Economie allemande en berne: quelles conséquences pour les entreprises suisses?
Steven Kakon
Publié mardi 02 avril 2024
Lien copié
#Allemagne En mauvaise passe, la conjoncture économique allemande a des répercussions sur le commerce avec la Suisse. Analyse.
L’économie allemande connaît un repli et les dernières prévisions économiques sont peu enthousiasmantes. Le pays est entré en récession, selon l'Office allemand des statistiques, qui a annoncé une baisse de 0,3% du PIB en 2023. Un faible 0,2% de croissance est annoncé pour 2024 et 1% en 2025.
Les causes? Elles sont multifactorielles. Le pays souffre en premier lieu d’une demande extérieure - européenne inclue - qui faiblit. En effet, l’inflation élevée dans la zone euro et la hausse des taux d'intérêt qui en découle freinent la consommation et les investissements. Autre facteur externe: la faiblesse de la situation économique de la Chine, principal client de l'Allemagne qui, parallèlement, cherche volontairement à se distancer de l'ex-Empire du Milieu sur fond de montée de tensions géopolitiques. A une conjoncture internationale moins stable s’ajoutent des facteurs internes qui ne tendent pas à favoriser la prospérité économique, comme la hausse des prix, qui freine la consommation des ménages, celle des coûts de l’énergie qui affaiblit l’important secteur manufacturier ou la charge fiscale élevée des entreprises.
Risques pour la conjoncture internationale
Problème: l'Allemagne est le principal partenaire commercial de la Suisse, son premier fournisseur et son deuxième marché d’exportation après les États-Unis. En 2018, 2019, 2021 et 2022, le volume des échanges a franchi la barre des 100 milliards de francs. Les produits de l'industrie chimique et pharmaceutique dominent les exportations suisses (35,5%). Cette catégorie de produits représente également près d'un quart (24,8%) des importations suisses en provenance d'Allemagne, résume le Département fédéral des affaires étrangères. Un tableau que vient compléter le stock d'investissements directs allemands en Suisse, qui a évolué dans une fourchette comprise entre 30,6 milliards et 42,1 milliards de francs entre 2013 et 2020.
En 2023, le Secrétariat d’Etat à l’économie a alerté dans un communiqué sur les risques pour la conjoncture internationale, et donc pour le commerce extérieur de la Suisse, qui «résultent des développements en Allemagne et en Chine». Et de poursuivre: «L’industrie allemande pourrait s’infléchir de manière nettement plus prononcée, avec un effet de frein plus vigoureux qu’attendu sur les secteurs exposés de l’économie suisse». L’hypothèse semble se confirmer. «Sans surprise et comme le montre l’enquête que nous avons réalisée en novembre dernier auprès de nos membres, de nombreuses entreprises exportatrices suisses sont très préoccupées par la situation économique d’outre-Rhin. Vendre leurs produits en Allemagne est nettement plus difficile», explique Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse. Les chiffres sont éloquents, puisque selon la faîtière des entreprises suisses les exportations vers l’Allemagne ont reculé de 2,4% l’an dernier et, plus fortement encore, vers la France (–11,1%). Quant aux importations, elles se sont contractées aussi bien en provenance d’Asie, d’Amérique du Nord que d’Europe. Les livraisons en provenance d’Allemagne ont baissé de 12,3%, celles de France de 10,7%.
Plusieurs secteurs touchés
Les secteurs en souffrance? «L’industrie métallurgique, celle des machines, des textiles et chimique», répond Cristina Gaggini. «L'industrie de la sous-traitance automobile est un de nos secteurs les plus fortement touchés», complète Philippe Cordonier, responsable Suisse romande de Swissmem, l'association suisse de l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux.
L’industrie tech voit rouge. Selon un communiqué de l’association, qui pointe des «perspectives incertaines» pour ce secteur, «tous les principaux marchés ont évolué de façon négative». Les exportations vers les Etats-Unis ont diminué de 5,6%, de 3,2% vers l’Asie et de 2,4% vers l’UE. Or, «c’est en particulier l’Allemagne, le marché de vente le plus important, qui connaît une phase difficile. Sa part au total des exportations a chuté de 23% au quatrième trimestre». Ces dernières années, le marché allemand a donc perdu en importance pour les produits suisses. «Depuis 2021, la Suisse exporte davantage vers les Etats-Unis que vers l’Allemagne, ce qui explique aussi pourquoi son industrie résiste à la faiblesse de l’économie outre-Rhin», écrivait récemment Eric Scheidegger dans Le Temps.
Si l’Allemagne a enregistré un rebond de 6,3% de ses exportations en janvier, son économie tourne toujours au ralenti. Sa performance en début d’année s’expliquerait par le fort redressement des flux de marchandises vers les pays de l'UE et de la zone euro, après des mois de faiblesse de la demande en provenance du Vieux Continent. L’institut de recherche en économie de Munich (Ifo) table, lui, sur un repli du PIB de -0,2% entre janvier et mars. Au niveau des exportations, les prévisions pour le secteur de la construction mécanique sont «à leur plus bas niveau depuis juin 2020», suivi des constructeurs automobiles et de la métallurgie, écrit l’Ifo.
Innovation et libre-échange
Comment peuvent réagir les entreprises suisses? Pour Cristina Gaggini, «elles doivent essayer de se démarquer par l'innovation, trouver de nouveaux débouchés en dehors de l'Allemagne et de l'Europe et maîtriser encore davantage leurs coûts». La diversification géographique reste cependant un défi. «Ce n'est pas facile sur les marchés de niche», relève Philippe Cordonier. Ainsi, les deux instances représentatives de l’économie se réjouissent de l’accord de libre-échange signé entre l’Inde et l’AELE, dont fait partie la Suisse, dans la mesure où il devrait encourager les exportations grâce à l’abandon total ou partiel des droits de douane en Inde. Une «lueur d'espoir» saluée dans les médias par François Gabella, le vice-président de Swissmem, qui tombe à pic dans un contexte où l’association notait une hausse de 7,9% des exportations vers l’Inde. De même, la reprise des discussions concernant l’accord avec le MERCOSUR sont attendues. Parallèlement, «il est crucial de stabiliser et de développer la voie bilatérale. L’UE est et restera, de loin, notre principal partenaire commercial», abonde Cristina Gaggini.
En autorisant les services tiers, vous acceptez le dépôt et la lecture de cookies et l'utilisation de technologies de suivi nécessaires à leur bon fonctionnement. Voir notre politique de confidentialité.