La «grand-messe» de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), célébrée chaque année au printemps à Washington DC, représente une occasion idéale pour prendre le pouls de l’économie mondiale. Elle réunit en effet cent nonante pays et un aéropage d’acteurs économiques qui, durant cinq jours, brossent un portrait le plus précis possible de l’économie - par pays, régions, secteurs, domaines - et réfléchissent aux politiques les plus appropriées pour faire face aux problèmes du moment (comment générer davantage de croissance, ramener l’inflation à 2%, gérer au mieux les politiques budgétaires tout en contenant les déficits, etc.). Que nous ont-ils appris? Une observation tout d’abord. La réunion s’est tenue avec pour toile de fond la remarquable performance de l’économie américaine. Les politiques industrielles mises en place par l'administration Biden ont en effet entraîné une «explosion» d’investissements, en même temps que l’immigration soutenait le marché du travail (pour le seul mois de mars, ce dernier a augmenté de 300 000 emplois), en contribuant ainsi à alimenter la croissance. Mais l’hirondelle américaine peut-elle faire le printemps de l’économie mondiale?
La surperformance américaine, largement expliquée par l’insatiable appétit du consommateur, pourrait bien être un cadeau empoisonné. Si la consommation des ménages (elle représente presque 70% du produit national brut aux Etats-Unis, contre 52% en Suisse) venait à ralentir brutalement, cela remettrait en cause le scénario d’un «atterrissage en douceur», c’est-à-dire d’une décélération de l’économie causée par la hausse des taux d’intérêt sans récession. Dans l’hypothèse contraire (si le consommateur américain continue de consommer), la vigueur de l’économie américaine continuera d’entraîner une appréciation du dollar qui force les économies les moins avancées à faire face à une inflation plus forte que prévu (par le biais d’un accroissement du coût des denrées alimentaires et des matières premières) et réduit ainsi la possibilité d’une convergence entre les économies riches et les économies en développement. D’autre part, comme l’a remarqué Pierre-Olivier Gourincha, l’économiste en chef du FMI, l’endettement et le déficit budgétaire américains posent un danger (de plus long-terme) «pour la stabilité fiscale et financière de l'économie mondiale, en risquant d'entraîner une hausse globale des coûts de financement». A court terme, les prévisions restent néanmoins optimistes. Malgré la série de chocs subis depuis 2020 (notamment la pandémie, les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, l’inflation, les conflits géopolitiques), l'activité économique fait preuve de résilience dans la plupart des pays. Le FMI table sur une croissance mondiale de 3,2% pour cette année et, pour 2025, légèrement en hausse par rapport aux estimations d’il y a quelques mois. En revanche, à moyen et à long termes, les perspectives de croissance s’assombrissent.
Le FMI prévoit pour la fin de notre décennie une croissance mondiale d'environ 3%, soit près d'un point de pourcentage de moins qu'au cours des deux dernières décennies, qui n’étaient pourtant pas fameuses (les économistes du FMI ont pour règle d’utiliser le seuil de 3% de croissance comme la ligne de démarcation d’une récession mondiale). Le FMI et la Banque mondiale attribuent cette piètre prévision à deux causes principales.
Premièrement, la faiblesse des gains de productivité.
Deuxièmement, les tensions commerciales mondiales. La première résulte de la concentration du capital et de la main-d'œuvre au sein d'entreprises et de secteurs peu efficaces (dans de nombreux pays). La seconde de la montée des protectionnismes et de la mise en place de politiques industrielles un peu partout au monde. La possibilité d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche et l’imposition de nouveaux tarifs douaniers punitifs intensifierait les craintes d’une division de l'économie mondiale en deux blocs – l’un centré sur les États-Unis et l’autre sur la Chine. Ce sont bien les turbulences géopolitiques et la fragmentation du monde en blocs qui constituent le risque le plus sérieux pour la croissance mondiale. Comme l’a fait remarquer Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, lors d’une interview télévisée: «Lorsque nous nous engageons de manière excessive dans le protectionnisme et les mesures de politique industrielle, nous risquons d'affecter négativement les perspectives de croissance», avant d’ajouter: «La plupart des mesures protectionnistes provoquent des représailles. Où s'arrête-t-on?»
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