Genève: un nouveau réseau d’eau pour pallier les sécheresses

Les arboriculteurs utilisent de l’eau non seulement pour irriguer, mais aussi pour lutter contre le gel.
Les arboriculteurs utilisent de l’eau non seulement pour irriguer, mais aussi pour lutter contre le gel.
Pierre Cormon
Publié le dimanche 30 juin 2024
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#Sécheresse # L’eau du lac et du Rhône devrait être amenée dans l’espace rural pour pouvoir l’irriguer sans saturer le réseau d’eau potable ni assécher les rivières lors des sécheresses.

Le réchauffement force de plus en plus d’agriculteurs genevois à irriguer leurs cultures. Ils le font généralement avec de l’eau potable, faute d’autre source. Cela peut coûter cher, bien que SIG leur accorde un rabais. «L’eau représente le troisième poste de dépense des maraîchers cultivant en pleine terre», explique Georges Vuillod, maraîcher bio à Bardonnex. De plus, même si l’agriculture consomme moins de 2% de l’eau potable du canton, ses besoins s’additionnent à d’autres demandes, elles aussi en croissance. A terme, cela pourrait poser des problèmes de capacité et la placer en concurrence avec les autres utilisateurs. Le canton, SIG et les milieux agricoles planifient donc la construction de nouveaux réseaux, qui transporteraient de l’eau brute (c’est-à-dire non traitée) jusque dans l’espace rural. «Avec le lac et le Rhône, Genève a la chance de disposer de suffisamment de ressources pour faire face à l’augmentation des besoins», estime François Pasquini, membre de la direction générale à l’Office cantonal de l’eau. «L’enjeu est de l’amener jusque dans les zones agricoles, en traversant la ville.»

Répartition

Le réchauffement climatique affecte fortement le régime de précipitations. «On observe surtout un dérèglement, avec des périodes alternées de forte sécheresse et où la pluie ne semble jamais s’arrêter, comme ce printemps», précise Héloïse Candolfi, directrice d’AgriGenève, l’association faîtière du secteur. Les extrêmes se multiplient: canicules, bourgeonnements précoces suivis de gels, orages torrentiels, etc. La chaleur, notamment, a des effets néfastes. Elle stoppe la croissance de certaines plantes et les produits n’atteignent pas les calibres exigés par la grande distribution. Elle peut aussi faire mûrir tous les fruits en même temps. «Il faut alors engager des extras pour la cueillette, alors même que les prix baissent», remarque Grégory Donzé, arboriculteur à Bernex. Certaines variétés de pommes se colorent mal quand il fait trop chaud et perdent leur goût, comme les Gala.

La chaleur accroît également l’évapotranspiration des plantes et dessèche le sol. Plus il fait chaud et sec, plus il faut compenser en apportant de l’eau. A Genève, «jusqu’à la fin du XXème siècle, seuls les maraîchers irriguaient leurs cultures», se souvient Georges Vuillod. «Puis, avec l’évolution du climat, d’autres s’y sont mis.»

L’irrigation est aujourd’hui pratiquée de manière systématique dans les cultures de pommes de terre et le maraîchage. Quelque 20% des cultures fourragères, 40% de celles de maïs et 60% des arboricultures du canton y ont aussi eu recours en 2021, selon un rapport du bureau CSD ingénieurs. Quant aux vignobles, ils étaient jusqu’à 40% à être irrigués, selon les secteurs. «Pour l’arboriculture et la viticulture, il ne s’agit pas seulement de faire face aux sécheresses, mais aussi aux gels tardifs, qu’on combat notamment en aspergeant les cultures avec de l’eau», note Fabien Wegmüller, adjoint scientifique à la direction générale de l'agriculture du canton de Genève.

Augmentation prévue

A terme, la consommation d’eau de l’agriculture pourrait être multipliée par trois et demi. Or, les réseaux d’eau potables sont déjà très sollicités par l’augmentation démographique et la consommation estivale des villas. Bref, il faut agir, ainsi que l’a demandé le Grand Conseil dans une motion adoptée en 2022.

Le canton, SIG et les milieux agricoles planchent sur une infrastructure à trois étages. Premièrement, un réseau structurant, en mains publiques – des artères de grande capacité amenant l’eau brute dans les zones où on en aura besoin. Deuxièmement, un réseau primaire agricole, conduisant l’eau brute jusqu’aux parcelles. Il pourrait être relié au réseau structurant ou pomper directement l’eau dans des nappes profondes, qui n’alimentent pas directement les rivières. Des syndicats agricoles et de communes l’exploiteraient. Le réseau secondaire, aux mains des agriculteurs, distribuera l’eau sur les parcelles. Des communes et des industries pourraient aussi se connecter.

L’objectif est de fournir l’eau brute à un prix ne dépassant pas quatre-vingts centimes le mètre cube, contre une fourchette d’un franc et neuf centimes à un franc quatre-vingt-neuf centimes pour celle du réseau d’eau potable, selon le volume consommé. «A ce prix-là, l’investissement que nous devrons faire pour nous connecter sera vite amorti», estime Georges Vuillod.

Bassin tampon

Même un agriculteur disposant de son propre approvisionnement, comme Grégory Donzé, juge le prix intéressant. «Je pompe l’eau d’un puits et la stocke dans un bassin tampon. Elle s’y salit très facilement et je dois la filtrer. Si j’ajoute les coûts de maintenance et de réparation, le mètre cube ne doit pas me revenir à beaucoup moins de quatre-vingts centimes.»

A cela s’ajoute un facteur temporel. Certains agriculteurs reçoivent des autorisations de puiser dans des nappes superficielles. Elles sont souvent suspendues en période de sécheresse, car le canton veut conserver suffisamment d’eau pour alimenter les rivières. Or, c’est le moment où les cultures en ont le plus besoin. Un réseau d’eau brute permettrait de résoudre ce conflit d’intérêt.

L’idée est d’irriguer deux mille hectares dans les dix ans. «Si toutes les planètes restent alignées, les premiers essais pourraient être réalisés l’année prochaine dans la région de Satigny», annonce François Pasquini. Genève Sud, où se trouvent beaucoup de maraîchers, pourrait suivre dans les deux ou trois ans. Quatre autres secteurs ont été identifiés comme nécessitant des études approfondies (Plaine de l'Aire, Mandement, Collex-Bossy et rive gauche du lac).

Ils ont été choisis en fonction des besoins ainsi que des occasions qui se présentent. Si on prévoit de creuser une tranchée dans un secteur potentiellement demandeur, on peut en profiter pour poser une conduite d’eau brute et diminuer sensiblement le coût du projet. L’eau de réseaux thermiques destinés à chauffer ou à rafraîchir des bâtiments pourrait aussi être récupérée pour un deuxième usage dans les exploitations, comme on compte le faire dans le quartier des Vergers et le secteur Praille-Acacia-Vernets. Financement multipartite Le financement de la construction des réseaux structurants est à l’étude. Les communes et les agriculteurs devraient contribuer à la construction des réseaux primaires agricoles, potentiellement avec des aides fédérales et cantonales. Les agriculteurs qui construiront le réseau secondaire sur leurs parcelles pourront toucher des aides du canton.

Le réseau permettra de sécuriser les cultures actuelles, mais aussi de diversifier la production. «Si on veut cultiver des lentilles, des petits pois ou des haricots, on a besoin d’une irrigation sécurisée», remarque Grégory Donzé. «Peut-être que des gens qui n’en cultivent pas encore se lanceront si un réseau d’eau brute est en place.» Cette facilité ne se substituera pas à la poursuite des efforts déjà consentis pour rationaliser la consommation (lire ci-contre). «Nous sommes en concurrence avec des maraîchers de toute la Suisse et avec les commerce de France voisine, du fait du tourisme d’achat», conclut Georges Vuillod. «Or, nous avons les conditions cadre les plus contraignantes et les coûts les plus élevés. Arroser avec de l’eau brute, comme on le fait déjà dans les régions de Nyon, d’Estavayer-le-lac, du Seeland ou de Zurich, nous permettra d’atténuer le désavantage.»


Appel aux industries

Des industries utilisent de l’eau dans leur processus, et n’ont pas forcément besoin qu’elle soit potable. Elles pourraient être reliées au réseau d’eau brute. «Si vous avez des besoins, quel que soit votre secteur, contactez-nous», recommande François Pasquini, membre de la direction générale à l’Office cantonal de l’eau.


Cultiver avec moins d’eau


Les agriculteurs utilisent différentes méthodes pour diminuer leurs besoins en eau. Les exploitants de serres récupèrent la pluie qui ruisselle des toits. Dans les serres, l’irrigation se fait en circuit fermé. De nombreux arboriculteurs disposent d’installations de goutte-à-goutte, également utilisées pour certaines cultures maraîchères en plein champ. A noter que, dans ce cas, les tuyaux se bouchent facilement et sont jetés après chaque récolte (soit toutes les dix à douze semaines pour les courgettes, alors que ceux installés dans les vergers durent des années). Cela engendre une quantité non négligeable de déchets.
De plus en plus d’agriculteurs mesurent aussi l’humidité du sol avec des sondes afin de lui apporter la juste quantité d’eau dont les plantes ont besoin. En grande culture, des paysans pratiquent l’agriculture de conservation. Cette approche, qui passe notamment par le renoncement au labour, «permet de diminuer le ruissellement et de mieux stocker le CO2 et l’eau dans le sol, qui fait alors office d’éponge», explique Héloïse Candolfi, directrice d’AgriGenève.
Des agriculteurs avancent la période des semis afin que leur culture mûrisse avant les grandes chaleurs. Avec un risque: «Si l’année se révèle humide, avec des gels tardifs, c’est contreproductif», commente Fabien Wegmüller, adjoint scientifique à la direction générale de l’agriculture du canton de Genève.
Le même risque existe lorsqu’on plante des espèces ou des variétés plus adaptées à la sécheresse, mais qui ne sont pas toujours prisées des consommateurs.

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