L’agriculture de conservation vise à ménager les sols de manière à leur permettre de se régénérer.
Pierre Cormon
Publié vendredi 20 juin 2025
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#Agriculture
L’agriculture de conservation permet de rendre les sols plus riches et plus perméables, et d’y stocker du CO2. La Suisse a adopté un programme pour l’encourager.
Les pratiques agricoles modernes ont permis de sauver des centaines de millions de personnes de la famine et d’atteindre un niveau de sécurité alimentaire jamais connu par l’humanité. Elles ont cependant causé de nombreux dégâts environnementaux. L’un des moins connus est l’appauvrissement des sols.
On laboure beaucoup plus profondément depuis quelques décennies. Cela tue les mauvaises herbes, mais aussi d’innombrables organismes habitant dans les profondeurs – une poignée de bonne terre en contient plus que l’humanité entière. Le sol s’appauvrit, devient plus compact, retient moins l’eau, perd des nutriments. Il faut en apporter d’autant plus sous forme d’engrais – dont la production consomme beaucoup d’énergie et dégage des gaz à effet de serre.
Agriculture de conservation
Des agriculteurs ont donc adopté une approche totalement différente: l’agriculture de conservation. Elle vise à ménager les sols de manière à leur permettre de se régénérer. Ce faisant, le sol absorbe du CO2, alors que l’agriculture conventionnelle en dégage.
Jonathan Christin, à Aire-la-Ville, est l’un des pionniers de cette approche à Genève, qu’il a adoptée avec le soutien de l’association faîtière AgriGenève. «Cela fait vingt-cinq ans que je suis actif, dont une quinzaine en agriculture de conservation», a-t-il expliqué lors de l’événement Les sols vivants, organisé sur son domaine par le Bioscope de l’Université de Genève et Pro Natura. «Je n’utilise plus d’insecticide ni de fongicide, seulement un peu d’herbicide.» L’agriculture de conservation repose sur trois piliers. On renonce à perturber le sol, notamment en le labourant. Les semences sont plantées en semis direct – on ouvre une fente et on y sème en un seul passage, sans avoir travaillé le sol auparavant. On évite ainsi les dégâts causés par le labour.
Rotation des cultures
Deuxième pilier: une rotation des cultures améliorée. On fait se succéder les cultures sur une même parcelle, de manière à éviter que des ravageurs s’installent sur un terrain dont la culture lui convient. Les différentes plantes n’apportent et ne consomment pas toutes les mêmes nutriments, ce qui prévient l’appauvrissement du sol. Le troisième pilier est la couverture du sol: on ne le laisse jamais dénudé. «Le soleil est son ennemi», explique Aurélien Bouchet, conseiller chez AgriGenève et spécialiste de l’agriculture de conservation. «Il brûle les êtres vivants et accélère l’évapotranspiration», ce qui l’assèche et l’appauvrit.
Quand la rotation laisse un espace entre deux cultures, on sème des engrais verts. Ces mélanges de plantes ne sont pas récoltés, mais occupent le terrain et empêchent les mauvaises herbes de le faire. Avant de semer la récolte suivante, on les écrase. Cela permet de protéger le sol, de le nourrir et d’y stocker le CO2 qu’ils ont capté pendant leur croissance, sous forme d’humus.
Enrichissement
Le sol devient peu à peu plus riche et plus aéré, ce qui permet de mieux stocker l’eau et, au bout de quelques années, de limiter l’apport d’engrais. «Mes rendements sont plus stables depuis que je suis passé en agriculture de conservation», assure Jonathan Christin. «Mon sol absorbe mieux les variations.»
Régénérer un sol prend cependant beaucoup de temps. «Il peut falloir de vingt à cinquante ans de travail pour revenir à un sol aussi vivant que celui d’une prairie qui n’a jamais été cultivée», relève Aurélien Bouchet. «Cela dépend notamment du fait que le sol soit peu ou très argileux.»
Des agriculteurs combinent l’agriculture de conservation et le bio. La tâche s’avère ardue. Comme le bio proscrit les herbicides chimiques, on désherbe mécaniquement. La multiplication des passages de machines peut aboutir à un tassement des sols, au détriment de leur qualité – exactement le contraire de ce qu’on cherche avec l’agriculture de conservation.
Dizaine d’années
«Nous cherchons des solutions pour limiter, voire supprimer le travail des sols en bio», note Aurélien Bouchet. «Je pense qu’il nous faudra encore une dizaine d’années de travail pour pouvoir faire de l’agriculture de conservation bio à grande échelle.»
En attendant, un programme destiné à rétribuer les agriculteurs de conservation a été lancé. Il vise à séquestrer quinze mille tonnes de CO2 d’ici à 2030, soit l’empreinte carbone d’un peu plus de mille cent résidents suisses. Les rémunérations sont versées en fonction des performances constatées sur leur exploitation.
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