux ordres effectués par e-banking, ils peuvent être crédités au destinataire en deux à vingt minutes, selon un test récent de la Handelszeitung portant sur quatorze établissements. «Pour des raisons d'efficacité, les ordres sont généralement groupés en lots par la banque émettrice», remarque un responsable bancaire.

«L’avantage, c’est que si un client a commis une erreur dans son ordre de virement, il dispose d’un peu de temps pour le corriger», remarque Jean De Bosset, responsable opérations informatiques à la BCGE. L’heure limite pour que les virements faits par e-banking aient des chances d’être crédités au destinataire le jour même varie selon les banques, d’environ midi à 16 h 30. Ces délais ne sont cependant pas garantis. Une fois l’heure limite passée, les paiements ne sont exécutés que le jour ouvrable suivant, qu’ils passent par un logiciel comptable ou par l’e-banking. Si des week-ends ou des jours fériés tombent entretemps, tout le processus est retardé d’autant. Les paiements par carte de crédit ou de débit empruntent un circuit différent, mais ils ne permettent pas non plus à l’argent d’arriver immédiatement sur le compte du destinataire.

Chine, UE, etc.

Plusieurs pays ont déjà introduit des paiements en temps réel. C’est le cas du Royaume-Uni en 2008, de la Chine en 2010, de l’Union européenne (UE) en 2017 ou des Etats-Unis en 2018. «Comme le trafic des paiements en Suisse a toujours été très rapide par rapport à l'étranger, il n’y avait pas d’urgence à introduire les paiements instantanés», commente Marc Olivier Grenon. «Il n’y a pas encore d’attente forte de la clientèle pour ce moyen de paiement», confirme Arnaud Para. «Son arrivée devrait cependant générer de nouveau besoins et usages.» La Banque nationale a cependant chargé SIX Group, l’entreprise qui opère l’infrastructure de paiements suisse, d’introduire un tel système. Les cinquante plus grandes banques devront être en mesure de recevoir des paiements instantanés dès août 2024. Les autres devront pouvoir le faire à partir de novembre 2026. Les banques ne seront cependant pas obligées de proposer à leurs clients la possibilité d’effectuer des paiements instantanés. Le marché les poussera toutefois probablement à le faire.

Le montant maximum pouvant être transféré de la sorte a été fixé à vingt mille francs dans un premier temps, et sera peut-être augmenté par la suite. La rapidité sera garantie vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an. Autrement dit, un paiement fait à 22 h le 25 décembre arrivera aussi vite qu’un paiement fait à 9 h du matin un jour ouvrable. Pour une personne effectuant un paiement instantané par téléphone portable, le système paraîtra proche de celui de Twint, avec de légères différences. Les limites seront plus élevées par transaction. Elle devra en outre indiquer l’IBAN du destinataire – par exemple en scannant un QR-Code, comme on le fait avec les QR-factures. Pour les banques, en revanche, il sera très différent. Lorsqu’on envoie une somme par Twint, la banque du destinataire crédite immédiatement le compte de ce dernier. Il s’agit cependant d’une avance: la somme n’est réellement transférée d’un établissement à l’autre que plus tard. On parle donc de «paiements perçus comme en temps réel» plutôt que de paiements en temps réel.

Gros travaux

L’introduction d’un véritable système de paiements instantanés nécessite des investissements très substantiels de la part des banques. «Nous devons installer de nouveaux logiciels, de nouvelles infrastructures, définir une nouvelle organisation du personnel, etc.», énumère Arnaud Para. Les banques profitent par exemple des nuits, des week-ends ou des jours fériés pour effectuer les opérations de maintenance du système informatique de virements. Elles perdront cette possibilité avec un système appelé à fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an. Il faudra déployer des solutions informatiques permettant de contourner le problème, et prévoir le personnel nécessaire pour intervenir en tout temps en cas de besoin. Tarification Le système de tarification des paiements en temps réel n’est pas encore connu. Chaque établissement sera libre d’établir le sien. Le scénario le plus souvent évoqué est celui du «modèle néerlandais». Les clients peuvent y choisir entre deux options. Les paiements urgents peuvent être effectués en temps réel, moyennant des frais – par exemple cinquante centimes. Les paiements moins urgents sont crédités le lendemain au destinataire, même les jours fériés et les week-ends. «Nous partons de l’idée que 10% à 15% des clients choisiront l’option payante et les autres l’option gratuite, sur la base de l’expérience des pays de l’UE», relève Jean de Bosset. De plus en plus de banques de l’UE ont cependant baissé le coût de l’option rapide, car le volume de transactions a fait diminuer son coût unitaire. L’UE y est favorable. Favoriser les paiements instantanés sur les paiements par carte a en effet un intérêt stratégique. Ils reposent sur des systèmes européens, alors que le paiement par carte est contrôlé par des entreprises étasuniennes.


Quel intérêt pour les entreprises?

Le paiement instantané pourra s’avérer très intéressant pour régler des marchandises coûteuses et transportables, comme une voiture ou une œuvre d’art. Les sommes en jeu dépassent souvent les limites fixées pour les paiements par carte ou par Twint. «On pourra régler immédiatement les acomptes ou la totalité du prix et partir avec l’objet», explique Marc Olivier Grenon.

Les paiements instantanés pourraient être favorisés par le commerce électronique, car ils sont plus avantageux dans ce cas que le paiement par carte ou par Twint, ne donnant pas lieu à la perception d’une commission auprès du commerçant. Ils pourront aussi s’avérer intéressants pour finaliser une transaction immobilière, qui exige que des fonds soient disponibles. Toute entreprise disposant d’un compte en banque suisse pourra recevoir des paiements instantanés, alors que pour accepter les paiements par Twint, elle doit d’abord conclure un contrat avec un intermédiaire.

Entreprises en difficulté

Les entreprises connaissant des difficultés de trésorerie, comme celles se trouvant en sursis concordataire, pourraient également trouver un intérêt aux paiements instantanés. Dans une telle situation, les fournisseurs exigent souvent qu’elles règlent leurs achats avant livraison. Un paiement en temps réel pourrait être bienvenu. Autre cas: le paiement des salaires. «Dans de nombreuses entreprises, il doit être validé par le patron», poursuit Marc Olivier Grenon. «Mais que se passe-t-il si le virement tombe la veille d’un long week-end et que le patron ne peut pas s’en occuper avant la fin de l’après-midi? Les salaires n’arrivent pas avant le jour ouvrable suivant, plusieurs jours plus tard. Avec le paiement instantané, il pourra s’en occuper le soir, et les salaires arriveront immédiatement sur le compte des salariés.»

Nouveaux services

Enfin, de nouveaux services seront probablement développés grâce aux paiements en temps réel, dont la nature et l’intérêt sont encore difficiles à évaluer.

Il n’est en revanche pas encore question d’utiliser les paiements en temps réel dans le commerce de détail, par le biais des terminaux de paiement. «Le temps de traitement de dix secondes est trop lent pour cela», estime Markus Beck, responsable du trafic des paiements clientèle entreprise chez Raiffeisen Suisse et membre du conseil d’administration de SIX Group. Il faudrait accroître la vitesse du système et déployer un nouveau système de terminaux. Aucun projet en ce sens n’a été annoncé. Les paiements en temps réel ne seront pas non plus disponibles pour les transactions internationales, du moins dans un premier temps. Chaque pays a en effet développé son propre système et ils ne sont pas encore interopérables. Le système suisse se rapproche cependant des standards européens.

 

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