#Séquestration CO2 Cette pratique se répand à Genève. Elle permet notamment de retirer du CO2 de l’atmosphère pour le stocker dans les sols, qui absorbent beaucoup mieux l’eau.
Bien qu’elle soit la méthode agricole la plus apte à lutter contre le changement climatique, l’agriculture de conservation reste méconnue. Elle concerne encore un nombre limité de terres arables en Suisse – de 2% à 3%, selon Reto Minder, président de SWISS NO TILL, l’Association suisse pour une agriculture respectueuse du sol, qui promeut cette approche. Elle exige en effet un gros effort de formation de la part de l’agriculteur. De plus, elle suscite des résistances, car contrairement au bio, elle ne bannit pas les herbicides – qu’elle applique de manière contrôlée.
Si elle n’a pas été créée pour lutter contre le réchauffement climatique (il s’agissait plutôt à l’origine de prévenir l’érosion des sols), l’agriculture de conservation peut cependant jouer un rôle important en ce sens. Elle permet en effet de séquestrer du CO2, alors que les approches conventionnelle et bio conduisent à en rejeter (lire l’encadré ci-dessous). Jusqu’en 2014, l’agriculture genevoise était par exemple émettrice nette de CO2. Grâce à l’agriculture de conservation, la tendance a depuis été inversée. Les exploitations du canton séquestrent dorénavant plus de CO2 qu’elles n’en relâchent.
Le mot qui fâche
L’agriculture de conservation requiert l’utilisation de glyphosate – comme l’agriculture conventionnelle d’ailleurs. «Si on le fait de manière correcte, ce n’est absolument pas un problème», affirme Nicolas Courtois, technicien chez AgriGenève, l’association faîtière de l’agriculture genevoise. Au contraire: utilisé correctement, le glyphosate est même l’herbicide qui offre le meilleur profil environnemental, écrit Christian Bohren, ancien ingénieur agronome au sein de l’Agroscope, le centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire. Le sol le retient bien et il se dégrade rapidement, pour autant que le terrain soit vivant – ce qui est le cas avec l’agriculture de conservation.
Pourquoi cette substance a-t-elle une si mauvaise image? Essentiellement à cause de la manière dont elle est utilisée outre-Atlantique. On y cultive des OGM résistants au glyphosate, que l’on arrose abondamment de cet herbicide. Cela peut engendrer de nombreux problèmes, comme l’apparition de mauvaises herbes résistantes.
En Suisse, les méthodes sont complètement différentes. La culture des OGM est interdite. En outre, «le glyphosate n’est jamais utilisé sur une culture en place, mais uniquement entre deux cultures, et dans des quantités limitées», précise Nicolas Courtois. «On utilise des buses anti-dérive sur les pulvérisateurs, qui empêchent le produit de se répandre ailleurs que sur la parcelle», ajoute Sandie Masson, ingénieure agronome à l’Agroscope. Et on surveille de près les conditions météorologiques avant de les appliquer.
Utilisation en forte baisse
Toutes ces mesures permettent de réduire les effets néfastes et de diminuer les doses. L’utilisation du glyphosate a d’ailleurs diminué de 45% entre 2008 et 2017 dans l’agriculture suisse. L’agriculture de conservation participe à cette évolution.
Cette différence d’approche a des effets très concrets. «Dans les grandes cultures suisses, on n’a encore observé aucun cas de mauvaises herbes résistantes au glyphosate», relève Sandie Masson. En Amérique du Nord, en revanche, ils se multiplient.
Deuxième obstacle: la crainte d’obtenir des rendements inférieurs. «Le sol met du temps à s’adapter et lorsque l’on passe à l’agriculture de conservation, il faut environ cinq ans pour retrouver les rendements antérieurs», juge Reto Minder. «Mais au terme de cette période, le sol est mieux protégé contre la sécheresse et les inondations et les rendements sont égaux, voire supérieurs.» C’est un avantage sur l’agriculture bio, dont les rendements sont inférieurs et qui nécessite donc plus de surface pour produire la même quantité d’aliments. Si les rendements de l’agriculture de conservation sont intéressants dans la durée, ils peuvent néanmoins varier sensiblement d’une année à l’autre, ce qui représente un risque à court terme pour l’agriculteur.
Essais
Troisième obstacle: l’agriculture de conservation est complexe et on n’en maîtrise pas encore tous les paramètres à la perfection. Les milieux agricoles et académiques conduisent donc des essais en collaboration avec des agriculteurs, notamment à Aire-la-Ville. Ils visent par exemple à déterminer quelles couvertures végétales permettent d’obtenir les meilleurs résultats au meilleur prix, ou comment réduire, voire supprimer les herbicides. Pour l’agriculteur, cela implique cependant un effort de formation non négligeable et donc une motivation solide.
Dernier obstacle: le consommateur est prêt à payer les produits issus de l’agriculture biologique parfois beaucoup plus cher que ceux qui ne le sont pas. Cette prime manque pour l’agriculture de conservation, méconnue du grand public et ne faisant l’objet d’aucune certification en Suisse. Les agriculteurs qui la pratiquent vendent leurs produits au même prix que ceux de l’agriculture conventionnelle.
L’agriculture de conservation peut aussi avoir des avantages économiques. Depuis qu’il s’y est converti, l’agriculteur genevois Christophe Bosson a réduit son parc de machines d’une demi-douzaine à une seule, et a sensiblement diminué ses frais de carburant. C’est autant d’énergie grise, d’émissions de CO2 et de pollution évitées.
Pas d’opposition
Bref, si l’on a tendance à penser que tout ce qui est bio est bon et que tout le reste ne l’est pas, la réalité est plus nuancée. «L’agriculture conventionnelle, bio et de conservation ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients», conclut Sandie Masson. «Il ne faut pas les opposer: toutes essaient de réduire un maximum leur impact sur l’environnement, mais par des voies différentes.»
Comment ça marche?
L’agriculture de conservation repose sur trois piliers.
La rotation des cultures – déjà généralisée en Suisse, permet de limiter les risques de maladie et de mauvaises herbes. Elle empêche celles-ci de s’installer durablement dans un champ dont la culture leur convient. Elle permet également de préserver les sols, puisque toutes les cultures ne consomment pas les mêmes nutriments.
Entre deux cultures, plutôt que de laisser le sol nu, on sème des mélanges de plantes que l’on écrase avant la culture suivante. C’est ce qu’on appelle le couvert végétal. La pratique est obligatoire en Suisse, mais l’agriculture de conservation la pousse beaucoup plus loin. «Elle utilise des mélanges de plantes spécialement conçus et beaucoup plus denses, avec plus d’espèces, qu’elle sème plus tôt», explique Sandie Masson. Le couvert végétal, une fois écrasé, se décompose et nourrit le sol, ce qui le rend beaucoup plus vivant et limite le besoin d’engrais. Il permet aussi de prévenir l’érosion et le dessèchement du sol et de le nourrir, tout en séquestrant du CO2.
Enfin, l’agriculture de conservation se distingue très nettement de l’agriculture conventionnelle et biologique par le fait qu’on renonce à labourer. C’est ce qu’on appelle le semis direct. Pourquoi cette pratique? Parce que si le labour permet d’éliminer les mauvaises herbes, il tue par la même occasion une grande partie de ce qui vit dans le sol et l’appauvrit, ce qui oblige l’agriculteur à compenser en apportant des engrais extérieurs. Toute cette biomasse éliminée relâche du CO2 en se décomposant, dans des quantités non négligeables.
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