Des architectes pionniers dans l’art de revaloriser l’ancien

Des chantiers font de plus en plus la part belle au réemploi.
Des chantiers font de plus en plus la part belle au réemploi.
Flavia Giovannelli
Publié vendredi 25 août 2023
Lien copié

#Construction Le réemploi: une pratique plus respectueuse des ressources

Par intérêt précoce pour la thématique de la durabilité, Barbara Buser et Eric Honegger ont fondé en 1998, à Bâle, le Baubüro in situ. A la fin du siècle dernier, les deux architectes fondateurs sont rentrés en Suisse après une expérience professionnelle en Afrique. Ils ont alors regardé d’un autre œil la relation entre les Suisses et l’utilisation de leurs ressources, qui engendrait beaucoup de déchets, ce qui les a choqués. Ce constat les a amenés à initier une pratique plus respectueuse du bâti et des matériaux. De la rénovation d’appartements à la transformation de sites industriels, ils ont entrepris de rectifier l’approche à toutes les étapes, mettant l’accent sur la valorisation des lieux, des bâtiments et de leurs utilisations. L’intégration de matériaux réemployés s’est d’abord faite de manière instinctive et peu systématique avant de devenir l’une de leurs marques de fabrique. Avant de réemployer, le Baubüro in situ tente toujours d’éviter la démolition. Aujourd’hui, l’entreprise est souvent citée comme une référence pour ses travaux.

La valeur des matériaux

Après des études achevées à Lausanne en 2015, Kevin Demierre s’est installé à Zurich. Il travaille depuis cinq ans comme architecte au Baubüro in situ et il est bien placé pour témoigner des expériences et des défis relevés par son employeur. Parmi les réalisations les plus marquantes du Baubüro in situ, Kevin Demierre évoque le projet de la Halle 118 à Winterthour, finalisé en 2021. Le mandat consistait à transformer et à surélever cet ancien entrepôt en un centre destiné à intégrer des bureaux, des ateliers et un laboratoire. L’objectif était d’en faire un projet pionnier et de pousser les limites du réemploi à l’extrême. Le projet a permis de réduire l’empreinte équivalent carbone de près de 60% par rapport à un projet conventionnel. La seule limitation a été le rendement financier exigé par la maîtrise d’ouvrage, une caisse de pension répondant aux exigences de rentabilité usuelles dans son domaine. Les architectes ont décroché plusieurs récompenses de prestige pour la transformation de cette halle. Kevin Demierre insiste sur le fait que le processus de planification, dans de tels projets, doit être inversé: il faut dès les premières esquisses chercher les éléments qui seront utilisés et, au fur et à mesure, les intégrer, adaptant le projet si nécessaire. Pour ce faire, le Baubüro in situ fait appel à son entreprise sœur Zirkular, qui s’occupe de dénicher et d’organiser les matériaux. Dans chaque cas de réemploi, il faut vérifier la compatibilité avec l’ensemble, mais aussi avoir le contrôle sur la logistique et les coûts. Le réemploi est motivé par plusieurs raisons: conserver la patine de l’histoire et le savoir-faire, générer du travail localement et obtenir une esthétique hors norme. Aujourd’hui, la motivation la plus répandue est néanmoins l’économie des ressources et d’énergie grise embarquée dans les éléments réemployés, qui n’ont dès lors plus besoin d’être fabriqués. Pour les matériaux qui ne sont pas réemployés, les auteurs du projet privilégient le bois, la paille ou l’argile afin de réduire l’empreinte écologique. «Une de nos idées maîtresse est de se limiter à l’intervention minimale nécessaire, par souci d’économie, même si ce n’est pas synonyme de facilité. Le résultat en devient plus sincère et simple, imprégné d’histoire. Par exemple, les dalles en granit et les poutres en acier témoignent de leur vie précédente», raconte Kevin Demierre.

Nouveaux métiers

«Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de négliger les possibilités de répondre à l’opposition entre coûts et préservation de l’environnement», observe l’architecte, très heureux d’intervenir dans des modules d’enseignement dans des écoles de formation technique ou des universités. Au contact des étudiants qui assurent la relève, il note ainsi que la pratique du réemploi trouve un écho grandissant. «Ce mouvement favorise l’arrivée de nouvelles professions, comme celle de chasseur de matériaux. Le rôle de ces spécialistes consiste à passer au crible les chantiers en cours ou planifiés, qui sont autant de mines de matériaux pour nos projets. Au bureau, nous gardons tous les yeux ouverts, mais l’entreprise Zirkular a dernièrement ouvert deux postes consacrés uniquement à cette mission», explique-t-il. «La filière n’est pas nouvelle, mais elle vit une nouvelle renaissance», résume-t-il. «Le réemploi dans l’architecture est accessible à tous et va nécessairement se développer dans les temps à venir. Il ne reste qu’à changer certaines des valeurs qui motivent nos prises de décisions»

insérer code pub ici