Electricité: un vote pour s’éloigner de la zone de danger
Pierre Cormon
Publié jeudi 23 mai 2024
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#Electricité La Suisse doit produire plus de courant. En cause: la sortie du nucléaire, la numérisation, la multiplication des pompes à chaleur et des véhicules électriques.
Quel visage aura notre avenir énergétique? C’est la question à laquelle les Suisses devront répondre le 9 juin, en votant sur une loi visant à faciliter le tournant énergétique et prévenir une pénurie d’électricité1. L’essentiel en quelques points.
Les deux problèmes
Le risque de pénurie d’électricité va croître. La Suisse fermera en effet ses quatre dernières centrales nucléaires entre 2030 et 2040. De plus, le tournant énergétique fera augmenter la consommation d’électricité, avec la multiplication des véhicules électriques, des pompes à chaleur ou des carburants alternatifs. La numérisation repose pour sa part sur des technologies voraces en courant. «Les énergies fossiles sont actuellement reines, c’est l’électricité qui le deviendra», synthétise Dominique Rochat, responsable de projets senior Energie, infrastructures et environnement chez economiesuisse.
La Suisse perdra un tiers de sa production, alors que ses besoins devraient s’accroître d’un tiers à une demi, passant de 60 milliards de kilowattheures actuellement à 80 ou 90 kilowatheures. Si de nouvelles capacités n’étaient pas installées, la production suisse ne couvrirait plus que la moitié des besoins en 2050. En outre, la Suisse ne produit pas assez de courant pendant le semestre d’hiver (octobre à mars), alors que c’est le moment où les besoins sont les plus élevés. Elle importe de l’électricité des pays voisins: 8 TWh en 2021, soit 14% de sa consommation annuelle, ou presque quatre fois la production de la Grande Dixence. Or, sans accord sur l’électricité avec l’Union européenne (UE), il sera beaucoup plus difficile d’en importer. En 2025 entreront en effet en vigueur de nouvelles règles qui réserveront une plus grande part du courant produit dans l’UE aux pays membres. Les risques d’une pénurie hivernale seront donc démultipliés. Ce sont les problèmes auxquels s’attaque la loi qui sera mise en votation. Elle constitue un élément important de la stratégie visant à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Les quatre éléments de solution
La loi prévoit une série de mesures qui s’ordonnent autour de quatre axes.
Accroître la production d’électricité renouvelable C’est beaucoup sur l’électricité solaire que compte la Confédération pour augmenter les capacités. Sa production devrait atteindre 45 TWh d’ici à 2050, ce qui représente presque 80% de la consommation actuelle de courant de la Suisse, toutes sources confondues. Les nouvelles installations seront posées en priorité sur les structures existantes (toits, infrastructures, etc.) afin de ménager le paysage. Les encouragements financiers actuels, valables jusqu’en 2030, seront prolongés de cinq ans. Les conditions auxquelles l’autorisation d’installer des panneaux peut être accordée seront aussi allégées dans des cas très précis. C’est l’un des points qui a motivé le référendum (lire ci-dessous). L’éolien, l’hydraulique, la biomasse et la géothermie devraient voir leur production augmenter – quoique dans des quantités nettement moindres que le photovoltaïque.
Diminuer la dépendance à l’étranger Pour limiter la dépendance de la Suisse aux importations d’électricité, il faut développer la production en hiver. Objectif: ne pas devoir importer plus de 5 TWh – contre 8 TWh en 2021. Pour atteindre cet objectif, il sera nécessaire d’augmenter la production hivernale de 6 TWh – environ trois fois la production annuelle de la Grande Dixence. Un tiers de cette augmentation devait être obtenu grâce aux barrages de montagne. Treize d’entre eux devraient être rehaussés, ce qui leur permettra de stocker plus d’eau et d’être en mesure de produire davantage d’électricité en hiver en cas de besoin. Trois sites se prêtent en outre à la construction de nouvelles installations. La loi prévoit une procédure d’autorisation allégée pour ces seize projets. Leur liste a fait l’objet d’un grand compromis, approuvé notamment par Pro Natura et le WWF. Le solde devrait être réparti entre l’éolien et le photovoltaïque de montagne.
Rationaliser la consommation La consommation énergétique (énergies fossiles, électricité, etc.) de chaque citoyen devra baisser de 53% d’ici à 2050, par rapport à son niveau de 2000. Plusieurs mesures sont prévues en ce sens. Les fournisseurs d’électricité de toute la Suisse seront notamment tenus d’atteindre des objectifs d’efficacité énergétique fixés par la Confédération. On compte ainsi diminuer la consommation de 2 TWh par an d’ici à 2035 pour contribuer à la sécurité d’approvisionnement en hiver. Genève fait office de pionnier avec le programme éco21 de son distributeur SIG. La consommation d’énergie par habitant a baissé de 38% depuis son introduction en 2007 et celle d’électricité de 17%. On est pourtant loin d’avoir épuisé le potentiel: seule une minorité de PME a par exemple fait appel au programme, alors qu’il est gratuit.
Encourager l’innovation à tous les niveaux Le tournant énergétique ouvre la porte à l’innovation. On peut imaginer que les distributeurs vendent l’électricité moins cher pendant les heures creuses et à un prix plus élevé aux heures de pointe, de manière à inciter les consommateurs à adapter leur consommation. Qu’une start-up pilote la recharge de votre véhicule électrique de manière à ce qu’elle vous coûte le moins cher possible, en jouant avec ces variations. Que des consommateurs achètent une partie de leur électricité à des producteurs locaux, situés dans la même commune – comme une entreprise ayant couvert son toit de panneaux photovoltaïques. La loi actuelle empêche cependant ces modèles de se développer ou rend leur mise en œuvre plus difficile. La réforme veut lever ces obstacles.
1Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables.
La montagne au cœur de la stratégie
Les montagnes jouent un rôle central dans la stratégie énergétique de la Confédération. D’abord par leurs barrages, dont treize devraient être rehaussés. Cette solution offre de nombreux avantages. Il est beaucoup plus facile d’agrandir un aménagement que d’en créer un nouveau. Une grande partie des installations (turbines, voies d’accès, conduites, lignes électriques, etc.) sont déjà là, tout au plus faut-il les adapter. Les barrages de montagne peuvent produire du courant exactement quand on en a besoin, par exemple un soir d’hiver. La montagne est également idéale pour la production photovoltaïque. En plaine, les panneaux solaires réalisent environ les trois quarts de leur production annuelle pendant le semestre d’été – le moment où on en a le moins besoin. Leur rendement est également faible: il faut deux fois plus de panneaux pour produire la même quantité d’électricité en Suisse qu’en Espagne. En montagne, ils produisent jusqu’à 80% de plus qu’en plaine et la moitié de cette production a lieu pendant le semestre d’hiver, quand on en a le plus besoin.
Or, chaque installation photovoltaïque ou éolienne consomme des quantités substantielles de matières premières, dont l’extraction peut causer de sérieux dommages environnementaux. Une bonne raison pour en placer là où elles produiront le plus et au bon moment – en montagne.
Et les paysages dans tout cela?
C’est le gros point de discorde. Les procédures liées à la création de centrales électriques et de fermes éoliennes durent souvent des années, voire des décennies. Le projet de loi propose de simplifier les conditions nécessaires à obtenir une autorisation, dans certains cas très précis. Les cantons devront définir les zones qui se prêtent le mieux à la production photovoltaïque, comme ils le font déjà pour les éoliennes et l’hydraulique. Ils devront pour cela obligatoirement tenir compte des intérêts de la nature, des biotopes et de l’agriculture. Si les projets prévus dans ces zones sont déclarés d’intérêt national, une petite modification sera apportée à la procédure. Le droit de faire opposition sera maintenu. Le cas sera tranché en procédant à une pesée des intérêts, qui prendra en compte la nature, le paysage et l’agriculture, comme aujourd’hui. Seule différence: le juge n’aura pas à examiner si le projet est nécessaire et pertinent. On partira du principe que c’est le cas. Cela allègera la procédure, mais ne garantit absolument pas que l’installation sera autorisée. «En concentrant les installations dans des zones bien délimitées, on renforcera la protection des paysages qui n’en font pas partie», estime Valérie Bourdin, porte-parole romande de l’Association des entreprises électriques suisses. Prétendre que le projet s’assoit sur les droits démocratiques et la protection du paysage est donc tout simplement faux.
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