Des matériaux d’excavation pour remplacer le béton

Shot-Earth remplace le béton par des matériaux d’excavation projetés à haute vitesse. Photo Pittet Artisans
Shot-Earth remplace le béton par des matériaux d’excavation projetés à haute vitesse. Photo Pittet Artisans
Pierre Cormon
Publié dimanche 21 mai 2023
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#Shot-earth Un nouveau procédé validé scientifiquement remplace le béton par des déblais d’excavation projetés à 300 km/h.

A l’œil du profane, Shot-Earth ressemble à du béton, en un peu plus beige. Comme lui, ce nouveau matériau peut être armé ou non. Comme lui, il peut être employé pour construire toute sorte de structures: murs, porteurs ou non, poutres, voûtes, dalles, etc. La grande différence est qu’il est beaucoup plus écologique et, assurent ses promoteurs, généralement moins cher.

Ce nouveau matériau a été inventé par la petite entreprise broyarde Pittet Artisans, spécialisée dans la conservation du patrimoine bâti et l’écoconstruction. «Nous réalisions des isolations en chanvre et les recouvrions d’une couche de terre projetée à l’aide d’une machine à faire du crépi», raconte Sébastien Pittet, directeur. «Nous nous sommes demandé si l’on pouvait détourner la machine pour fabriquer un nouveau matériau en projetant de la terre d’excavation.»

De nombreux essais ont été nécessaires pour trouver la meilleure manière de préparer la terre. Ils ont abouti à une recette, ou plutôt à des recettes. Comme dans le cas du béton, la manière exacte de fabriquer Shot-Earth dépend des propriétés qu’on veut lui donner. Dans les cas les plus simples, il ne s’agit que de terre, projetée à trois cents kilomètres à l’heure, qui se fige instantanément. Selon les besoins, on peut aussi lui ajouter des gravats ou un liant pour lui donner une solidité supplémentaire. Restait à valider scientifiquement le matériau. La Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) s’en est chargée. «Nous avons réalisé différents tests, sur plusieurs années, dès 2017», raconte Marco Viviani, professeur et spécialiste du béton. «Ils ont montré qu’on peut donner à Shot-Earth des propriétés équivalentes au béton, mais qu’il est beaucoup plus écologique.»

Economie circulaire

Sa matière première est le plus souvent constituée des matériaux d’excavation du chantier. Les ressources en sable et en gravier utilisées dans la fabrication du béton sont ainsi préservées. Les transports pour les amener sur le chantier, ainsi que ceux pour évacuer les matériaux d’excavation, sont évités. Il n’y a pas non plus besoin de mettre ces derniers en décharge. Un déchet est ainsi transformé en ressource, sur place, dans le plus pur esprit de l’économie circulaire.

De plus, le béton traditionnel est lié avec du ciment, et la fabrication de ce dernier dégage beaucoup de CO2. Les estimations indiquent qu’elle serait responsable d’environ 8% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Shot-Earth a besoin de beaucoup moins de liant que le béton, voire de pas du tout, selon les applications. «Pour un mur en Shot-Earth, la fourchette se situe entre zéro et quatre-vingts kilos de liant par mètre cube», illustre Marco Viviani. Pour un mur en béton, la quantité est variable, mais généralement nettement plus élevée.

Ces liants (chaux hydraulique, chaux ou ciment bas carbone) engendrent beaucoup moins d’émissions de CO2 que le ciment standard. L’impact sur le climat est donc drastiquement diminué.

Meilleur marché

Le procédé nécessite aussi moins d’énergie et moins d’eau, et coûte moins cher que la construction en béton, affirment ses promoteurs. Une étude de scénarios menée par la HEIGVD a chiffré l’économie finale à au moins 25%, dans un cas d’application standard, en tenant compte des économies réalisées sur la mise en décharge des matériaux d’excavation.

La mise en œuvre, enfin, est facile: «On n’a pas besoin de coffrages, de tiges pour tenir la matière, de joints d’étanchéité», énumère Marco Viviani. Il suffit de préparer la terre et de la projeter. Elle tient aussitôt en place, même s’il faut quelques jours pour qu’elle se stabilise.

Expérience

Voilà douze ans que Pittet Artisans emploie ce nouveau matériau dans des chantiers de rénovations privés. «Avant de l’utiliser dans de plus grands bâtiments, il nous fallait de l’expérience et une validation scientifique», explique Pascal Pittet, fondateur de l’entreprise. «C’est maintenant fait et nous commençons à établir des soumissions pour de plus gros chantiers.»

Les Genevois pourraient être particulièrement intéressés: la législation cantonale obligera bientôt à calculer l’empreinte carbone de tous les matériaux employés lors des nouvelles constructions, ainsi que lors des rénovations d’envergure.

Pour les architectes et ingénieurs, utiliser Shot-Earth ne nécessite pas une démarche très éloignée de celle dont ils ont l’habitude avec le béton, assure Marco Viviani. Principale différence: ils doivent soumettre la terre qui sera utilisée à des tests standards. «Par la suite, les calculs qu’ils doivent effectuer sont comparables à ceux qu’ils font pour des structures en béton», ajoute le professeur. Le matériau a donc un gros potentiel et, si tout se passe bien, Pittet Artisans ne sera pas en mesure d’assurer sa fabrication et sa mise en œuvre partout où il sera utilisé. L’entreprise réfléchit donc à un système de licence, avec des partenaires locaux.

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