#Egalité Les entreprises de plus de cent employés doivent se livrer à une analyse de l’égalité salariale entre femmes et hommes tous les quatre ans.
Depuis 2020 et la révision de la loi sur l’égalité, les entreprises de plus de cent employés (environ cinq mille dans toute la Suisse) sont dans l’obligation de procéder tous les quatre ans à une analyse de l’égalité salariale entre hommes et femmes au sein de leurs équipes. Les résultats de ces analyses devront dans quelques mois être communiqués par écrit aux collaboratrices et aux collaborateurs et, selon les cas, aux actionnaires (lire l’article ci-dessous pour connaître en détail les obligations légales en vigueur).
L’Union patronale suisse (UPS) note que les premiers résultats publiés «sont extrêmement réjouissants et prouvent que les entreprises présentant une structure salariale discriminatoire sont extrêmement rares». Marco Taddei, responsable pour la Suisse romande de l’UPS, cite une étude menée par le Centre de compétence de la diversité et de l’inclusion (CCDI) de l’Université de Saint-Gall auprès d’un grand groupe de sociétés représentant plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs: cette recherche a montré que près de 97% des entreprises analysées respectent la loi fédérale sur l’égalité.
Du côté d’Employeurs Banques, une organisation qui défend les intérêts patronaux des banques en Suisse, on remarque, d’une façon générale, qu’il ressort «des premières analyses des salaires prescrites par la loi que la différence de salaire entre hommes et femmes est nettement plus faible qu’on ne le pensait». Signalons qu’en collaboration avec la société Comp-On AG, les partenaires sociaux du secteur bancaire exploitent depuis mi-2020 un centre spécialisé, unique en Suisse, pour la réalisation de l’égalité salariale, le Centre de partenariat social pour l’égalité salariale dans le secteur bancaire (CeParEB). Pour obtenir le label de qualité CeParEB, les banques doivent remplir des critères méthodologiques, prouver que les différences salariales entre les sexes ne dépassent pas le seuil de tolérance de 5% et être soumises à une convention collective de travail du secteur bancaire.
Dans ce cadre, le CeParEB a contrôlé récemment quarante-cinq établissements employant au total plus de trente mille collaboratrices et collaborateurs. Résultat? Tous les organismes ont passé ce contrôle avec succès. La valeur moyenne de la différence de salaire net entre hommes et femmes de ces quarante-cinq établissements se situe à un peu plus de 4% en défaveur des femmes. C’est trop, bien entendu, mais moins que ce que montre, de façon imprécise, l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), une base de données qu’Employeurs Banques demande d’abandonner (lire l'article ci-dessous qui détaille les critiques méthodologiques contre cette enquête et l’utilisation qui en est faite).
Des efforts sur une base volontaire
Pour Balz Stückelberger, directeur d’Employeurs Banques, «les contraintes législatives actuelles sont suffisantes. Les données montrent que les différences salariales entre les sexes sont de moins en moins larges et qu’il faut poursuivre les efforts dans ce sens. Les entreprises bancaires le font sur une base volontaire et adoptent des outils qui non seulement mesurent les différences salariales, mais encore montrent les points sur lesquels agir pour changer les choses».
Kareen Vaisbrot, responsable de la Politique patronale et membre de la direction de Swissmem, l’association faîtière des PME et des grandes entreprises de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM), souhaite aussi que les entreprises demeurent libres d’agir en faveur de l’égalité salariale avec leurs propres outils et en connaissant leurs contraintes, et qu’il ne soit pas question d’imposer de nouvelles règles au niveau fédéral, qui pourraient être inefficaces et qui constituent de nouveaux obstacles administratifs pour la compétitivité des PME.
«L’égalité salariale est pour nous un thème très important, qui s’inscrit dans une politique patronale de long terme tournée vers la valorisation des talents féminins et le développement de leurs carrières, jusqu’aux postes de cadres supérieures. Nous manquons de main-d’œuvre et les femmes constituent un public prioritaire pour nous. Nous n’avons aucun intérêt à laisser des inégalités salariales s’installer. C’est pourquoi nous sommes mécontents de la communication permise par l’utilisation de l’ESS qui laisse supposer que notre branche ne fait pas d’efforts en la matière. Les chiffres fournis par cette enquête ne reflètent pas la réalité et montrent un vrai problème de calcul et de méthodologie.»
Bons résultats
Au cœur des actions de Swissmem en faveur de l’égalité des salaires, il y a une analyse détaillée – elle évalue chaque activité au moyen de vingt-six critères non discriminatoires et tient compte de l’analyse de régression prescrite par la Confédération – que l’association réalise chaque année, depuis 2008, avec le concours de la société Landolt & Mächler Consultants AG. «Comme le prouvent les évaluations les plus récentes, les entreprises de l’industrie MEM remplissent les exigences légales. La différence de salaire entre hommes et femmes dans les entreprises participantes est de 3,1%, ce qui est nettement inférieur au seuil de tolérance de 5%. Avec 2,7%, la différence est même encore plus basse pour les entreprises membres de Swissmem.»
Ce que dit la loi
Égalité. Article 8 de la Constitution fédérale: «L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale». C’est ici, bien entendu, le point de départ juridique de la notion d’égalité salariale en Suisse.
Ensuite, pour être complet, il faut mentionner que la Loi sur l’égalité de 1995 (Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes) mentionne qu’il «est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement» et que «l’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail». Dans sa version de 2020, après modification, ce même texte (article 13a) précise que «les employeurs qui occupent un effectif d’au moins cent travailleurs au début d’une année effectuent à l’interne une analyse de l’égalité des salaires pour cette même année» et que «si l’analyse de l’égalité des salaires montre que l’égalité salariale est respectée, l’employeur est libéré de l’obligation de réitérer l’analyse».
Les contrôles sont à renouveler tous les quatre ans tant que l’égalité salariale n’est pas atteinte. Les premières analyses ont débuté en trois étapes depuis 2020: les entreprises concernées ont dû effectuer leur première analyse de l’égalité des salaires avant le 30 juin 2021, ensuite faire vérifier par un organe indépendant cette analyse avant le 30 juin 2022 et, finalement, elles devront la communiquer avec ses résultats aux collaboratrices et aux collaborateurs – et aux actionnaires dans le cas des entreprises cotées en bourse – avant le 30 juin 2023. Les analyses effectuées se fondent sur un modèle de calcul validé par la Confédération (notamment avec l’outil Logib, mis à disposition sur internet – www.ebg.admin.ch/ebg/fr/home/prestations/logib-triage.html –, mais contesté par des experts et des employeurs pour divers biais méthodologiques) qui intègre un seuil de tolérance de 5%.
Vers un renforcement législatif?
De nombreuses démarches politiques souhaitent depuis quelques mois renforcer ces contraintes législatives en les étendant, par exemple, à toutes les entreprises présentes sur le territoire, PME comprises. A l’instar de Nathalie Fontanet, conseillère d’Etat genevoise en charge du Département des finances et des ressources humaines (lire son interview), notons que si «toutes les mesures en faveur de l’égalité salariale sont les bienvenues, il est cependant plus aisé pour une grande entreprise de mettre en place des actions en faveur de cette égalité que pour les petites entreprises».
D’autres actions politiques veulent prévoir différents niveaux de sanctions contre des organisations «fautives» ou éliminer tout seuil de tolérance – alors même que l’outil Logib prévoit ce seuil de tolérance, car il n’est pas possible d’exclure qu’il existe d’autres variables objectives et non discriminatoires propres à une entité employeuse et qui ne sont pas inclues dans l’outil.
Beaucoup d’acteurs du monde professionnel notent qu’il est surprenant de vouloir renforcer un dispositif législatif sans que celui-ci puisse être d’abord jugé sur ses résultats, puisque ces derniers, plutôt bons d’après les premiers échos venus du monde bancaire ou de l’industrie, ne seront communiqués que dans quelques mois.
Inégalités salariales souvent surestimées, méthodes d’évaluation à revoir
Les méthodes de mesure des inégalités salariales conseillées par la Confédération sont l’objet de plusieurs critiques.
D’abord, Logib, le logiciel d’analyse standard des inégalités salariales dans une organisation, proposé gratuitement et en ligne par la Confédération, ne prend pas en considération certains éléments importants; à l’inverse, il en ajoute d’autres très discutables. C’est le constat que fait Kareen Vaisbrot, responsable de la Politique patronale et membre de la direction de Swissmem, l’association faîtière des PME et des grandes entreprises de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM): «Logib ne tient pas assez compte des parcours individuels.
Ainsi, le salaire d’une femme qui s’est retirée cinq ans de la vie professionnelle pour élever son enfant sera comparé, sans aucune précaution méthodologique, à celui d’un homme qui, avec la même expertise, a eu une carrière continue et possède donc une plus grande expérience. En outre, les compétences linguistiques n’entrent pas dans le champ des éléments que Logib exploite pour mesurer les écarts salariaux». Kareen Vaisbrot souligne aussi le problème lié aux primes pour le travail en équipe, prises en considération en tant qu’élément du salaire dans l’analyse sur l’égalité des salaires. «Objectivement, cela est faux et peut considérablement fausser les résultats des analyses sur l’égalité des salaires.» Pourquoi?
«Les primes accordées pour le travail en équipe sont en soi non discriminatoires, puisque le montant versé dans ce contexte est obligatoirement le même pour les hommes et les femmes. Selon le modèle du travail en équipe, ces indemnités peuvent atteindre 25% du salaire pour l’industrie MEM. Étant donné que ce sont principalement les hommes qui effectuent ce type de travail dans notre secteur d’activité, le fait de prendre en considération des primes pour le travail en équipe peut fausser, dans un large pourcentage, le résultat de l’analyse sur l’égalité des salaires dans une entreprise. Le fait que les femmes reçoivent le même salaire pour un travail de valeur égale lorsqu’elles travaillent en équipe ne change rien à ce constat.»
Des outils contre-productifs
Emmanuelle Savoie, directrice des ressources humaines à la FER Genève, note aussi au moins deux difficultés méthodologiques dans le calcul actuel des inégalités salariales. D’abord, il faut souligner que les démarches à effectuer sont lourdes et ajoutent des contraintes administratives dans un contexte économique général où elles sont déjà très présentes. «Pour l’instant, l’analyse des inégalités salariales est obligatoire pour les entreprises de plus de cent employés. Il ne faudrait pas que les PME de moins de cent collaborateurs et collaboratrices soient concernées, sous peine non seulement de rendre leur travail plus difficile, mais encore d’obtenir des données peu significatives puisque se fondant sur des échantillons très faibles d’individus.»
Autre élément défavorable mis en avant par Emmanuelle Savoie: le calculateur statistique de salaires Salarium, proposé par l’Office fédéral de la statistique et qui se base sur l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), apparaît comme un outil quasi contre-productif pour l’encouragement à l’égalité salariale quand il présente automatiquement le calcul de le salaire mensuel brut pour un poste de travail spécifique selon certaines caractéristiques individuelles, dont le genre. Certes, il est mentionné sur le site de Salarium que «les résultats, ventilés selon le sexe et la nationalité, ne sont pas à considérer comme des recommandations salariales» et qu’ils «peuvent être contraires à la Constitution du point de vue du droit à l’égalité». Précaution utile?
Le mal semble pourtant fait. L’outil contribue à la perpétuation de la prise en compte de salaires différents pour les femmes et pour les hommes. Plus généralement, c’est l’ESS qui se place au centre des plus vives critiques. Comme on peut le lire sur le site internet de l’Office fédéral de la statistique, cette enquête existe depuis 1994 et se présente comme «un sondage écrit, réalisé tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse. Elle permet de décrire régulièrement, à partir de données représentatives, la structure des salaires dans l’ensemble des branches économiques des secteurs secondaire et tertiaire».
Pour Marco Taddei, responsable pour la Suisse romande de l’Union patronale suisse (UPS), cette enquête n’a pas été conçue à l’origine pour mesurer les différences de salaires entre hommes et femmes. «Les données fournies sont très globales et sans nuances. Elles ne tiennent pas compte, par exemple, de l’expérience professionnelle effective et ne permettent pas une analyse fine de la situation. Elles n’apportent pas d’éléments explicatifs.»
Des biais dans les modes de calcul
Pour aller dans ce sens, une recherche de l’Université de Bâle et de l’Institut polytechnique de Paris, publiée en 2021, montre les limites de l’utilisation de l’ESS comme base de calcul pour mesurer les différences salariales entre hommes et femmes. Anthony Strittmatter et Conny Wunsch, les auteurs de cette étude, ont synthétisé leurs conclusions dans un article de La vie économique, la revue éditée par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO). «Pour ce qui est du choix de la méthode, il s’agit d’abord de savoir si l’on veut mettre en évidence une discrimination de genre ou décrire les écarts salariaux existants.
Détecter une discrimination de genre se révèle difficile, car cela soulève plusieurs problèmes méthodologiques. Par exemple, seuls les salaires des femmes et des hommes occupés peuvent être étudiés. Or, la décision de participer au marché du travail peut être influencée par une discrimination perçue, réelle ou anticipée.»
En chiffres
Une démonstration en chiffres de l’influence du choix de la méthode de calcul sur le résultat obtenu en matière d’écarts salariaux? En 2016, le salaire mensuel moyen des femmes dans le secteur privé atteignait 6266 francs, contre 7793 francs pour les hommes – ce qui correspond à une différence de 18,6%. Ici, Anthony Strittmatter et Conny Wunsch mentionnent que ces «disparités globales ne sont pas très significatives, car les femmes et les hommes ont souvent des professions et des paramètres salariaux différents».
Ils poursuivent: «En utilisant la décomposition de Blinder-Oaxaca – la méthode la plus fréquemment utilisée pour saisir les différences salariales observées entre deux groupes distincts, ndlr – pour éliminer les différences dans les déterminants du salaire, l’écart entre les femmes et les hommes se réduit à 7,7% dans le secteur privé». Les auteurs montrent même qu’en utilisant d’autres méthodes d’analyse plus modernes, on obtient un écart salarial inexpliqué de 6% pour le secteur privé. «Près de 70% de l’écart salarial total entre femmes et hommes peut donc s’expliquer par une prise en compte adéquate des différences dans les paramètres déterminants du salaire.»
Ajoutons qu’un écart salarial inexpliqué n’est pas automatiquement synonyme de discrimination, ce dernier point nécessitant d’autres démonstrations. «Pourquoi, à l’heure de la marque employeur et d’une pénurie de main-d’œuvre très problématique, nos entreprises voudraient-elles sciemment discriminer les talents féminins?», questionne ainsi Kareen Vaisbrot.
Dans leurs conclusions, Anthony Strittmatter et Conny Wunsch notent que l’on voit «de manière frappante à quel point le choix de la méthode de calcul est crucial, même lorsqu’on tire exactement les mêmes informations de l’ESS». Ils soulignent de surcroît que l’outil Logib et les méthodes de calcul qu’il utilise «aboutissent à une surestimation (...) plus prononcée des écarts salariaux inexpliqués que l’approche standard de Blinder- Oaxaca». En outre, «l’application de ces méthodes au sein d’une entreprise accentue considérablement le problème du manque de comparabilité entre les femmes et les hommes – surtout quand l’entreprise est de taille modeste».
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